Dans une vitre d'autobus, par exemple. Mais il aura disparu entre deux arrêts.      Ou bien, dans les miroirs d'un salon. Vous observez de biais cet aimable causeur. Cette façon qu'il a de porter le champagne à ses lèvres. L'éventail de ses doigts d'où s'échappent les bulles. Le regard qu'elles traversent. Autour de vous, des figurants besognent dans la banalité en espérant vous retenir. L'ennui s'agglutine. Discrètement vous dérivez. Vous approchez votre coupe, et bientôt vous tombez sous la sienne. Sous le charme d'un humour qui brille avec les lustres.      Pour avoir pris goût à ces jeux de lumière, de reflet en reflet, vous finirez par tomber dans ses draps.
Pas de fringale hâtive, pas d'étreinte précipitée. Ce Gémeaux ne parait s'intéresser qu'à la surface de votre corps. À la gémellité de vos seins. De vos genoux encore serrés.
     Il a le don de tout effleurer. De prolonger les petits riens. Au plus dévêtu de votre abandon, il s'attarde encore à déjouer des linges imaginaires. Il a du doigté dans les mots et du discours au bout des doigts.














« Attrape-moi si tu peux ! »

     Le Gémeaux est un peu fou. Aimablement, il s'amuse de tout. Surtout des contradictions. Il accorde le singulier avec le pluriel. Découd les continents, recoud les archipels. Dans les prétoires de l'éternité, il plaiderait encore pour l'éphémère.

     Disciple de l'indiscipline, le courant d'air du changement ne risque pas d'enrhumer ses habitudes : il n'en a pas. Sans grand souci des réalités, il se laisse happer par les apparences. Vraiment fiable ? Peut-être pas. Et pourtant moins trompeur qu’on pourrait le craindre. On peut lui accorder une sincérité : celle de l'instant. Que l'instant ne soit pas fait pour durer, c'est dans la nature des choses. Et ce n’est pas la sienne qui s’y opposera. Plus mobile que lui, tu te changes en furet des bois. Plus volatil, tu t'évapores.

Des petites ailes partout.

     Le Gémeaux est très touche à tout. Est-il également touche à toutes? Oui, mais juste pour goûter. Sans prendre pension. Pas besoin de rond de serviette. On peut le déplorer, mais c'est ainsi : le Gémeaux lutine, butine et passe avec désinvolture de l’attouchement au détachement. Il est à classer parmi les occasionnels de l'amour, tout comme il y a les intermittents du spectacle. Il est passé par-ici. Il repassera par-là. Entre temps, il aura un peu trop couru les castings. Il faut bien faire connaître son talent, quitte à ne pas donner suite. Ce n’est pas par hasard qu’on représente son dieu, Mercure, avec des petites ailes partout.

     La rencontre vous dira tout de suite si vous lui plaisez. Troublé, il parle d'abondance. Le Gémeaux, c'est le blablatif absolu. Les mots le suivent comme un essaim d'abeilles – honey soit qui miel y pense! Il se lance dans des histoires à dormir debout mais qui visiblement cherchent un lit. L'effet que vous lui faites, il gagnerait sans doute à le dissimuler un temps. Impossible. Son dieu Mercure s'agite en lui comme un beau diable qui s'ingénierait de ruses afin d'entrer au paradis.
     À la moindre ouverture, au moindre signe de consentement, il se faufile. Verrouillez les portes, il passe par les fenêtres. Murez les fenêtres, il se change en passe-partout, en passe muraille, en tour de passe-passe, de toute façon il passe.
Une fois dans la place, tout continue de se passer dans la légèreté. Il parle de choses et d’autres. Mais ne vous y fiez pas : il pense à la chose et à rien d’autre.
     Les beaux matins de sa météo astrale ne cessent de lui prévoir des amours météores. Certains vous diront qu'il en oublie les sentiments.      Ce n'est qu'à moitié vrai. Admettons qu'il les égare, sans jamais trop savoir dans quel cœur. Le Gémeaux est dispersé. Un peu pagaille. Il laisse traîner ses affaires un peu partout et passe un temps fou à les rechercher. Chemin faisant, il papillonne. Il butine et lutine de fleur en flirt. Faut-il lui en vouloir ?

