qui fit l’effet d’une bombe. L’ADN des rouquins contenait des traces génétiques d’ours grizzli mille deux cent fois supérieures à la norme internationale ! Or, les ours grizzli vivaient dans le Grand Nord, au royaume du Père Noël, où personne n’était jamais allé sauf un couple d'explorateurs pour y effectuer des prélèvements. Par quel cheminement, qu’on n'a pas le temps de détailler dans un conte pour enfants, des gènes d’ours grizzli avaient-ils pu atterrir dans les roses et les choux où filles et garçons continuaient tranquillement d' éclore? Cela restera sans doute à tout jamais un mystère. En tous cas, il était urgent d’agir pour éviter la pandémie.

Alors, grâce à cette prodigieuse avancée de la science les yeux se dessillèrent . Dans les royaumes occupés, il devint clair que la défaite n’était due qu’à la présence, dans une espèce que l’on croyait saine, d’ organismes génétiquement modifiés. Certes, les vainqueurs en tant que vainqueurs auraient pu se féliciter de la présence de rouquins dans leur troupes, mais puisque les vaincus accusaient les cuivrés (comme on disait à présent) avec une tel enthousiasme il convenait de valider cette explication en vertu du principe irréfragable qu'il n’ y a pas de fumée sans feu…

A quelque temps de là le vizir Toutencouleur reçut une lettre circulaire du grand Roi Vertdegris demandant de lui prêter main forte pour juguler le fléau cuivré. A sa lecture, le vieux vizir ne ne sentit plus de joie de devenir ainsi utile à son protecteur…Et ce fut une belle effervescence dans tout le sous-royaume !

Malheureusement, le seul véritable talent du vieux vizir était circonscrit à l’art du don de sa personne. Son chambellan Vertdegris lui conseilla donc avant toute chose de consulter le bucheron surdoué.Une sacrée tête que ce bucheron ! En effet à leur arrivée, les Vertsdegris, organisés, on l’a dit, comme un livre de maths, avaient fait passer un test de QI à tous lesToutencouleur valides,( sauf au vieux Vizir, évidemment !). Et là, surprise ! La palme était revenue à un pauvre bucheron qui savait à peine lire et écrire.Les test montrèrent que, tout en frappant les arbres de sa cognée, il avait réinventé dans sa tête toutes les théories mathématiques déjà connues, en avait même trouvé de nouvelles et pensait dans un monde à onze dimensions. Jaloux, les savants de l’institut national Toutencouleurs l’avaient renvoyé illico couper son bois !

Le vieux Vizir le fit donc quérir dans sa chaumière et lui promit la fonction prestigieuse d’intendant de la deuxième ville des Toutencouleurs s’il satisfaisait à la demande du Grand Roi. Le bucheron surdoué qui en plus d’être intelligent n’était pas bête , réfléchit quelques nanosecondes( l'équivalent de plusieurs heures pour un QI bas de gamme!). Seule la peur du ridicule le retint d’évoquer des questions morales mineures qui chatouillaient cependant son âme simple de forestier. Aussi, sans autre forme d’explications, il demanda à bénéficier de trois jours de réflexion ainsi que d' un laisser-passer universel et l’un des deux tapis volants nationaux qui n’avaient pas encore été réquisitionnés par les Vertsdegris.

Ainsi fût fait. Le premier jour, le bucheron consulta le Chaman des Chamans qui le reçut dans sa gandoura d’un blanc immaculé. Sourire séraphique sous des grosses lunettes à montures d’écailles, le religieux fut très clair. Lapidaire, même ! « Si le Grand Manitou a façonné l’homme à son image, croyez vous qu' Il ait voulu se faire une tête de grizzli ? Nous craignons que vous ne mesuriez pas toute l’étendue du caractère sacrilège de votre question mais que le Créateur vous pardonne mon fils ! Avons nous d'autres rendez vous, Fleur de Prairie ? ». Le bucheron n'insista pas.

Le deuxième jour, à cause d’ une panne due à un défaut d’entretien du tapis volant , le bucheron surdoué se présenta avec un peu de retard à son rendez-vous avec le Grand Gardien de la Nature . Celui-ci l’attendait en pianotant nerveusement sur le calumet court qui ne lui quittait les lèvres que pour manger et dormir. Les dents vissées sur la courte pipe, dans un flot de postillons et une haleine pestilentielle, Grand Gardien de la Nature déroula un raisonnement articulé en cinq branches (normal pour un bucheron !):
1° La nature, elle, ne ment pas !
2° Avant de réfléchir, il faut toujours appliquer le principe de précaution.
3° Les cuivrés ne sont pas des humains à part entière mais des organismes génétiquement modifiés à prophylaxiser au plus vite.
4° La couche de vert de gris qui empêche de les distinguer ne change rien à l'affaire dans la mesure où le royaume Vertdegris dispose de laboratoires d'analyses génétiques en quantité suffisante.
5° L' indispensable suppression des cuivrés n’exclut pas toutefois la compassion que l’on doit leur porter ainsi qu'à tous les vivants (même ceux qu’il faut éliminer comme les cafards les orties les rats le chiendent les corbeaux ou les mouches tsé-tsé).
Il n'en fallait pas plus pour rassurer notre bucheron. C'est donc le cœur léger qu' il regagna le tapis volant.

Le troisième jour, notre surdoué dicta ( il pensait trop vite pour pour former les lettres) en quinze brèves formules mathématiques toute la logistique du plan de traitement des cuivrés. Ce fut pour lui un jeu d’enfant qui ne suffit pas à occuper sa journée . Dans son élan, en deux équations supplémentaires et trois croquis bien sentis sur le mouvement pendulaire de la marche, il eut même le temps d’inventer les béquilles auto-mobiles invisibles sous les pantalons ou les jupes longues. Lumineuse trouvaille qui permit un mois plus tard au vieux Vizir de s'extraire miraculeusement de son fauteuil roulant puis, en dépit de ses belles promesses d' d'exclusivité, de reprendre au royaume la partie la plus vivante de sa personne pour la mettre dans les mains de vilaines petites cachotières. Mais j’anticipe…


NB: Retrouvez le premier épisode de ce conte dans la rubrique" Atelier d'écriture en cours" en haut à gauche de l'écran. Proposition d'écriture : "Il était une fois..."