Chaque année elles fleurissent ainsi, d’un seul coup, toutes en même temps, comme les cerisiers, et lui il court, il court partout, il court jusqu’à épuisement de ses forces dans l’espoir d’en cueillir une. Mais comme chaque année il se heurte au même échec, la fête se déroule sans lui. Alors le soir en rentrant il se demande pourquoi il est ainsi. Pourquoi ? pourquoi ? s’acharne-t-il à répéter en ouvrant sa boite de cassoulet William Saurin devant la télévision. C’est le grand problème de sa vie, celui qu’il n’aura jamais réussi à résoudre : pourquoi aucune, jamais, n’aura porté sur lui un regard exprimant autre chose qu’une indifférence vaguement dédaigneuse. Il en a abordé quelques-unes cette fois encore, comme chaque année, celles qui ne lui faisaient pas trop peur parce qu’elles n’étaient pas trop jolies. Il les a abordées la bouche sèche, le regard brûlant, comme un damné qui appelle au secours et elles se sont détournées de lui pour la plupart, ou bien quelques-unes lui ont cédé - allez savoir pourquoi ! - par ennui, par lassitude, et alors il s’est vengé sur elles de ce que les autres lui avaient fait subir en leur crachant sa semence au visage comme autrefois on jetait son gant. Et elles ont tout gobé les imbéciles ! C’est bien ce qu’il pensait, il ne séduit que les imbéciles.

Et maintenant voici l’été et bientôt – o bonheur ! – Florian sera délivré de son bagne domestique et ils pourront repartir ensemble à la conquête de l’Île du Possible !…

 

La première chose qu’ils ont pu constater en arrivant c’est que tous ceux qu’ils croisent sur les chemins les appellent maintenant par leur prénom. Les voici connus désormais, ils ont acquis droit de citoyenneté. Sinon rien n’a changé, pas le moindre détail, ni les arbres ni les personnes, ni la moindre pierre, chacun a replanté sa tente à l’exact endroit où il l’avait plantée l’année précédente. Ont-ils tous attendus ce moment avec autant d’impatience que lui ? Oui sans doute, comme si l’hiver n’avait été qu’une ennuyeuse parenthèse. La fête allait pouvoir enfin recommencer. Il a compris que ce qui unit si fortement cette communauté c’est l’égale reconnaissance que chacun d’eux éprouve à son égard d’exister tout simplement, c’est-à-dire finalement à l’égard de soi-même d’avoir su l’inventer. Et lui aussi a envie de leur dire merci à tous d’être là, le colonel de l’armée des Indes, l’halluciné nyctalope, le berger grec et tous les autres… Premières soirées à la guêpière, premières conversations philosophiques au bar de nuit. Refaire le monde, inventer une nouvelle société où il n’y aurait plus de hiérarchie ni de portes aux toilettes ni surtout de culpabilité à l’égard du sexe (mais alors là, mes amis, il y a encore du travail à faire ! ) Car bien sûr, comme les autres années, on ne parle que de ça, on ne pense qu’à ça. Les femmes se plaignent d’être beaucoup plus nombreuses que les hommes et les hommes beaucoup plus nombreux que les femmes, sans se rendre compte évidemment que chacun ne regarde dans l’autre sexe que ce qui l’intéresse, rejetant le reste sans même s’en apercevoir. Car ce qui est délicieux sur cette île c’est de constater à quel point les considérables efforts idéologiques que l’on a fait pour inventer un autre monde n’ont fait que reproduire l’ancien. Point tout à fait cependant car il s’agit ici d’un monde désabusé de lui-même, offrant si complaisamment au regard le spectacle de ses faiblesses qu’on est enclin finalement à tout lui pardonner et à en rire jusqu’à en mourir.

Et Florian ne s’en prive pas, il est partout, il s’esclaffe, il n’en croit pas ses yeux. Chacun devient pour lui un personnage fantastique, il invente des intrigues imaginaires et ensuite les narre à notre héros lors du déjeuner qu’ils continuent à prendre ensemble chaque matin. Quelquefois il pousse le bouchon un peu loin, inventant aux uns et aux autres des perversions, des vices secrets, des folies effrayantes, mais ce qu’il invente est tellement plus drôle que la réalité que l’on ne peut que faire semblant d’y croire.

