Cher S.

 

Voilà quinze jours que je ne pense qu’à ça, que je ne me consacre qu’à l’exercice du clavecin. L’instrument me donne tantôt des joies trop faciles, tantôt me communique des frissons d’angoisse face à son implacable mécanique. Le moindre doigt qui traîne ou glisse et la note est fausse. Les arpèges et les gammes me font mal aux mains, et surtout assise bien plus longtemps qu’il ne faudrait, je finis par avoir mal au dos et un peu partout. Il m’arrive de rater les repas sans que personne ne s’en aperçoive.

Lisa demeure une douce compagnie et elle m’a présenté Frère Domenico. Ce jeune homme qui est de passage dans notre couvent, porte le même prénom que vous. Quel plaisir j’éprouve à prononcer son prénom ! Agé d’une trentaine d’années – il pourrait être mon fils – Frère Domenico est musicien et joue fort bien du clavecin. Depuis quelques jours, il ne manque pas une occasion de m’aider, d’être présent à la chapelle et de me guider dans les arpèges, les trilles et les accords.

J’ai fait de rapides progrès. Domenico m’encourage sans cesse.

J’ose à peine dire à quel point il me trouble parfois. Il arrive que sa main frôle la mienne, devant le clavier étroit, que je sente son corps penché sur moi, ses épaules, ses bras. Il irradie de jeunesse et de bonté ; il est joyeux, plein d’esprit et les difficultés et sévérités musicales s’évanouissent pour faire place à un univers soudain léger.

A l’abri du reste du monde, protégée de tout échange dégradant, de toute mesquinerie insidieuse, mais présente, là, au cœur de la musique…je suis heureuse.

Et c’est bien tout ce que je pressentais en écoutant votre musique.

Est-ce la vôtre ? Ou toutes les autres musiques ? Mille pensées passent, des pensées étranges, capricieuses, timides, des effluves de parfums, des clairons guerriers, des broderies drôles, des épanchements inattendus, de hauts élans qui retombent comme vaincus dans un soupir…

 

Après avoir joué des guide-chants, des laudate, gloria, bénédicité, je me sens le cœur pur, l’esprit uni, en harmonie avec la vie.

Domenico m’a promis de me fournir de vos partitions. Ce n’est pas bien difficile.

Il est en bons termes avec la jeune Anastasia à qui vous avez confié les travaux d’écriture.

Aussi, je n’attends que ce moment où je pourrais communier à ma manière avec votre musique et par là, me trouver très près avec vous.

Bien plus près que nos tentatives maladroites pour nous comprendre et nous estimer.

 

Oui, je suis impatiente et troublée et je prie, sans trop savoir ce qui m’attend, sans me soucier de rien d’autre, contrairement à vos avertissements sévères…je prie pour la joie, l’union, la paix des âmes, en dépit des secousses de notre monde, et pour des mondes nouveaux que nous espérons.

Notre religion et nos prières au couvent sont parfois douces. Cela ne change rien pour moi ; je me rends volontiers aux offices ; et j’aime plonger dans les vocalises habituelles.

 

J’entre dans la solitude sans plainte, comme si j’acceptais enfin mon sort ; comme si j’habitais enfin ma vie ! Il y a des matins où cela apparaît plus fort et plus évident que jamais. Est-ce l’effet des prières ? Des heures passées au clavecin ?

 

Je vis et c’est non par résignation, mais c’est grâce à cette expérience de jouer de la musique. Grâce à la façon dont cet exercice me remplit l’esprit, semble construire des voûtes, des corridors, des chemins qui mènent vers une connaissance plus claire du monde et de la réalité. Je ne prête pas trop crédit à ce qu’on dit de l’acceptation et de la résignation mais bien plus à l’ordonnancement clair d’une succession de raisonnements et de sentiments et de leurs liens.

C’est ainsi que les apparences de la prisonnière que je suis, finissent par m’amuser, car je sens poindre une légèreté de l’âme… Je crois bien même la reconnaître, comme la force, l’unité, l’accord intérieur avec soi-même. Et je ne regrette pas ces heures à broder, ni à écrire, qui pourraient paraître d’égoïstes occupations. Bien au contraire !

Je me souviens de vos récits de voyages, je médite de vos propos sur la musique.

