Je me nomme PIERRE, le prénom que l’on m’a attribué le jour de mon baptême. Enfant de père inconnu, je vis mes premières années auprès de ma mère dans un petit village vallonné, verdoyant et apaisant, situé dans le sud de la Vienne. A cette époque, l’adduction d’eau n’existe pas. L’eau, puisée dans une source, puis versée dans une charrette tirée par un âne est précieuse et consommée avec minutie. L’électricité commence à apparaitre dans le village.

 

A l’age de 10 ans, au décès de ma mère, je suis placé dans différentes fermes aux alentours, mes journées tournent autour de l’école communale et de quelques travaux à la ferme.

 

Au début de la seconde mondiale, vers l’age de 15 ans, j’échappe au séminaire et l’on me confie à ma sœur mariée, qui a 20 ans de plus que moi. Ma sœur m’attribue un second prénom, PAUL, afin que je n’aie  le même prénom que mon beau frère. Cette nouvelle identité de PAUL me reste collée une grande partie de ma vie, y compris auprès de mes enfants pendant leur jeunesse.

 

Arrivé chez ma sœur, j’exerce le métier d’ouvrier meunier dans un petit moulin durant les premières années de la seconde guerre mondiale. Je tisse autour de moi des relations professionnelles et amicales. Je suis très apprécié par mon entourage. Je découvre une autre vie où, en plus de la nourriture et du travail, je trouve une reconnaissance sociale.

 

Le 16 février 1943, le gouvernement de VICHY institue le Service du Travail Obligatoire (STO) pour fournir de la main d’œuvre aux usines du Reich,  elle concerne les jeunes des classes 1940, 1941et 1942. En contrepartie la ligne de démarcation qui n’a plus de raison d’exister est supprimée. Vu mon age, a priori je ne suis pas concerné.

 

Mais les choses changent peu à peu. En octobre 1943, les envois de travailleurs français (STO) pour l’Allemagne sont suspendus.

 

En février 1944, le Service du Travail Obligatoire  (STO) est étendu à tous les Français de 16 ans à 60 ans.

 

A partir de ce jour, je peux être appelé pour le STO. Avec quelques amis de travail, nous décidons de tout faire pour passer au travers de cette obligation. Nous essayons de vivre en semi clandestinité.

 

Par un matin d’avril 1944, je me rends à mon travail accompagné d’un de mes meilleurs  collègues. Au détour de l’église, nous voyons arriver à notre rencontre ma sœur qui nous interpelle : « Les enfants, venez vite me voir ! »

« Que se passe-t-il ? »

 « Vous êtes recherchés, on veut vous envoyer en Allemagne pour le Service du Travail Obligatoire. »

« Nous ne voulons pas y aller »

Nous rassemblons rapidement  quelques effets, de la nourriture que ma sœur nous a apportés ; et il nous reste plus que la fuite vers les bois aux alentours où nous avons entendu parler de l’existence d’un  maquis pour les réfractaires au STO.

 

Nous errons depuis plus de deux heures dans les bois lorsqu’au détour d’un fourré, nous tombons sur une demi-douzaine d’hommes armés :

« Que faites-vous ici en pleine nuit ? »

« Nous fuyons notre village car on nous  recherche pour aller en Allemagne pour travailler »

« OK, si vous voulez, vous pouvez nous suivre, nous sommes des maquisards, nous vous guiderons à notre campement »

Nous les suivons par cette  nuit sombre et froide, nous marchons pendant plusieurs heures lorsque nous arrivons à leur camp.

 

Nous sommes alors interrogés par le responsable du maquis et ils nous proposent  de nous joindre à eux, sous la réserve de changer de nom et d’avoir un surnom.

Ils m’attribuent une nouvelle identification : dorénavant, je suis connu sous le nom de Carnero et j’abandonne mes deux autres prénoms Jean & Paul.

 

Affublé de ce surnom, je passe la fin de la guerre dans le maquis où je participe à diverses opérations y compris la libération de plusieurs villes.

 

A la fin de la guerre, je retrouve la vie civile où je reprends mon deuxième prénom. Mes enfants, durant leur jeunesse me connaissent sous ce prénom et ce n’est que plus tard qu’ils apprennent mon prénom de baptême, lorsqu’ils vont à l’école et  qu’ils ont les fiches de parents à remplir.

 

Petit à petit, dans mon nouveau centre de vie, les amis m’appellent Pierre, mais dans mon village natal et à l’endroit où j’ai vécu chez ma sœur, on continue à m’appeler Paul, c’est pourquoi lors de mes obsèques, afin d'être sûr l’on me reconnaisse, les trois prénoms seront mentionnés à ma demande.