En tous cas ce qui n’est pas une invention c’est qu’il a bel et bien retrouvé Sonia qu’il avait quittée sous la douche l’année précédente, souvenons-nous. Ils ont repris leur conversation au point où ils l’avaient laissée et celle-ci s’est terminée sous sa tente dès le premier soir. Pour Florian c’est une victoire considérable car Sonia est une des personnes les plus en vue de l’île. Grâce à elle il a acquis pour ainsi dire ses titres de noblesse. L’ennui c’est que Sonia l’a choisi sans doute parce qu’elle le trouvait drôle et Florian n’est drôle qu’a une seule exception : lorsqu’il se retrouve en tête-à-tête avec une femme. Alors il bascule dans le genre mystique, son regard tourné vers le ciel, il tire sur sa cigarette et le silence se prolonge. Au début elle n’a pas dû comprendre, mais comme elle n’est pas femme à s’attarder, au bout de deux ou trois jours il l’a vue au bar de nuit dansant avec un homme au sourire carnassier qu’il ne connaissait pas. Il a feint de ne pas y prêter attention. Il avait rendez-vous avec elle à minuit et ne doutait pas que le moment venu, après s’être débarrassé de son crocodile, elle viendrait le rejoindre. Cela faisait partie de leur jeu, en effet, que rien n’apparaisse aux autres de leurs relations et qu’ils ne se retrouvent que la nuit venue. On peut s’étonner d’ailleurs de l’apparente contradiction qu’il y a entre ce culte du secret et la nature d’une relation fondée essentiellement sur le snobisme mais nonobstant ce jeu le ravissait et il n’aimait rien tant que jouir de son triomphe en solitaire. Bref il ne doutait pas qu’au douzième coup de minuit elle réapparaîtrait.

Au douzième coup de minuit en effet elle est réapparue, avec une ponctualité à laquelle « l’homme à la montre » ne pouvait qu’être sensible, mais c’était pour lui dire qu’elle ne pourrait rester car son mari était venu la rejoindre. Ainsi le crocodile n’était autre que son mari ! La haine qu’il en conçut pour lui le tarauda jusqu’au dernier jour.

Quant à notre héros, voyez-le : il rame, il s’agite, il s’entête et rien, pas la moindre petite victoire qui vienne apaiser sa détresse. Il finit par croire qu’il est maudit car elles se détournent toutes de lui - enfin en réalité elles ne se détournent pas puisqu’il n’ose les aborder, en tous cas celles qui lui semblent parées de quelque attrait car pour ce qui est des autres elles sont vraiment trop laides et il ne peut s’y résigner !… À ce sujet il faut noter un phénomène étrange qui n’a pas été sans le troubler et susciter chez lui des interrogations auxquelles il peine à trouver la réponse : Depuis le début du séjour, en effet, il s’est lié d’amitié avec un jeune homme au look californien – bermuda à fleurs et silhouette juvénile - dont l’unique obsession est de multiplier les conquêtes féminines, (notre héros connaît bien cette propension qu’il a à rechercher la fréquentation de ceux qui sont à l’image de ce qu’il voudrait être) Or – et c’est là que réside l’étrangeté du phénomène – il se trouve que le taux de réussite de ce jeune séducteur est proprement hallucinant et que toutes les femmes en compagnie desquelles on le rencontre (il y en a quelquefois plusieurs dans la même journée) sont jeunes et charmantes. Notre héros, qui n’a pourtant pas les yeux dans sa poche, ne les avait jamais remarquées auparavant. On dirait qu’il les crée par un tour de magie, qu’il les tire de sa manche comme un prestidigitateur. Comment fait-il ? mystère. Ah ! si seulement j’avais remarqué celle-ci avant lui, se dit-il, et celle-là ! et celle-là encore ! Seulement voilà, il ne les avait pas vues… à moins que – hypothèse absurde – il ne les trouve jolies qu’à partir du moment où il les voit dans les bras d’un autre. Au fond il s’agirait alors du phénomène inverse de celui qu’il a pu observer bien des fois chez lui, par lequel une femme qu’il trouvait jolie devenait laide à partir du moment où il l‘avait conquise. Il ne cesse de tourner autour de cette idée sans se résoudre cependant à l’admettre. Préoccupation bien futile, dira-t-on, il y a des problèmes plus graves dans l’existence ! Oui mais voilà il se trouve que pour lui justement celui-ci est essentiel car il met en jeu ses convictions les plus profondes concernant la beauté des femmes et la valeur absolue qu’il lui attribue. C’est un peu comme s’il venait de s’apercevoir tout à coup qu’il ne croyait plus en Dieu. C’était donc cela que cette île du diable était venu lui apporter : une remise en question des fondements mêmes de sa foi ! Alors, dans ses conditions, autant se jeter dans les bras de la première venue ! se dit-il… et il se met à tourner autour des laiderons avec des regards louches. Il en pleurerait !… Mais rien n’y fait, il remet toujours au lendemain le moment de plonger dans ce cloaque qui lui fait horreur tandis que Florian s’est déjà consolé de la trahison de Sonia avec une femelle velue qui le comble de ses caresses.