Je me remémore vos propres souvenirs, vos expériences, vos voyages au Portugal, à Londres, votre vie en Italie, vos mœurs en Italie. Vous racontiez des mondes que j’ignore : Sur les ports, des gens qui se battent pour faire commerce des richesses des comptoirs, échangeant des robes, des bijoux pour des couleurs étrangères, épices, fruits, graines.

Quand vous me parliez ainsi, ces quelques semaines après votre baiser…Quand aucun obstacle ne nous empêchait de converser, que vous m’aviez même visitée chez moi, certains après midis et que nous nous retrouvions le soir, à la Cour, comme nos confidences nous liaient, comme le monde paraissait léger !

Nos hommes ici se mêlent de jalousie en tout et pour tout, alors j’étais surprise de rencontrer un esprit si différent. Votre tempérament m’était apparu plus profond, plus libre de penser, fait d’intuitions et d’acuité. Avais-je connu un esprit qui semble percer un être avec force et justesse. Je ne me sentais parfois plus aucune épaisseur sous la tutelle de votre regard. Je m’indignais de mes faiblesses et je posais des questions aux uns et autres, autant que je pouvais pour m’instruire. Je ne sais quels mélanges de cultures ont fait votre esprit. Vous connaissiez des auteurs italiens, latins, anglais, français et je vous écoutais. Cela n’a duré que quelques semaines…Une certaine marquise Don Estridas est venue vous troubler. Cette femme, me disiez-vous, est très riche, elle s’intéresse à ma musique depuis quelques mois. Elle m’a honoré d’une somme pour mon voyage à Amsterdam et se dit être prête à le faire encore. Je publierai sans doute d’autres œuvres là-bas. Cet éditeur d’Amsterdam est le plus merveilleux des hommes. Vous savez, je suis assez désordonné, il m’arrive d’oublier mes partitions, de les perdre. Farinelli me le reproche assez.

 

 Je vous écoutais naïvement, incapable d’imaginer que cette marquise allait vous avoir en son pouvoir que vous alliez succomber aussi vénalement.

La modestie de ma condition a fait que j’ai accepté votre désertion. Je l’ai mise sur le compte de mes propres faiblesses à être digne de votre compagnie.

Et ne m’aviez-vous pas dit la grande affection que vous ressentiez pour moi. Comme vous me trouviez divertissante et gaie.

Cela me fait encore aujourd’hui tourner la tête… Je ris de la naïveté de Frère Domenico qui me soutient qu’il n’y a rien de si extraordinaire dans les voyages. Lui-même a traversé l’Italie, La France et l’Espagne. Il dit qu’on fait parfois de très mauvaises rencontres et que si la vie ici me paraît monotone, je ne dois pas m’en inquiéter.

Si les seuls vrais voyages doivent être des évasions, alors la musique est un voyage dont je commence à connaître les secrets plaisirs.

 

 

                                                                                             Lettre 18

 

                               

                                                                                   San Félicidès le 12 novembre 1740

 

Cher S.

 

 

Journée sombre. Un matin gris plombé d’où rien ne peut s’échapper, emprisonnant tout.

Les êtres, leurs corps… Leurs vêtements, leurs gestes… Si peu honorés, si peu aimés. Les idées annihilées. Du temps dérobé à ce gris-là paraît impossible. Les jours derniers ont été consacrés à des travaux de nettoyage sans fin. Pas de clavecin. Comme les autres femmes, j’ai dû gratter le jardin et rentrer les provisions. Des moments de gaieté nous surprennent au milieu de ces occupations. Les jeunes filles qui rient et qui chantent finissent par avoir raison de mon humeur chagrine sombre.

 

Hier cependant… Vous étiez là. Vous aviez passé la nuit dans votre appartement.

Au matin, vous m’avez surprise à la chapelle, devant le clavecin. J’ai senti votre présence dans l’ombre. J’étais en train de jouer une sonate en fa Majeur.

Il me semblait crocheter des dentelles avec mes doigts. Je souriais à l’idée de la mantille noire abandonnée. Je souriais aussi de cette obligation de faire reprendre le même thème esquissé par la main droite, répété en écho par la main gauche. Oui, je m’amusais de cette obstination à ajouter des sixtes, au lieu de vous contenter des gammes et des harmonies chères à Haendel. Il me semblait entendre l’écho de vos chères guitares flamenques. Bien loin d’une chapelle, je caracolais, dévalant une pente, je m’imaginais le nez au vent, me précipitant du haut d’une colline et vous, me poursuivant. Mais vous étiez là soudain, dans l’ombre, et sans indulgence.

