Ils n'ont rien à dire de plus que des tas d'autres, simplement, pour eux, c'est vital. Ils se sont mis à écrire comme d’autres se mettent à boire. Ils écrivent pour ne pas parler tout haut, tout seul. Pour ne pas finir sur un banc, la bouteille en érection près de la cuisse, à parler tout seul, tout haut.
Il faut leur dire qu'on les aime.

En dehors de ses délires celui-ci se présente comme un individu normal.
Un qui aura blanchi ses années à l'ombre des ordinateurs, des amphis ou des bureau, avant de jeter ses cravates aux orties.
Un qui conduit la voiture de monsieur tout le monde, change de vitesse, ne laisse pas trop le pied sur le débrayage, vérifie parfois le niveau d'huile, s'arrête aux feux rouges, repart quand on le klaxonne, porte son linge à la laverie, fait son marché, sa cuisine, éteint bien le gaz, allume la télé, lit son horoscope, n'y croit pas et préfère Proust sans l'avoir lu.
Il n’a tué personne, pas même son père. Ne s’est suicidé que très symboliquement, sans bruit, sans drame...
Chaque soir, il s'installe devant son écran. Un vieil écran, pas même un écran plat ou celui d’un portable qui lui permettrait de frimer dans le TGV ou autre lieu public.
Chaque soir, d'une pression du pouce, il allume son ordi. Ça ronfle, ça défile, ça s'enchaîne. Une collection de petits patches apparaissent comme suspendu dans le ciel qu’il s’est choisi sur Google.
Le voilà en pays connu. Il retrouve les mêmes gestes : agiter un peu la souris pour voir la petite flèche lui obéir, cliquer sur Times New Roman, 14.
Mais ne nous fions pas à un mauvais mot à mot : le temps n’est pas encore venu d’un nouveau roman. Il devra encore pas mal besogner pour ça. Times New Roman, 14, n’est qu’une façon de convoquer la police (14, pour la taille des caractères.)

Car il en est ainsi : chaque fois qu’il s’apprête à écrire, il appelle la police, comme s’il allait passer aux aveux. Ils y sont habitués. Ils ne se déplacent même plus, sachant bien que chaque fois il se rétracte. Il fait porter le chapeau à des personnages invérifiables avec juste ce qu'il faut de détails pour la vraisemblance et de gesticulation pour qu’ils laissent leurs empreintes.
Au fond, il sait bien qu’il est le seul coupable. Mais de quoi? et que faire contre ça?
Il se peut qu’un jour il passe à l’acte, comme on dit. Mais lequel et comment ? Voilà bien ce qui est imprévisible. Car il ne publie jamais rien. Pas même de bande annonce.
Tout au plus — quelques attentifs pourront peut-être en témoigner —, tout au plus aura-t-il montré certains signes avant-coureurs d'une fin de course.