Comment les choses ont-elles commencé ? Tout le monde le sait. Une manifestation d’étudiants qui tourne mal, je ne sais plus pour quelle raison, et l’on apprend le lendemain par la radio que des dizaines de voitures ont brûlé rue Gay Lussac et que le boulevard Saint-Michel a été entièrement dépavé. Dès le matin je me rends sur les lieux pour profiter du spectacle… Je me souviens de ce lent piétinement de la foule. On est venu simplement pour voir, comme moi. Une foule sans agressivité, sans joie, sans tristesse, curieuse simplement, éberluée même, comprenant confusément qu’il s’est passé quelque chose et tentant d’en prendre la mesure. Ce qui frappe d’abord c’est la terre battue, on se croirait à la campagne, et puis les carcasses de voitures qui jonchent la rue, encore fumantes, dans l’odeur piquante du gaz lacrymogène, et puis les barricades que l’on commence à édifier en se servant de ce qui tombe sous la main, avec la même tranquille application que j’ai pu observer naguère rue Michelet, la même conscience d’accomplir un acte symbolique par lequel on s’organise pour repousser à l’extérieur la réalité que l’on veut dénier… Les jours suivants toutes les activités s’arrêtent progressivement les unes après les autres et le mouvement gagne tout Paris.. C’est ainsi, je pense, que naissent les religions, sans raison (pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre). Elle « prend » comme une sauce. Les arbres abattus jonchent la chaussée du boulevard Saint-Michel, des grappes de drapeaux rouges et noirs ont fleuries aux fenêtres de la Sorbonne. « Sorbonne occupée » indique un calicot. On entre visiter comme dans un musée : Ce que l'on peut voir à l’intérieur ne ressemble à rien de ce que l'on a pu voir jusque ici. Cette foule qui erre dans les couloirs m’en rappelle une autre, celle du Forum. La même surprise, le même orgueil aussi : C’est nous qui avons fait cela !… une foule bon enfant, qui défile comme à la Foire du Trône avec appareil photo en bandoulière. Je me souviens de ce père qui disait à son fils il y a dix ans :« - Regarde, mon fils, tu pourras dire : j’y étais. » Les pères d’aujourd’hui pourront en faire de même. Et moi aussi une fois de plus je suis là (comment donc est-ce que je m’arrange toujours pour être là ? ) je suis là et seul dans cette foule, spectateur de l'histoire une fois de plus, avide d'émotions, avec l'impression de voler des plaisirs auxquels je n'ai pas droit. Car moi je l’ai aimée cette Sorbonne, je l’ai aimée telle que je l’ai connue, avec ses amphithéâtres bondés, ses longues après-midi dans la bibliothèque silencieuse, et maintenant si je fais semblant de me réjouir comme tout le monde de cette révolution à laquelle je ne comprends rien c’est une exaltation malsaine que je ressens à voir brûler ce que j'ai odoré. Il y a des statues de Giacometti dans le grand hall de la bibliothèque, que l’on a sorties des salons privés du Doyen pour « les mettre à la disposition du peuple » car « l’art appartient à tous », et un énorme piano à queue sur lequel un étudiant chevelu joue furieusement des valses de Chopin, les murs sont bariolés de fresques et de slogans, les fameux slogans qui entreront dans l’histoire : Il est interdit d'interdire, l'imagination au pouvoir, je suis marxiste tendance Groucho, Sous les pavés la plage… Ils ont fleuris en une nuit. C'est stupéfiant, irrésistible. Qu'arrive-t-il donc au gouvernement, lui qui résistait encore il n’y a pas si longtemps à une tentative de putsch, aux complots de l'O.A.S. pour qu’il plie ainsi soudain devant une bande d’étudiants ? La Sorbonne occupée, les boulevards dépavés, la rue a pris le pouvoir, mais la rue c’est qui ? c’est quoi ? c’est nous ? c’est moi ? Mais moi je ne suis personne.

De nouvelle images, de nouveaux mots… Pour moi c'était une reproduction, au détail près, non seulement des événements dont j’avais été témoin dix ans auparavant sur les barricades de la rue Michelet mais aussi de la Révolution de 1830 telles que je l’avais imaginée à travers l'Éducation Sentimentale. L’histoire est-elle donc ainsi qu’un spectacle éternellement repris comme ces indémodables comédies qui font la fortune du Boulevard ? La foule envahissant les Tuileries, le prolétaire hilare s’asseyant sur le trône du Roi. La même absurdité, la même gratuité, la même exaltation. Plus que jamais je suis Frédéric Moreau, et tout ce que je vois comble cette attente qu'il y a en moi depuis toujours et dont je n'ai jamais eu conscience d'une grande démystification des choses sérieuses, d'une grande farce historique. Depuis le temps que mon père me disait que « la vie ça n'est pas une rigolade » ! Enfin, ce coup-ci on est vraiment parti pour rigoler. La rigolade élevée à la dignité d’un événement historique ! Mon pauvre père ! Rien décidemment ne lui aura été épargné !…