Vous avez joué de ma surprise avec votre cruauté habituelle et tout le mépris dont vous aimez m’accabler. Brutalement, vous m’avez dit :

 

-         Où est Anastasia …. ? Est-ce elle qui vous a donné ces feuillets ? Qui vous autorise à massacrer ma musique ?

 

Je n’ai pas répondu. Je ne sais pas vous répondre ; je ne sais plus vous parler.

Tout ce que je peux faire ne peut que vous déplaire.

Et je me moque bien de vous voir ou ne pas vous voir ici, et de ce que vous pouvez devenir. Vous pouvez rire de mon dépit ! Il n’y a que Lisa à qui je confie prudemment mes humeurs qui me console de son rire enfantin.

 

 

 

Son mariage est retardé. Ce ne sera qu’après Noel. Il y a un certain nombre de difficultés autour de ce mariage qui alimentent nos conversations. Le futur mari lui plaît, mais elle ne l’a vu que trois ou quatre fois. Les familles discutent de la dote et Lisa se moque de leurs transactions sans fin.

 

Je suis troublée, agitée par votre présence, une fois de plus et par votre attitude désagréable. Je me demande encore pourquoi vous m’en voulez ainsi et qu’est-ce qui vous agace tant chez moi.

 

Et cet entretien ce soir même avec Maria Teresa !

 

-         Il fallait bien vous en douter. M. Scarlatti a demandé que vous ne jouiez plus sur son clavecin. Mais ne vous inquiétez pas, nous savons maintenant que vous aimez jouer que vous pouvez nous aider pendant les offices. Nous pourvoirons à vous trouver un autre instrument.

 

 

Je ne dors pas, cette nuit, j’écris… J’écris et je pressens d’autres inquiétudes.

Je ne dors pas, je ne prie pas, je pressens que bientôt je ne vous reverrai plus.

Mais comment ? Que votre vie changer. Que la mienne aussi.

J’ai senti que Maria Térésa me cachait quelque chose. Le ton doucereux d’une consolation cache toujours chez elle la fermeté d’une décision secrète. Je ne dors pas, non… J’écris. Mais quelle colère puis-je laisser éclater, seule dans la nuit ? Je ne peux déranger qui que ce soit. Je ne peux qu’attendre la délivrance du matin.

Je ne peux que reprendre ma mantille noire et y fixer le dernier point et prier Dieu enfin qu’il se passe quelque chose d’heureux.

 

 

Lettre 19                                                                         3 décembre 1740

 

 

                                                 Cher S.

 

 

Non, je ne peux plus retenir mes larmes. Tout se mêle. Tout est sombre, horrible.

Nous venions de fêter nos morts. Tout était déjà tellement triste.

Et aujourd’hui,  ces deux nouvelles épouvantables : Vous avez demandé Anastasia en mariage. J’aurais du m’en douter… Cela se sentait bien…Je m’empêchais d’en penser et d’en écrire le moindre mot.  Maria Térésa paraissait lointaine et je le voyais, elle s’arrangeait à éviter nos habituelles conversations intimes.

 

L‘autre nouvelle vous concerne encore ! Je ne sais plus dans quel ordre… Votre mariage avec la petite Anastasia, c’était au dîner que nous l’avons appris.

 

Mais ce matin, Frère Domenico, revenant de Madrid, me raconte son voyage, l’air pensif et morose. Nous étions devant le clavecin. Il m’explique distraitement une gamme.

Je n’écoute pas bien. Je ne comprends pas bien. Je m’en veux de mon manque de persévérance, de concentration,  trop de pensées distraites et pire, pour me sortir des difficultés devant un arpège ou un accord, je m’arrête, je saute, je prétends qu’on peut s’en passer, que cette note n’est pas plus indispensable…Que c’est une pure fantaisie, et puis que de sérieux encore et d’austérité ne faudrait-il pas accroire !

Frère Doménico finit par sourire et me raconte qu’il est devenu votre élève. Oui, dis-je, et alors ? Quelle drôle d’idée ? Vous ne craignez pas ce maître inflexible ? Vous ne craignez que votre talent soit perverti ? Vous qui tenez une inspiration si religieuse, si opposée aux saccades guerrières et débridées de monsieur Scarlatti ?

