de mon crane comme un ballon incandescent. Bien que petit, tu occupes tout l’espace là haut. Parfois, j’arrive à te neutraliser pourtant. Un bon livre, et ton infernal va-et-vient se calme, je t’oublie…Je ferme le livre, toute imprégnée encore de ses mots bloquant tes rebonds comme si une bulle de coton blanc t’amortissait. Mais hélas, ce coton bientôt se tasse, se délite, et te laisse à nouveau le champ libre. Tu t’acharnes sur ce qu’il reste de ces petits moments de quiétude volés et tu reviens encore plus fort dans tes lancinations.

             Qu’est- ce que je vais faire, dans quel ordre prendre les choses ? Comment sortir de là ? Tu appartiens à la catégorie de soucis qui laissent croire, les torves, qu’à force d’y penser, on va réussir à les résoudre. Ce sont les pires pour moi, car jamais mon cerveau ne peut abandonner l’espoir qu’il est assez malin pour trouver une issue. Tu en profites, tu penses, c’est cette croyance qui te permet de passer et repasser là haut dans mes neurones, tu joues l’épuisement.  J’essaie par un bout ou un autre, parfois j’entrevois une solution. Alors tu te terres dans un petit coin de ma tête, si je regardais de plus près, je verrai que tu frétilles comme un chat qui va bondir, se ramassant avant le saut vengeur. Mais moi, je ne vois que la solution, comme une fenêtre dans ma boite crânienne, de l’air et plus d’atroce résonnance. Oui, si je poursuis dans cette voie, je vais m’en sortir, et peut-être toi, méchant souci, seras-tu éjecté lors d’un de tes bonds par cette faille ouverte pour sortir de ma tête.

              Mais je déroule mon fil d’Ariane hors de ton labyrinthe et non, je le vois maintenant, il y a une impossibilité flagrante à cette solution, qui surgit comme un flash. Voilà que cela te réveilles, tu es resté trop tapi, j’ai cru te mettre au tapis, tout ce que j’ai réussi, c’est à t’énerver encore plus ! Dorénavant tu tournes comme un rat pédalant dans mon cerveau- cerceau, tu n’as plus d’effort à faire, l’entropie de mes soucis t’emporte toute seule, comment arrêter cela, lire dormir écrire ? Je n’arrive plus à rien, trop d’espace de cerveau est grignoté par mon rat souci. J’essaie le ménage, le sudoku, le téléphone, erreur, je parle de toi, souci-folie, te voilà en première ligne, tu fais le fier, tu grossis comme un bœuf, tu pèses de tout ton poids.

              Mon amie te croit tout petit, allons allons, elle se penche sur toi, pense avoir ta peau en deux trois suggestions. Tu parles, ça ne fait que me rendre plus misérable encore, car ce qu’elle me dit, je l’ai déjà occis il y a une semaine comme solution mort-née. Je mesure à l’entendre le nombre de fois où je t’ai remâché, ressorti de ma tête pour te regarder sous tous les angles, c’est vrai que tu n’avais pas l’air si méchant au départ. Moi aussi, j’y ai cru, à ces deux trois suggestions, franchement tu as l’air vaguement simple, on croirait t’attraper, et te coincer pour t’aplatir. Mais tu es visqueux et élastique, quand on pense t’avoir encerclé, tu ressurgis d’un autre coté.
Fous moi la paix, je t’en prie, d’accord tu vas avoir ma peau, mais qu’au moins je cesse de penser à toi.

 

             Et puis je m’habitue. Ta présence fait désormais partie de ma vie, je sais que j’ai un souci, comme d’autres ont un ulcère, oh pas si gros, mais bien énervé. Je t’ai apprivoisé, souvent tu restes sage, ce n’est que quand mes pensées t’approchent que tu repars dans tes démonstrations de ma folie. Alors je t’ignore, j’ai au moins gagné cela. Au départ, quelques minutes par jour se détachaient de toi. Un film, un rapport plus exigeant à rédiger, ah les joies du travail, donnez-moi-z-en encore ! Ca devient comme une drogue, qui englue les soucis, les empêche de tourner, j’occupe l’espace là-haut par ma charge de travail. Ca pèse aussi, mais ça soulage.

Un jour, pas concentrée, je pense à un petit truc, que je pourrais essayer. C’est bien loin de mes solutions grandiloquentes, à douze coups en zig zag. C’est juste une toute petite façon de déplacer le problème, une minuscule action, ça ne va rien résoudre, mais au moins ça avance.

             D’agir, brusquement, même si je ne suis pas sûre que ça soit dans le bon sens, ça recale les choses. Je voulais la solution parfaite qui te foudroie absolument, mais elle n’existait pas. Alors que là, je renonce à ta mort, mais je te grignote une patte.

            Et devine quoi, tu boites ! C’est étonnant un souci rongeur qui ne peut plus s’enfuir, s’égarer dans mes coins. On dirait même que tu rétrécies. 

 

            Mais oui, tu es toujours là. Je te croise parfois, au détour d’une pensée. Quand je me revois, paralysée sous l’emprise de tes courses frénétiques, je me demande pourquoi. Si ça se trouve, depuis le début, c’est toi qui avais peur.
            J’aimerais bien y croire, y croire assez pour que la prochaine fois, je crache sur ton grand frère en attendant qu’il se calme tout seul.

 

 

 

NB : Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique « Rechercher »