Une poche d'eau qui un jour s'est déchirée, signal d'une débâcle dont nous cherchons le salut dans une course au pouvoir, aux honneurs et autres vanités.
     Le Cancer apparaît comme le plus inconsolable et ne pourra jamais se satisfaire d'une fuite en avant. Il perpétue la bulle à sa façon. La refaçonne à perpétuité. Demeure le bébé nageur d'une eau originelle qui ne trouve pas son fleuve. Comme on s’attache à une absence, il garde un peu de cette féminité dont la naissance l'a rejeté.

     Tous les enfants des hommes sont des prématurés. Seul le Cancer ne s’en remet pas. Il ne demandait qu’à vivre dans le vivarium d'avant la perte des eaux. S'il est mal dans sa peau, c'est d'avoir été trop bien dans sa première enveloppe. Dommage qu’il ne soit pas né avec elle, devenue poche vitrée, couveuse à vie, hublot total permettant, sous abri, de contempler le monde.

     Tout son problème est là, dans cette glassnostalgie, ce regret de ne pas avoir vu le jour dans une transparence protégée.
Parfois il vous en parle, sans le savoir. Il vous dit la Lune, la ronde, le cerceau. Plus que tout autre, son enfance l'a marqué. Il vous dira qu'elle fut belle. Et pourtant, étai-il pleinement heureux ? Lorsque sa mère lui achetait un ballon de kiosque, souvent il le perçait ou le laissait s'envoler avant de fondre en larmes. Ainsi s’exprimait-il, faute d'avoir les mots pour le dire.

     Faute d’avoir pu faire autrement, il a grandi. C'est alors qu'il a tenté de réinventer le bonheur placentaire avec les mots qu'il a pu apprendre. Ceux de la langue maternelle.

     Sensible, poète, faiseur de rosée, inventeur de tendresse, il est tout cela. Tout ce dont peut rêver la néo-romantique sans oser le demander. Ni parfois se douter que cela existe.
Et s’il vous faisait l'amour dans sa bulle! Qu’en diriez-vous? Ce serait bien, non! Peut-être mieux que dans le lit de tous ceux-là qui ne sont ni sensibles, ni poètes, n'ayant inventé ni la rosée ni la tendresse?

     C'est un sentimental, voilà l'évidence. En vers ou en prose, il sera toujours le mieux disant pour les mots du cœur. Et dès qu’il entend parler d'amour, il sort son clair de Lune.
     Car la Lune est son astre à lui. Sa prédilection astrale. Un sein maternel dans un firmament. De sorte qu'il y a toujours beaucoup de Lunes avec ce Pierrot là. Et tant de bulles noctambules dans son ciel, qu'il peut vous en faire un collier.
La Lune, il est vraiment le seul à pouvoir vous la promettre et vous la décrocher.

     Lorsque vous le rencontrez, félicitez-vous d'avoir découvert l’âme d’un vrai lyrique. Et s'il tarde à se déclarer, faites-vous muse : le poète disparu s'échappera de son cercle pour venir vous rejoindre.
Tout l’inspire. Donnez-lui un fusil, vous en verrez fleurir le canon. Donnez-lui une charrue, il se fera poète et paysan. Pour autant, ne l’espérez pas au labour. Il est Signe d'eau, la terre n'est pas son fort. S'il épanouit la végétation, c'est de faire fantasmer la sève. Et rien ne se fera sans une complicité de pluie. Rien sans un espoir de fleuve; sans un rêve salin de retour à la mer.

     En le baptisant poète, n’oubliez donc pas de lui mettre votre grain de sel sur la langue et sur la plume. Le sel d’une larme d'émotion fera l'affaire.
Car c’est un grand sensible.
     Il module Verlaine jusqu'à se souvenir des jours anciens quand vous pleurez.
Il vous glisse dans son lit quand vous dormez.
Ne vous réveillez pas, dormez sereine : il tourne les pages roses de votre sommeil en vous protégeant des alea et des jacta-est.
     S’il a envie de jouer avec vous comme avec une poupée, c’est d'avoir trop envié ses sœurs lorsqu'il était enfant. Et s'il lui revient des envies jouer au docteur, alors c'est que vous lui plaisez vraiment.
Il aura même envie de vous épouser, pour jouer au papa et à la maman. Sa voix s'étrangle un peu lorsqu'il vous en fait la demande. Ça ressemble à un bourdonnement de mouche à miel. Comme celle qui fait sa ruche dans les Lunes de jeunes mariés.