 

Frère Domenico est assis tout près de moi. Sa jeunesse se communique à moi. J’aime ses cheveux bruns épais, son visage rond, ses lèvres sensuelles. Il se tient tout près de moi.

 

    -         Je me suis rendu chez M. Scarlatti. J’ai vu sa demeure. Un inextricable désordre. Deux personnes aux offices ne parviennent pas à tenir la maison. Seule, la salle de musique, toute petite, exiguë, est à peu près en ordre. Bien que des feuillets jonchent partout le sol. Plus d’un a été découragé, dit-on, mais pas moi.

 

-         Je connais votre persévérance, Frère Domenico. Mais alors, vous êtes satisfait ?

 

-         Ce que je vais vous dire maintenant. Dona Ana… Je ne sais pas par quoi commencer. Je vous ai dit le grand désordre qui règne chez M. Scarlatti.

Les domestiques n’y peuvent rien. Au bout d’une semaine, je croyais qu un grand nettoyage aurait été effectué, au moins pour recevoir ses élèves. Pas du tout !

C’était pareil. Huit jours plus tard, pareil, sans parler des colères que M. Scarlatti pique. Excusez-moi, mais il écume, éructe, étouffe, il est trop gros, vous savez, beaucoup trop gros ! Il disparaît soudain en plein milieu de la leçon. Il mange à n’importe quelle heure. Enfin, c’était un mardi matin…

 

Comme j’écoutais…Cette description… oui, c’était donc, ça, cet homme n’avait aucun soin de lui, ce grand homme vivait comme un grossier, un vulgaire paysan.

Son jabot de dentelles ne cachait rien que des restes de repas…

Ses impertinences ne cachent que des maladresses mauvaises, des insuffisances de langage, des pensées petites, médiocres, des vues guidées par le seul intérêt, des appétits pour tout ce qui est fragile, que l’on peut aisément et utilement asservir et par qui se divertir, nourrir, obéir, obtenir caresser sans réplique. Et j’avais reçu cet homme chez moi !

Et cet homme bien sûr, n’avait jamais songé à m’inviter chez lui ! Et pour cause !

Cette marquise Don Estredad n’avait jamais dû mettre les pieds chez lui, chez vous !

Les salons de la Cour sont bien assez grands et ouverts sous vos pas ! Quel mépris !

Quels sujets de tristesse attendent cette pauvre Anastasia !

Je ne montrais aucune impatience aux propos de Frère Doménico et aucune surprise non plus comme si cela signait bien déjà mes pressentiments.

 

J’ai écouté la suite, comme si j’étais tombée, soudain envoûtée et spectatrice d’un rêve auquel j’aurais été étrangère...

 

-         Maître Scarlatti était parti subitement… J’avais déjà visité la maison, si on peut parler d’une maison… J’avais déjà grimpé l’escalier qui mène à la terrasse…Un de ses amis est arrivé…Un juriste… Des copies dans les mains… Des manuscrits. Un homme guère plus soigné dans son pourpoint. Aussi gros que M. Scarlatti. Et aussi maladroit.…Et sous mes yeux soudain… Ces feuilles. Le nom du comte De Luza. Des chiffres sur plusieurs colonnes… Je ne sais pas bien les lire… mais je relis le nom du comte De Luza Luis et le vôtre, plus loin, Dona Ana De Luza.

Je ne me trompe pas…

Nous y sommes… Reconnaissance de dettes… testament daté de 1735…

Une autre feuille… Testament de Luis Don LUZA…

 

 

 Frère Domenico pose des feuillets.

 

Les voici sous mes yeux…Doménico, est-ce vrai ? Je pleure. Je ris…

Le testament de mon mari est retrouvé…Les dettes sont-elles précisées ?

 

 

-         M. Scarlatti en personne vous a ruiné. M.Scarlatti a ruiné votre mari, à la table de jeu, vous vous en doutiez. La dette contractée par votre mari était énorme et Don Luis lui avait remis son testament… Vous êtes la victime de M. Scarlatti, un homme négligent, inconscient comme vous voulez. Les gens de la Cour taisent bien sûr ses conduites et ses abus. On ferme les yeux. Maria Barbara le sait parfaitement. Ferdinand, son mari, et si timide, si peu autoritaire que nul autre ne fait la loi que sa femme Maria Barbara est enclin à tenir n’importe quelle promesse, par esprit scrupuleux de loyauté.