Alors notre héros, pour se donner les forces nécessaires à la mise en pratique de ses résolutions, décide d’aller participer à un atelier portant sur « l’image de soi », proposé par un certain Edmond qui se dit médecin et psychothérapeute. Edmond a une quarantaine d’année et n’est pas du genre à plaisanter. Tout en lui, son visage austère, son regard d’épagneul triste, montre qu’il n’a jamais considéré l’existence comme une source de joie. Sa qualité de médecin ajouté à ce physique délétère lui confère une respectabilité qui impressionne les femmes. C’est dire qu’il n’a pas de mal à trouver des adeptes. Il a réuni ce jour-là une quarantaine de fidèles qui, selon l’usage s’asseyent en cercle sur le linoléum de la salle dans laquelle il officie tandis que, prenant place à son tour au milieu du groupe, il entame un exposé introductif auquel notre héros cesse bien vite de s’intéresser pour observer ses auditeurs. Ceux-ci semblent totalement subjugués par son discours dont ne leur parvient sans doute qu’une vague musique à laquelle ils ne songent guère à prêter un sens mais qui suffit à les mettre en extase. Quand il s’arrête enfin et demande qui veut prendre la parole des doigts se lèvent de partout, des mains se tendent dans un geste de supplication. Il semble qu’il n’y ait rien de plus important pour eux que de parler, de pouvoir enfin s’approprier les mots, de déverser sur les autres le poids de leur souffrance… Edmond désigne alors arbitrairement un de ces malheureux, un jeune homme du style « beau ténébreux », à la tignasse épaisse et au regard ardent, qui aussitôt entreprend de faire part aux autres de ses malheurs tandis que ceux-ci, condamnés à écouter celui qui leur a été préféré, se disent sans doute que décidément, ici comme ailleurs, ils sont voués à ne jamais avoir de chance. Il est question d’enfance gâchée, de viol, d’inceste… mais peine perdue, rien ne peut faire sortir le public de sa torpeur, chacun attendant patiemment qu’il ait fini dans l’espoir de pouvoir lui succéder. Alors, comprenant qu’il lui faut sortir le grand jeu, il se met à hurler, crache soudain la haine qu’il éprouve contre son père. Une vague inquiétude commence à s’emparer de l’assistance et Edmond, considérant qu’il est temps d’intervenir, va chercher un matelas qui traînait dans un coin et suggère au beau ténébreux de s’adresser à cet objet comme s’il s’agissait de son père. L’autre se met alors à le frapper à coups de poings, le plaque contre une porte qui sous le choc vole en éclats. Le voici maintenant le piétinant en se cognant le front contre le mur. On se presse autour de lui (les femmes surtout), on le couvre de caresses et de baisers. Sa fureur se change alors en larmes. « - Merci ! merci ! » murmure-t-il. Edmond lui tend un kleenex qu’il a sorti d’une boite prévue à cet usage et peu à peu tout rentre dans l’ordre. Le fauve redevenu doux reprend sa place dans le cercle.

