La question des commentaires revient de manière récurrente sur l’Ecritoire. Qui écrit des commentaires ? Pourquoi les lecteurs, plutôt nombreux à ce jour si nous en croyons les statistiques, ne prennent-ils pas quelques minutes pour déposer un commentaire à la fin de leur lecture ? Ceux qui sont publiés sur le blog vivent comme une reconnaissance visible les quelques lignes déposées à la fin de leur texte, alors pourquoi ne font-ils pas l’effort de rendre la pareille ?

Et si ce n’était pas si simple! Manque de temps, fréquentation sporadique, manque de recul, peur de juger, difficulté à critiquer, de nombreuses raisons sont invoquées, aussi justes les unes que les autres. Que cherchons-nous dans les commentaires ? Probablement à établir un échange. Or, si internet a favorisé la diffusion, la mise à disposition de textes dont la propriété semble échapper immédiatement à leurs auteurs, les codes semblent différents selon les supports utilisés.

Et nous retrouvons, sur internet, des catégories aussi différentes que dans toute communication, même si l’internaute moyen peut avoir tendance à tout amalgamer.

Un site offre des informations statiques, qui peuvent être mises à jour, mais dans une configuration générale fixe ; il ne propose pas d’interactivité, la consultation peut déboucher sur une demande d’information, des remarques envoyées au contact, mais la démarche générale est celle d’une consultation documentaire.

Un blog présente, de manière chronologique, des informations dont, en général, seuls titre et sous-titre sont en page d’accueil. Pour être efficace, la consultation doit être régulière ; et la mise à jour encore plus, sinon le blog perd toute sa raison d’être qui consiste en une réactivité dont rend compte l’organisation dynamique et chronologique.

Un forum, un twitter, un messenger relèvent d’une autre logique, pas celle de l’information mise en ligne, pratiquement inexistante, mais de celle de la discussion immédiate, empruntant une syntaxe très simplifiée.

Quant à l’internet social (Facebook, Myspace, Mes copains d’avant, Points Communs.com), sa communication en réseau est avant tout marquée par le narcissisme des utilisateurs[1] ; plus que de discuter avec les « amis » de leur réseau, plus ou moins choisis et bien vite ainsi désignés, il s’agit surtout pour eux de se mettre en avant, de se montrer, de s’épancher…

Et si notre difficulté avec les commentaires venait d’une confusion, au sein de cette communication internet, entre réception et production, propre à toute communication, mais aussi entre écrit et oral ?

 Le blog, à l’évidence, relève bien de la logique de la réception, d’autant plus quand il s’intitule l’écritoire, et consiste en la mise en ligne de textes littéraires qui, leurs auteurs sont bien placés pour le savoir, sont tout sauf immédiats. Quand nous lisons un livre, nous pouvons avoir envie d’en parler autour de nous, de confronter nos réactions à celles d’autres lecteurs ; mais cela se passe en général oralement, dans nos cercles de connaissances s’il se trouve qu’ils partagent nos lectures. Il peut nous arriver d’aller jusqu’à oser écrire à l’auteur par l’intermédiaire de son éditeur ; mais c’est évidemment très rare, car nous mesurons alors l’effort qu’il nous faut consentir pour passer de propos désordonnés, peu élaborés, voire impulsifs, à une critique construite et mesurée, même si bien souvent elle traduit notre admiration.

Pour notre blog, nous avons choisi d’ouvrir les commentaires après chaque texte. Ce n’est nullement une obligation ; tout administrateur de blog a le choix d’ouvrir ou de fermer les commentaires. En les ouvrant il prend le risque de la confusion entre réception et production ; ou plutôt il entretient l’illusion que le texte est ouvert, que le lecteur peut le prolonger, l’amender, le faire évoluer ; or le lecteur est récepteur, pas producteur ; pour produire du texte à son tour, il doit accepter de changer de posture, de se distancier ; d’y revenir plus tard, ce que bien souvent il ne fait pas, par manque de temps, ou parce qu’il est déjà passé à autre chose. Il ne manque pas de respect à l’auteur en ne commentant pas, c’est bien justement parce qu’il a trop de respect qu’il se retient !

Et si cette déférence jouait aussi son rôle ? Pour reprendre l’exemple d’un livre dont nous parlons avec nos proches, nous pouvons aussi parler des textes que nous avons lus en ligne. Mais est-ce la même chose que de déposer un commentaire ? L’administrateur de blog, en optant pour le commentaire, attend du retour à ce qu’il met en ligne ; il veut introduire de l’échange, de la conversation, en quelque sorte de l’oral. Nous savons bien que ces formes orales à l’écrit sont très prisées en France, nous sommes les champions du sms, et le courrier électronique, par son immédiateté, relève plus d’un échange oral en direct que d’un courrier traditionnel. Avec la différence qu’il établit une distance, malgré tout essentielle, qu’il ne s’impose pas comme la sonnerie du téléphone à son interlocuteur qui peut ainsi ajourner sa réponse.

La demande de commentaire ne répond-elle pas à cette quête d’un oral écrit ? Les formes de l’oral se sont imposées très fortement dans la littérature de ces vingt dernières années. Mais réécrites, mutées en de nouveaux codes de l’écrit. Quand l’administrateur du blog demande des commentaires, il cherche à établir une conversation virtuelle, à discuter en différé, sous une forme ouverte, immédiatement visible par tous les visiteurs, donc moins libre que le courrier électronique par exemple. En rédigeant son commentaire, le lecteur, lui, n’a pas le sentiment de se trouver dans une situation de conversation, mais d’écrire une critique, ce qui lui demande temps et recul.

L’administrateur rêve d’oral différé ; le blogueur s’engage dans un écrit distancié. Rencontre impossible ?

 



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        NB: Retrouvez les textes de Viviane Youx avec la rubrique "Rechercher"