Malheureusement, je ne rigolais pas beaucoup, moi, durant ces journées, et c'était d'autant plus douloureux que tout semblait s'y prêter et que j'avais de plus en plus conscience que j'étais en train une fois de plus de passer à côté. Au lycée de Chantilly les réunions, les discussions se succédaient. Tous les cours avaient été évidemment interrompus et le lycée déclaré « occupé ». Je m'engageai à corps perdu dans le mouvement, prenant la parole avec fougue dans les assemblées générales, discutant avec la directrice pour la convaincre de l’intérêt de nos propositions qu'elle accueillait avec effroi. Mais malgré ses réticences et l'hostilité de certains collègues, le mouvement prenait toujours plus d'ampleur porté par le vent de l’histoire. C’était comme un mouvement un peu fou que nous tentions de suivre sans savoir où il nous mènerait et qui s'emballait de son propre élan sans que nous ne parvenions à le rattraper. L'administration du lycée, comprenant qu'elle ne pourrait plus rien empêcher, essayait d'accompagner les choses, la directrice et le censeur assistaient à toutes les réunions. Du côté des professeurs un fossé s’était creusé entre ceux qui étaient partisans du mouvement et fraternisaient avec les élèves, et ceux dont l'hostilité s'exacerbait au fur et à mesure qu'ils sentaient qu'ils étaient en train de perdre la partie.

Et moi je participais à toutes les réunions, à tous les projets : Exposition de sculpture dans le hall de l’établissement, organisation d'une fête sportive. Peu à peu le lycée était complètement gagné par la grève : les drapeaux rouges et noirs flottaient à la grille de l'entrée, avec la rituelle banderole « Lycée occupé » ! Le concierge avait renoncé à faire son travail. Entre qui veut. « Le lycée appartient à tous » ! L'intendance avait également cessé de fonctionner et les élèves eux-mêmes préparaient les repas. Avec quelle volupté je mangeais les sandwichs de Cécilia ! On organisait des corvées de nettoyage auxquelles les professeurs participaient,. Je balayais le réfectoire avec la même délectation que j’avais balayé la caserne !…

Mais bientôt voici que les trains cessent de fonctionner et il faut organiser des navettes pour ceux qui habitent Paris. Chaque matin j’attends devant chez moi le collègue qui doit passer me prendre. Il flotte encore dans l’air une odeur du gaz lacrymogène. Et puis bientôt l'essence vient à manquer à son tour et je me trouve alors devant un choix terrible : dormir au lycée ou renoncer à venir. Il n’est plus possible de faire le trajet entre Chantilly et Paris. J'aurais pu choisir le lycée, j’aurais vécu avec les élèves. Alors qui sait si Cécilia… J’ai fait le choix de rester à Paris.

Aussitôt bloqué chez mes parents, l'ennui s’est abattu sur moi, plus lourd que je ne l’avais jamais ressenti auparavant. Tous ce qui constituait le tissus de la vie quotidienne s’était défait : plus de métro, plus de bus, les voitures privées d’essence abandonnées en double ou triple files le long des trottoirs, plus de courrier, plus de télévision, les cinémas du Quartier Latin qui repassent les mêmes films faute d’être approvisionnés… je pensais à ceux qui étaient restés au lycée. Là-bas il devait s'en passer de belles ! Il ne me reste plus pour toute distraction qu’à errer dans les rues dans l'espoir de rencontrer une manifestation que je pourrais suivre pour me donner une contenance.

Dans les rues de Paris c’est toujours le même emballement, la même folie, les choses vont chaque jour plus loin que les plus optimistes n'avaient osé l'espérer. On a l'impression que tout se défait morceau par morceau, s’écroule sous nos yeux comme un château de carte. Les convictions les mieux établies sont balayées, les parents ne tiennent plus leurs enfants, les maîtres ne tiennent plus leurs élèves, les maris ne tiennent plus leurs femmes, les ministres ne tiennent plus leur peuple. Et l’on voyait dans Paris, toute la journée, des groupes de personnes seules, jeunes et vieux, hommes et femmes, qui se réunissaient pour discuter, pour essayer de comprendre, pour se convaincre les uns les autres et pour contempler ébahis ce qui était en train de se passer. Et moi j’étais partout, je n’en manquais pas une, qu'avais-je d'autre à faire ? Dans le grand amphithéâtre je suis là en train d’attendre Sartre qui doit, paraît-il, venir s’adresser au peuple (et qui finalement ne viendra pas), je chante l'Internationale comme autrefois sur le Forum je chantais la Marseillaise ; place de la Sorbonne je reconnais Aragon assis sur une borne. Il a l’air totalement hébété, on me dit qu’un étudiant vient de le traiter de « sale coco » - ; au théâtre de l’Odéon où chacun peut intervenir quand il veut, un homme, sur scène, raconte que sa femme le trompe et qu’il en a marre d’être humilié, et un autre lui répond que son problème est politique parce que « tout est politique dans la vie, camarade ! » Jean-Louis Barrault vient supplier en pleurant que l’on veuille bien épargner ses costumes dont certains se sont servi pour se déguiser. « - Les costumes de Tête d’Or, vous vous rendez compte ! » On se moque de lui parce que la culture désormais appartient au peuple. « - Claudel ! et puis quoi encore !… » Et il abjure le public de ne pas s’entasser sur les balcons qui menacent de s’écrouler… Je suis là encore, là comme partout, je suis l’éternel passager clandestin de l’histoire. Et puis la grande manifestation du 13 Mai - Dix ans ça suffit ! ça m'allait bien de chanter ça ! Je marche à contre-courant du cortège pour tenter de retrouver la bannière de mon lycée parmi les milliers de bannières qui hérissent le cortège – peut-être que je vais rencontrer Cécilia ! - et quand j’arrive au bout il ne me reste plus qu'à rentrer chez moi.