 

-         oh ! Que cette hypocrisie soit démasquée enfin ! Comment peuvent-ils donc tous supporter ces agissements aussi malhonnêtes envers tous, aussi bien les hommes que les femmes…Mais qu’il soit démasqué ! Banni…

 

-         Vous lui demanderez simplement et résolument gages et restitution de certaines sommes….

 

C’est ainsi, donc…Je vous demande, M. Scarlatti de vous montrer enfin honnête ! Vous me devez beaucoup. L’honneur, le respect, l’argent. Savez vous-même ce que vous avez fait ?

 

Frère Domenico prétend qu’il est possible que vous ne le sachiez même pas que ne l’ayez même pas su, tant vous vous moquez du désordre qui règne dans vos affaires et dans votre maison.

Dépensant des sommes considérables. Ne sachant qui vous doit de l’argent, à qui vous en devez…Frère Doménico a interrogé votre homme d’affaires.

Maître Don Annibal est aussi fourbe et aussi distrait que vous.

L’argent corrompra-t-il toute votre vie et continuera-t-il de la corrompre. L’argent, et encore l’argent avec le mariage de cette jeune Anastasia que nous vous avions présentée…Et que vous vous permettez de demander en mariage, vous, si vieux déjà ! Vous…

 

Je ne vous écrirai plus rien d’autre désormais que des lettres de réclamations diligentes… Vous pourrez vous moquer de mes négligences, de mes manières impolies…

Je ris, je pleure, face à l’ironie de toute cette affaire.

Je prie, je remercie…

 

 


Lettre 20                                                                         27 décembre 1740

 

 

                                                CHER MONSIEUR SCARLATTI

 

 

 

Nous venons de passer Noël. Ce sont mes derniers jours à San Felicides.

Vous venez d’épouser Anastasia à Madrid. Ce mariage a été très vite enlevé. Celui de Don Guiseppe avec Isabela avait pris plus de temps. Nous savons, Lisa et moi qu’Anastasia pleure et ne sera qu’une servante dans votre vie.

Maria Térésa m’entoure de toute son amitié. Je n’ai jamais vu une femme aussi heureuse du bonheur de quelqu’un, quoiqu’elle ne puisse que déplorer mon départ prochain et m’assure de tous les regrets qu’elle aura, de l’estime parfaite dans laquelle elle me tient.

Quant à moi, je suis encore toute étonnée. Vous n’avez pas opposé beaucoup de difficultés.

Il semblerait que la pension que le roi vient de vous octroyer tombe à point. Philippe V avait bien annobli Farinelli. Votre décoration de l’Ordre de Saint-Jacques accordée par le Jean V, roi du Portugal a dû inciter Ferdinando à vous honorer également.

Ce jeune homme est si scrupuleux dans tout ce qu’il fait, si consciencieux que Maria Barbara n’a pas eu beaucoup de peine à lui faire tenir ses promesses. Des circonstances bien favorables en vérité, qu’auriez-vous fait sans ces sommes et ce nouveau titre?

Je n’ai qu’à remercier aussi cette Cour qui décidément m’aura apporté, à sa manière, tant de sujets d’étonnements et parfois tant de bienfaits…

Ainsi mes biens vont m’être restitués. Mes avocats courtois et tenaces vous ont obligé habilement.

Frère Doménico va repartir et m’a promis de venir me visiter le plus souvent possible dans mon domaine de San Miledos. Bien sûr, j’y installerai un clavecin.

Quelles belles résolutions d’accords et d’harmonies je jouerai bientôt…

Adieu, Monsieur Scarlatti, je m’occuperai à bien autre chose que ces lettres que je signe ce soir, avec un mélange de gravité, de joie, en ces circonstances inespérées. Je prierai autant qu’il me plaira, pour la gratitude que je dois à la vie et pour les beautés et émotions que seule, la musique peut procurer.

On m’a parlé d’autres musiciens, un certain Bach qu’il me faudrait apprendre à jouer.

 

                                                                                  Fin

 

 

NB : L’ensemble de l’ouvrage est publié sous la rubrique: « La mantille noire… »