Double de chez double

     Les manuels d'astrologie vous auront prévenue : son signe est le plus double du zodiaque. Le Gémeaux est à lui-même sa propre altérité. Il ne quitte son double que pour désaltérer son ego.
     Car le Gémeaux et son double — Castor et Pollux — n'ont qu'un miroir de différence. Les psychanalystes vous expliqueront qu'ils en sont restés au stade du miroir. On ne sait pas trop ce que ça veut dire mais, par prudence, on évitera de laisser traîner des miroirs dans les stades.
     Entre deux miroirs, il est bien connu qu’on se démultiplie et qu’on s'éparpille. Le Gémeaux n'a vraiment pas besoin de ça.
Double deux fois plutôt qu'une, plus double que les yeux de l'ébriété, le Gémeaux est le seul signe reconnu d'ubiquité publique. Capable d'être à la fois au fou-rire et au moulin, il bouleverse les lois de l'alibi.
     Cette pluralité du moi, cet embarras du soi, l’inclinent à cultiver la fleur de quiproquo. À répandre dans l'air de son signe d’air la graine de confusion.
     C'est voulu et c'est bien.
     Qu'il vous propose, par exemple, d'écrire à quatre mains : il y aura, comme disait Devos, des mains en trop. Des mains en trop à occuper. Et quand on pense à tous les gants qu'il faudra leur mettre pour lui faire modifier une seule de ses phrases, le Gémeaux apparaît comme une véritable aubaine pour les gantières.

Les bruits courent, la vérité s’essouffle

     Afin de donner le change, il fait courir le bruit qu'il est malléable et pas contrariant. Mais lorsque les bruits courent, la vérité s'essouffle. Qu'importe! Avec Mercure comme agent, le Gémeaux est très fort pour faire courir les bruits et publier ses mérites. Au point que tous les astrologues l'ont cru et l'ont répété : La grande qualité du Gémeaux, c'est d'abord sa souplesse, son adaptabilité...

     Adaptabilité : un mot bien difficile à prononcer pour être tout à fait honnête. Le genre de mots que Démosthène devait se mettre dans la bouche lorsqu'il manquait de cailloux pour déclamer ses menteries face à la mer. S’adapter, pour le Gémeaux, c’est d’abord se faire adopter de tous les milieux Vous pensez qu’il vous suit là où vous allez. Vous vous retrouvez bientôt là où il va. Entre temps, il vous aura donné tous les signes d'une activité débordante. Mais à ne déborder vraiment il n'y aura guère eu que le bain dans lequel il vous aura mis, vous et votre candide bonne volonté. Ce Signe d'air, toujours au sec, vous fait barboter à sa place. Il a la foi : à vous de déplacer les montagnes. Et, s’il a les bonnes idées, à vous de creuser pour trouver le pétrole. Tout ça sans jamais vous contrarier ni vous contraindre. En souplesse, donc !

Double, mais sans duplicité

     Débrouillard mais pas mesquin. Il ne vous met à contribution que pour vous redistribuer la recette. Surtout si vous acceptez de la réinvestir avec lui dans le frivole. Dans tout ce qui peut joindre le futile à l'agréable.
Car il n’aime gagner que par goût du jeu. Son argent est aussi voyageur que son Mercure est vif-argent. La matérialité du gain n'est donc pas son affaire. Son signe d'air est assez généreux pour acheter le vent et l'offrir aux moulins.
Double mais pas trouble. S’il lui arrive de mentir c’est vraiment, mais vraiment à regret, pour se tirer d’affaire. D’ailleurs il se défend de jamais mentir. Il mobilise pour ça tous les accents de la franchise, qui benoîtement se laisse faire. Pensez donc, s'il mentait, ça se verrait ! Il parle bien trop pour ne pas se trahir. Il est comme condamné à dire la vérité… Dommage, le mensonge est si beau°! Il aurait volontiers vendu son âme pour une poignée de bobards ! Mais non, à vouloir mentir, il se couperait la langue. Foi de Gémeaux : il n'a d'autre issue que la franchise. Et, bien sûr, elle le perdra... Il vous l’explique… Il adore vous expliquer. N’aurait-il rien à dire, qu’il s’en expliquerait longuement…
Il parle, il parle. Il parle pour noyer vos doutes autant que pour meubler sa propre incertitude. Se protéger derrière sa voix. Se convaincre lui-même.
     Il n'est au fond qu'un grand enfant effarouché par le silence, tout comme les petits peuvent l'être par l'obscurité.

Mais qui dira la solitude du signe double !

     Pour qu'enfin il se taise, prenez-le dans vos bras, si vous êtes une femme. D'ailleurs, il vous le propose lui-même lorsqu'il est fatigué. Fatigué de parler à tout va et à tout vent. Car ses victimes l'écoutent, attentives. Tantôt amusées, tantôt émues.      Mais Dieu qu'il faut parler avant qu'elles n'aient ce geste, pourtant si naturel et si nécessaire, de vous prendre dans leurs bras !      C’est que dans l'agitation de son apparente frivolité, le Gémeaux cherche un clone au féminin. Une âme sœur dans toute la sororité du terme.
     Présentez-vous à lui sous son meilleur jour. S'il dit que vous lui ressemblez, c'est bon signe. Il peut bien vous prendre pour sa jumelle, ça ne l'empêchera nullement de vous consommer. Il ne fera jamais que réaliser son Narcisse.
Merci de l'avoir compris, de vous prêter au jeu et merci d'y trouver plaisir.