Or je suis le seul après les versions contradictoires d'Heidi et André à pouvoir éclairer le lecteur.
En effet, la luxuriance narrative de Marie-Françoise Chevais s'accommode de petits arrangements avec la vérité qui l’ont fait, comme c'était à craindre, dériver très loin du courant phénoménologique austère, mais fiable, dans lequel s'inscrit le récit d'André Youx...
Or, la vérité m'oblige à dire que j’ai été bien involontairement le témoin oculaire de la scène. Quand je dis oculaire, c’est un peu excessif. Le peu que j’ai vu était charmant, mais, rappelez vous, il faisait très sombre. Je devrais plutôt parler de témoin auditif, et sur ce plan, j’ai été servi, je peux vous le dire !
Déjà, je suis un peu blessé de ce que dans son récit initial, André, un ami de toujours ait oublié ma présence à Gruissan ce week-end là. Nous nous en sommes expliqués au téléphone. C'est égal, se méfier des amis de trente ans cela a peut-être pu se justifier dans l'histoire récente, mais s’il faut contrôler les faits et gestes des amis plus de quarante ans, où va-t-on ?
Sachez que pour le groupe de potes qui étaient à Gruissan en ce week-end radieux de juillet 1967, la vie n’a pas redistribué les cartes. Nous sommes restés ce que nous étions.
Comme c’était à prévoir, Charles-Henri, est resté incorrigible. Il est à présent le recteur de l'une des plus grandes académies de France où il fait toujours le cuistre. Lui et ses certitudes, de guerre lasse, je les ai donc laissés à son public d'obligés, un troupeau tremblotant de subalternes subalternisés par sa voix de stentor.
Les autres, avec qui j'ai toujours des liens, occupent sans histoires des postes plus modestes et font comme on pouvait l'imaginer ce que la société attendait d'eux.
Mais ce pauvre André ! Nous nous sommes revus avec émotion avant mon installation à Londres. Toujours égal à lui-même dans ses lubies, comme cette nouvelle idée de blog ! Je garde beaucoup d'affection pour ce dégingandé agitant ses grands bras comme les ailes d'un moulin dans les courants d’air d’un château en ruine ! Mais comment le comptable aussi scrupuleux de nos chimères adolescentes a-t-il pu oublier ma présence à un moment si crucial ?
En fait, ce week-end là, j’étais passé en stop saluer l'équipe à Gruissan en rejoignant un boulot de serveur à la pizzeria « La Palma » à La Escala, petite station balnéaire de la Costa Brava.
Etait-ce pour nous chercher des bières, un paquet d’amsterdamer à rouler ou des journaux que je m’étais faufilé à travers cette brèche du mur au fond du parc qui permettait un raccourci substantiel vers le centre commercial, je ne sais plus.
Ce que je sais, c’est qu’en revenant, Heidi et André réunis me barraient pratiquement le passage. Et à l'évidence, la moindre distraction risquait de compromettre gravement la suite du déroulement de leur heureuse conjonction.
Je les ai contournés à pas de loup pour rejoindre le goupe. Mais pour entendre, j’ai entendu...à m'en boucher les oreilles de gène!
Elle s’en donnait à coeur joie, Heidi ! Quelle nature ! Quelle énergie ! Quelle fougue ! Quelle tessiture dans les graves! Nul doute que me parvenaient déployées à tire-larigot les affres renouvelées d’un plaisir authentique qui n'est pas si souvent atteint ! J' ajouterai pour ma part que j’ai du, pendant des années, refaire mes gammes avec un certain nombre de partenaires pour que me parvienne enfin, un jour, l’ écho assourdi de ce concerto réservé à André pour sa première fois. Et le renouvellement de tels symptômes chez mes impétrantes n'a jamais présenté le caractère automatique d’une expérience scientifique, loin de là!
Certes,on peut imaginer ce que l’on veut de la nature de leur relation et je ne peux totalement exclure le fait que dans son compte-rendu Heidi ait peut-être voulu ménager la susceptibilité de Franka qui l'attendait, nous dit-elle, au bord d'un lac en tenue d' Eve ,"toutes deux, seules au bout du monde" et peut-être pas seulement pour les charmes de la conversation.
Dans le doute, je veux donc bien lui décerner quelques circonstances légèrement atténuantes, mais tout de même pas d’excuse absolutoire quand je vois que notre allemande pâmée au-delà de toute mesure a le toupet Kolossal d’écrire, je cite :« La seule chose que je sentais, c’étaient les aiguilles de pin qui m’entraient dans les fesses et qui me faisaient pousser des petits cris de douleur ! (Peut-être a-t-il pensé qu’il s’agissait de cris d’extase !!!)
Je n'aurai pas l' inélégance de contredire une dame sur l'appréciation qu'elle seule peut porter sur ces moments là, et je pousserai même la galanterie jusqu' à la prendre au mot !
Alors, raisonnons un peu ! Si quelques aiguilles des pins du jardin public de Gruissan Plage judicieusement placées à l'endroit où Heidi les situe, ont un effet aussi miraculeux que celui qu’il m’ a été donné d’entendre, on a découvert le remède souverain contre la frigidité. Qu' on vende donc sans délai ces aiguilles en sachets dans toutes les bonnes pharmacies !
Londres, le 2 mars 2007
Paul Hauviannet