Au suivant maintenant… Il s’agit cette fois d’une jeune fille à l’aspect résigné et l’assistance respire : avec elle on ne risquera pas de tels débordements. La malheureuse doit se demander de son côté comment elle va faire pour s’imposer après une telle démonstration. Il s’ensuit un long silence tandis qu’elle demeure immobile au centre du cercle, le regard fixé devant elle… Son silence génère peu à peu un certain malaise qui va grandissant au fur et à mesure que les minutes passent. On est suspendu à ses lèvres… Edmond, la main sur sa boite de kleenex, se tient prêt à intervenir. C’est alors qu’elle tend soudain ses deux bras devant elle comme en un geste de prière, et voici qu’on assiste à un phénomène singulier : ses mains se mettent à transpirer !… Ce ne sont d’abord que quelques gouttelettes qui coulent le long de ses doigts et tombent sur le sol mais la chose prend bientôt des proportions effrayante : les gouttes deviennent un filet continu. Si c’était du sang on crierait au miracle, on la prendrait pour une sainte ! Mais hélas pour elle il ne s’agit que d’un liquide incolore et huileux assez écoeurant. Le public est à la fois subjugué et horrifié. Edmond lui-même, malgré sa qualité de médecin, déclare qu’il n’a jamais vu ça. Il sort un kleenex de sa boite afin d’éponger son linoléum où s’étale une petite flaque tandis que la pauvre fille s’excuse : « - C’est toujours comme ça quand j’essaye de parler de moi. » Deux spectatrices se lèvent et entourent la malheureuse, la ramènent dans le cercle. On la regarde avec un sentiment mêlé de respect et de crainte.

« - Et voici venu maintenant le moment le plus important de l’atelier », annonce Edmond, visiblement satisfait du cours qu’ont pris les choses. Il demande aux participants de se répartir par groupes de trois et notre héros, incapable de choisir, se retrouve avec un gros jeune homme à l’allure timide et une femme sans âge aux cheveux crépus qui se sont rapprochés de lui quand tous les autres étaient en main. Les groupes se dispersent aux quatre coins de la salle. « - Il s’agit, explique le maître, de désigner dans chaque groupe celui qui acceptera de se mette à nu devant les deux autres. Mais je veux dire physiquement, précise-t-il. C’est-à-dire qu’il devra se déshabiller entièrement, et décrire avec le plus de détails possibles tout ce qui lui déplait en lui. » À l’énoncé de ce programme notre héros a des frissons d’horreur. Heureusement la femme sans âge se porte aussitôt volontaire, l’idée de se déshabiller devant deux hommes n’étant sans doute pas pour lui déplaire, et joignant le geste à la parole elle commence à se dépouiller un à un de ses vêtements. Pour notre héros, dont toute l’histoire montre que la nudité est une des choses les plus violentes qu’il ait eu à subir depuis sa plus petite enfance, la vue de ce corps blanchâtre dont aucune pilosité ne lui est épargnée est la pire épreuve qu’il ait connue depuis sa fameuse expérience du massage deux ans auparavant. Il contient comme il peut une nausée qui le prend à la gorge, tandis que le femme, indifférente, semble-t-il, à l’effet qu’elle produit, entame, comme il lui a été demandé, un relevé exhaustif de ses disgrâces. Et ce qui frappe alors notre héros c’est la précision et l’exactitude de toutes ses observations. Quelle connaissance de soi, se dit-il, et fondée sans doute sur combien de souffrances ! Rien ne lui a échappé, pas un bourrelet, pas une verrue, pas un repli de chair, sans parler des squames plantaires et de la culotte de cheval. Cependant elle parle d’un ton neutre et résigné. On sent que depuis longtemps toute espérance l’a désertée. Que peut-on lui répondre ? Qu’elle a raison, qu’elle est bien telle qu’elle se décrit ? Va-t-on la féliciter pour la justesse de ses observations ? Quand elle a terminé on doit encore sacrifier au rituel d’une ultime étreinte réparatrice. Et tour à tour le gros jeune homme puis notre héros doivent serrer dans leur bras cette pauvre créature en mimant une compassion qu’ils n’éprouvent pas et à laquelle elle doit feindre de son côté de croire. Notre héros joue le jeu tout en rageant in petto de son hypocrisie. Il aurait envie de lui crier que c’est une honte pour elle de se prêter à de telles simagrées dont elle connaît la fausseté aussi bien que lui, qu’elle sait qu’elle est laide et qu’elle sait qu’il le sait et que la moindre dignité consisterait à refuser ces fallacieuses consolations mais Edmond appelle alors les participants à se regrouper au centre de la salle et à former un grand cercle en se tenant par la main afin de « faire circuler l’énergie », dit-il, puis il demande à chacun d’exprimer ce qu’il ressent à cet instant et chacun y va de son compliment, remerciant le groupe pour tout l’amour qu’il a reçu et qu’il a senti le remplir comme une onde bienfaisante. Notre héros demande à passer son tour. Enfin le signal de la délivrance est donné et il se retrouve enfin à l’air libre, pressé de retrouver son ami Florian.

