Je n’étais pas très clair sur ses motivations à proposer ce brunch du dimanche, mais j’avais une vague idée des miennes. Je n’aurais pas pris le risque de lui en faire part d’entrée de jeu, mais j’ai vu comme un signe favorable son enthousiasme à visiter mon appartement.

 

          Lorsque j’ai poussé la porte, je me suis rendu compte qu’il y avait quelqu'un chez moi. Ca ne pouvait être que Pierre et, pour preuve, ses chaussures trainaient dans l’entrée. Mon frère m’avait prévenu qu’il passerait pour profiter de la visite de nos parents, plus tard dans l’après midi. Je l’avais avisé de ne pas le faire avant 4 heures, étant donné que je voyais une copine avant. Ca l’avait fait ricaner. J’ai tout de suite vu qu’il était dans la salle de bain. Pendant que Michèle enlevait son manteau, j’ai filé au fond du couloir.

« Tu te fous de ma gueule, je t’avais dit 4 heures ! »

« Ben, j’étais en avance, et ça caille carrément dehors. Tu me présentes ? » Pierre a jeté un œil à travers la porte. « dis donc, tu t’emmerdes pas, grand frère ».

 « Arrête tes conneries, je t’ai dit que c’était juste une copine. »

« Ben présentes moi, alors… »

« Fais moi le plaisir de sortir de chez moi ou de te rendre invisible. »

Pendant que je retournais dans l’entrée, je l’ai entendu se glisser dans le placard du fond. Quel imbécile!

           

          Michèle a commencé à faire le tour des pièces, jusqu'à la salle de bain, bien sûr. Heureusement, elle n’a pas ouvert le placard. Je l’ai ramenée au salon. J’étais bien embêté. Si je lui sautais dessus comme j’en avais l’intention a priori et qu’elle tombait sur Pierre dans la foulée, j’aurai l’air d’un goujat. En même temps, je venais de me taper un déjeuner sans fin à se raconter nos vies, je ne voulais pas repartir sur ces bases là. Il y a 3 ans, il m’avait fallu une bonne dizaine de cinés amicaux conclus par des claquements de bises avant d’arriver à orienter la relation vers mon lit. Pas question qu’elle nous croit repartis dans une amitié platonique pour les années à venir. Non pas que j’ai cette fille dans la peau. Mais disons que l’amitié homme femmes, je suis pour, si il y a quelques avantages collatéraux.

 

               La dernière fois, on s’en arrangeait bien tous les deux. Après ces premières rencontres hésitantes, l’habitude était prise de retrouver plus souvent au lit qu’en salle obscure. Bon, c’était surtout moi qui avais du mal à aller au ciné. J’avais eu le malheur de lui dire que rien que sa façon de me faire la bise suffisait à me provoquer une érection. L’erreur. Ne donnez jamais ce type d’information à une amie. J’avais fini par rompre parce que j’avais rencontré Alice et je voulais tenter le coup d’une vraie relation. En général, les filles tombent amoureuses de moi, et moi jamais. J’ai dit à Michèle que je voyais qu’elle commençait à s’attacher à moi, et que j’avais peur qu’elle souffre,  parce que moi pas. Pour le bien de notre amitié, il valait mieux arrêter là. « Tu vas tomber amoureuse. » « Quand même pas » m’avait-elle répondu. Ce sur quoi elle avait enchainé en disant « à la prochaine » et en me claquant une bise.  Elle m’avait alors regardé bizarrement, « oh pardon » et avait entrepris de me serrer la main pour me dire au revoir. Personne ne m’avait jamais donné une poignée de main aussi sexy et caressante, et elle le savait.

              Pas question qu’elle pense avoir un tel pouvoir sur moi que même la présence de mon frère ne m’arrête pas. Et pourtant, je refuse de me re-coltiner les films indépendants coréens qu’elle affectionne sans savoir si je peux en attendre autre chose.

 Je lui offre donc un café au salon et j’oriente la conversation sur ses relations pour savoir ce qu’il en est. Apparemment la voie est libre, on est dans la même configuration qu’il y a 3 ans, à savoir pause sur les amours. Elle vient de se faire jeter et n’a pas envie de se réimpliquer dans quoi que ce soit pour en prendre plein la gueule. Ma place idéale, mon créneau. Je ne console pas, je comble.

Je décide de lui clarifier physiquement le message, mais que c’est à elle de faire le premier pas vers la couette. Le cas échéant, je n’aurai qu’à dire que je n’ai pas su résister à ses avances, voire même, elle se sentira coupable et redevable de m’avoir bousculé en présence de mon frère. Ouais, génial le plan. Je m’affale sur le canapé, dévoile d’un air nonchalant mes abdos. Je pose un bras sur le dossier du canapé derrière elle. C’est cool, les amis qui prennent le café. Mais non, rien, elle continue à discuter mine de rien. Comme je l’ai questionnée sur ses amours, elle m’énumère ses histoires. Nom d’un Laurent, elle n’a pas chômé en 3 ans. Je parierais que même sa poignée de main a encore gagné en effet. Ca commence à m’agacer. En plus, dans ¾ d’heure, je vais être envahi par la famille et fin du plan possible.

Elle a fini son café, elle m’interroge sur l’heure d’arrivée de mes parents. Je me demande pourquoi ça l’inquiète. Soit elle veut conclure, soit elle veut partir. Je lui repropose un thé ou un café. Elle me suit docilement dans la cuisine : j’aurais du proposer un truc qui se trouve dans la chambre, j’aurais fait la moitié du chemin. Quand elle découvre le thé aux violettes, elle pousse un gémissement de plaisir dont je n’ai pas fini d’entendre parler par l’homme du placard. Il doit penser que je suis en bonne voie, voire en pleine action, alors que tout ce que je fais chauffer, c’est l’eau.

                Michèle, elle, apparemment n’est pas en pleine ébullition. Elle se plaint du froid. J’ai bien une couette, mais elle est dans mon lit. Non ? bon, je lui passe un pull. Véritablement, je commence à lui enfiler le pull, mais elle se dégage toute seule avant de se rassoir. C’est clair, c’est plié. Je pourrais aussi bien aller sortir Pierre de son placard pour qu’on discute tous les trois. D’ailleurs, voilà le reste de la troupe qui sonne. Je raccompagne Michèle à la porte, on convient mollement de se revoir dans trois semaines, un film coréen probablement et deux bises surement. Je ne sais pas comment elle a réussi à résister à mon charme tout cet après-midi. La peur de souffrir, je parie.

 

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PS: Mais qui est donc Laurent II ? Vous le saurez quand les masques tomberont, soit le 30 janvier, à moins que l'atelier ne joue les prolongations...