     Bien sûr, vous n'accepterez pas sur un simple coup de cœur. C’est que vous entendez à son propos tant de jugements si contradictoires que ça justifie bien une hésitation.

     Certaines de vos amies qui prétendent le connaître vous encouragent. Il a les qualités pour. Il n'est pas que poète, il est popote. Il est la valeur sûre qui assure aussi bien dans la cuisine que dans la lingerie. Et aussi dans la chambre où, certains soirs de pleine Lune, il pourrait même se changer en vrai loup-garou des ébats nocturnes. Et s’il risque de vous faire un peut trop d’enfants, vous découvrirez qu’il compense par une âme de papa-poule…

     D'autres ne voient surtout en lui qu'une valeur spéculative un peu trop soumise aux variations lunaires et plutôt réservée à des lits d'initiées. Il faut savoir quand l'acquérir, comment lui faire monter la cote pour mieux le refiler au prix fort à la copine qui vient de se faire plaquer.

     Certaines, enfin, iront jusqu’à vous le déconseiller : trop bohème et pas assez fiable. Souvent brunch, il se lèverait tard. Parfois grunge, il négligerait sa toilette. Pour les plus sévères, il n'apparaît signe d'eau que pour mieux vous mener en bateau. Et sans garantie de prendre avec lui un vrai pied marin. Il vous promet l’embarquement pour Cythère et ne vous offre que le clair de Lune à Maubeuge. Ou encore, il ne vous parle que de sa vieille maman, à vous en donner le mal de mer.
Mais n'écoutez pas ce genre de discours cousu d’injustices.

     La vérité est que monsieur Cancer est un prince de délicatesse. Il est capable de revisiter pour vous des vertus aussi oubliées que la galanterie. Entrez dans son jeu un peu rétro et laissez-vous d'abord désirer. Attendrissez-le avec une jupe ou un boléro démodés. Réservez-lui quelque surprise du même goût à l'effeuillage. Par exemple : osez la jarretelle.

     Ce côté passé mode pourrait bien faire tout son charme. Et même si vous ne le trouvez pas au goût du jour, vous vous aurez tôt fait de le trouver au goût de vos nuits.
Ne le cherchez pas dans le cyberespace de quelque Internet – où ça pullule de Verseaux – mais plutôt sous les coupoles de la nostalgie, dans des lueurs de gomina et des hésitations de tango.

     Sa petite manie, c'est la collection – surtout s'il est ascendant Vierge. Pauvre, il collectionnera les cartes postales de nos grand-mères, leurs boites à épices ou de banania. Riche, il recherchera les automobiles de l'entre deux guerres. Il sera, dans tous les cas, attendrissant. Jamais il n'aura si belle âme qu'en passéiste secourable au volant de sa torpédo transformée en voiture balai pour les vieux mots, les vieilles croyances, les chromos en péril et tout le désespoir des talus.

Craignez seulement que son imaginaire ne vous dévore. Son paradis est pavé d’intentions possessives. Furtivement, il vous y entraîne. Avec ce crabe-tambour tout se fait sans trompette. Lorsqu’il en pince pour vous, il imagine une démarche aussi discrète qu’originale pour vaincre la distance.
Au cinéma, par exemple, il peut se livrer à une progression latérale, de fauteuil en fauteuil, jusqu'à venir se placer à côté du vôtre.
Son charme, c’est qu’une fois tout près, il s’interdit d’aller plus loin. Simplement, aux dernières images, alors qu’autour de vous on se lèvera bêtement, vous resterez tous deux assis, à tenter de suivre le générique de fin.
Vous vous quitterez sur le trottoir non sans avoir échangé quelques complicités de cinéphiles. Tout ça, copain-copain. Enfin… apparemment. Car il vous emporte en douce et régalera ses rêveries du soir avec le consentement usurpé de votre image.
Retrouvez-le. Aidez-le à traverser le miroir, ou l’écran ! Il vous rejouera à la séquence du baiser final — des fois que vous l’auriez oublié !
C’est une façon de faire connaissance qui en vaut bien une autre, non ?      Et si vous êtes séduite par cet homme dont l'enfance refuse de guérir, s’il vous plait qu’il pose la rime là où on attendait la raison, alors oui : épousez-le vite, vous ne serez pas déçue.