Comme il s’y attendait celui-ci ne se prive pas de rire de tous les détails qu’il lui rapporte mais a-t-on le droit de rire de ces éternels gibiers de sectes, éternelles victimes d’escrocs en tous genres qui exhibent leurs malheurs parce que c’est leur seul moyen d’exister. Ce qui était frappant c’était la farouche concurrence qui existait entre eux. La plupart sont repartis frustrés parce qu’ils se sont fait griller la vedette. Mais ils reviendront la prochaine fois pour tenter de nouveau leur chance, avec Edmond ou avec un autre, quelle importance ? la seule chose qui compte c’est de se sentir, ne serait-ce que quelques minutes exposé au regard des autres. Et au fond ne suis-je pas comme eux ? se dit-il. Moi aussi je vendrais mon âme pour un coup de projecteur. Et si cette île est un enfer c’est que personne ne vous y regarde, personne ne regarde personne, à l’exception de la toute petite classe d’aristocrates qui cristallise toutes les convoitises.

Florian, lui, prétend ne pas envier ces privilégiés, il tire gloire au contraire de ne pas en faire partie. Il se dit gentilhomme de campagne, étranger à la Cour, mais il est dévoré en réalité par un sentiment d’exclusion qu’il s’efforce de retourner en sa faveur pour s’en faire un titre de gloire, de même que, se sentant impuissant auprès des femmes, il met son orgueil à supporter la fréquentation des plus disgraciées pour prouver aux autres que cette honte qu’ils ne pourraient pas endurer lui seul en est capable.

Notre héros, lui, ne se laisse pas distraire de la route qu’il s’est tracé. Son but est désormais de conquérir une femme quelle qu’elle soit, belle ou laide à seule fin de se prouver que la chose est possible et qu’il ne tient qu’à lui de rompre le cercle maudit de sa solitude, reproduisant ainsi sans y penser la situation qui était la sienne au temps de son adolescence quand il cherchait désespérément une « petite amie » et que pour des raisons incompréhensibles il ne la trouvait jamais. Et là, de nouveau, comme dans son adolescence, et pour des raisons tout aussi incompréhensibles, voici que les jours passent et il reste toujours seul, accablé par le sentiment de son infériorité. Mais comme les ateliers sont un terrain privilégié pour parvenir au résultat qu’il veut atteindre, malgré ce qu’il trouve de dégradant dans le fait d’y participer il se contraint cependant à persévérer afin de mettre toutes les chances de son côté. Justement un de ces ateliers porte un nom particulièrement attractif : il s’intitule « Rencontres du troisième type » et il est proposé par un certain Hartmutt Schlier, de nationalité allemande, qui se prétend sociologue et affirme être venu ici pour y trouver le matériau de sa thèse. Voilà une garantie de sérieux. D’ailleurs Hartmutt a tout pour rassurer : un visage rond, orné d’une courte barbe, une voix douce, agréablement colorée d’un léger accent. Il ne veut rien dire de ce que sera le contenu de son atelier qui se déroulera en une seule séance, le soir, à partir de vingt-deux heures dans la maison des enfants, spécialement aménagée pour la circonstance et sera suivi le lendemain d’un « feed-back » auquel on doit s’engager par avance à participer. Il convient de s’inscrire pour s’assurer d’avoir une place mais l’engagement définitif ne sera pris que lorsqu’il aura donné lecture des modalités de son atelier. Tout ceci contribue évidemment à exciter la curiosité et l’on se presse autour de lui pour faire enregistrer son nom.