sentant que peut-être cette fois vous teniez quelque chose de solide, avez tenté de franchir le seuil des maisons d’édition ? Ou, sans aller jusque-là (se faire rabrouer gentiment par l’hôtesse d’accueil indifférente n’est jamais bon pour sa dignité) avez-vous déjà ficelé vos dernières relectures dans des paquets calibrés, que vous avez fiévreusement portés à la poste, rêvant obstinément dans les mois qui ont suivi qu’une bonne fée distinguerait votre nom au milieu de ces rames de papier destinées au tri sélectif ?
Hélas, je n’ai jamais eu cette audace. Ou plutôt, certainement trop velléitaire, je me suis réfugiée dans des écritures de tâcheronne, disons de commande ; tant de lignes à rendre à telle échéance avec l’assurance d’une publication immédiate dans une revue, sur un site, un poème envoyé pour telle circonstance à un lectorat captif, devaient me paraître plus abordables que de m’attabler à une œuvre longue qui me forcerait à ralentir le flot de mon quotidien. Un jour peut-être, quand j’aurai le temps, comme si le temps allait un jour, par enchantement, ralentir son rythme…
Mais paradoxalement, c’est une de ces commandes qui m’a fait approcher le monde de l’édition. Directrice de publication d’une revue (par ma fonction de présidente d’association), je suis souvent amenée à accorder des droits de copie ; mais je n’avais jamais connu la posture inverse : obtenir ces mêmes droits de copie de différentes maisons d’édition. Et c’est à l’occasion de la préparation d’une anthologie de la littérature de langue française de ces vingt dernières années, pour laquelle j’étais chargée de rédiger la partie française, que je me suis trouvée confrontée à une tâche qui requiert patience et ténacité.
Disons que plusieurs mois se sont déroulés entre les premières demandes et le dernier courrier d’accord ; et avec des résultats divers. Et des surprises aussi. Les pratiques se sont révélées fort variées. Si je voulais catégoriser, je pourrais faire le tri entre les grandes maisons et les plus modestes, entre les rapides et les lentes. Notre sélection d’auteurs m’a amenée à contacter une douzaine d’éditeurs français. Mais en fait le critère qui m’a paru, sinon le plus intéressant, du moins le plus significatif peut-être, est celui du tarif.
Parmi les grands groupes, pas d’hésitation, vous pouvez avoir les droits que vous demandez, à condition de payer en fonction du nombre de pages et de l’auteur. Et, n’ayons pas peur de la trivialité des sommes, vous allez de 60 à 80 € HT chez Fayard, même 90 € HT pour sa collection Mille et Une Nuits, à 70 € HT au Seuil, la palme revenant à Gallimard qui m’a accordé, après négociation, un tarif préférentiel de 189 € HT !
La démarche est différente chez les moyens ou petits éditeurs, la gratuité totale nous a été accordée avec beaucoup de courtoisie et de gentillesse par Actes Sud, POL, Stock, Albin Michel, l’Arche, mais aussi par Verdier ou même, dans certains cas, par les auteurs eux-mêmes.
Ma plus grosse surprise est venue d’un tout petit éditeur, Cheyne, monté en puissance grâce à un best-seller inattendu dû au bouche-à-oreille plus qu’aux circuits de distribution habituels : Matin Brun de Franck Pavloff ; il s’agit d’une nouvelle tellement lue qu’elle est accessible très facilement sur internet, si bien que je n’avais même pas pensé à demander les droits. Par acquis de conscience, je l’ai quand même fait avec un peu de retard ; et j’ai reçu une volée de bois vert que je n’attendais vraiment pas ; aucun droit de reproduction n’était jamais attribué, rien à faire ! L’ouvrage est en vente à un euro, donc on ne reproduit pas, sous aucun prétexte… et ils n’en finissent pas de faire la chasse sur internet aux reproductions illégales ; pas étonnant avec une attitude aussi outrancière !
Voilà ; je ne sais pas si j’aurai l’occasion un jour de fréquenter toutes ces maisons pour publier ; ce parcours de quelques mois m’a permis de me faire une première idée des circuits et fonctionnements. Mais je ne sais vraiment pas s’il y a le moindre rapport entre des places bien éloignées…


NB: Retrouvez tous les textes de Viviane Youx en utilisant la rubrique " Rechercher"