J'avais pris fait et cause pour les idées de Mai. Quant à mes parents ils étaient ébranlés. Ils ne comprenaient pas pourquoi cette révolution d'opérette prenait une telle ampleur, alors ils se disaient qu'elle devait tout de même contenir une part de vérité, qu'il y avait des choses qui les dépassaient. Et moi je souffrais de les entendre parler ainsi ! C'était comme autrefois, lorsqu'on prenait mes spectacles trop au sérieux. J'aurais voulu leur dire : Mais non tout ça c’est de la blague, ce n’est pas pour de vrai, on veut s'amuser simplement, c’est de la rigolade !…

Et chaque soir il y avait une nouvelle manif. Je rôdais tout autour comme un papillon fasciné par la flamme, j'entendais les coups sourds des grenades lacrymogènes qui faisaient trembler les maisons, je voyais s'élever les volutes de fumées - avec un peu d'imagination on aurait pu se croire à la guerre. Les foules refluaient en désordre, les camions, les ambulances sillonnaient les rues toutes sirènes hurlantes, mais quand la tourmente était passée il ne restait plus que quelques débris de voitures calcinées que l'on allait flairer comme des chiens.

Une si longue solitude, une si longue oisiveté. Marcher dans les rues de Paris, marcher interminablement dans tous les quartiers, sur toutes les avenues, puisqu'il n'y a plus que cela à faire, et que c’est ce que j’ai fait depuis toujours. Sur les Grands Boulevards des groupes de passants discutent avec les agents de police, chacun dit son mot, veut en convaincre son voisin et je me dis que c’est cela la France : la foi dans le pouvoir des mots ! Dans quel autre pays verrait-on des émeutiers discuter avec la police pour la convaincre de la justesse de leur cause. Partout il y a ainsi des groupes qui discutent, comme si de l'issue de la discussion allait dépendre la suite de l'histoire ! Je marche le long de la Seine, je vais jusqu'au Trocadéro. Là les rues sont calmes, désertes, il fait beau depuis le début des événements, un soleil égal, clair, léger, comme si le temps observait lui aussi cette suspension universelle des choses. Dans les jardins du palais de Chaillot je me repose sur un banc, un peu plus loin il y a une jeune fille ravissante. De ce côté-là rien ne change. Pas à craindre de bouleversement des valeurs ! Elle est assise elle aussi, oisive comme tout le monde. Si seulement j’osais aller lui parler ! Mais non, bien sûr, je n'ose pas, moins que jamais, je suis enfermé dans ma solitude. au coeur du mois de Mai, dans ce grand vide ensoleillé, dans cette vacance universelle, à l'heure même de la grande libération des cœurs, des corps et des âmes, je reste enfermé en moi-même et elle est comme le symbole de mon échec...

Et puis tout s'en est allé comme c'était venu, d’un seul coup, sans raison, comme une volée de sauterelles, une poussée de fièvre, un coup de folie. Tout s'en est allé un jour. Pourquoi ce jour-là ? Parce que tout avait été dit, parce qu’on avait fait le tour de la question, parce qu'on n'avait rien à ajouter, parce que la récréation était finie. On savait bien que le dénouement était inéluctable, mais c'est égal on s'était bien amusé, on les avait bien eu et on léguait à l'avenir un message qu'ils n'avaient pas fini de déchiffrer, le message éternel de la France, enfin celui que m’avaient légué les oeuvres du XIXème siècle, que j’avais étudiées dans cette même Sorbonne justement. En un mot Mai 68 avait été une révolution romantique.

Cela a fini un jour sans raison, simplement parce que ça devait finir. Il y a eu le discours du Général à la télévision. Depuis le matin on attendait devant l’écran qui retransmettait l’image fixe du Palais de l’Élysée. Le discours était annoncé pour onze heures puis remis d’heure en heure. Le bruit court que le Général a disparu depuis la veille. Personne ne sait où il est passé. Au point où on en est !… Et puis cette voix soudain qui sort du poste comme d’une tombe… « - Françaises Français… » cette voix qui appartient déjà à l'histoire. « - Je nomme les préfets Commissaires de la République, je dissous l'Assemblée Nationale… ». Cette voix qui nous cingle !… À la fin du discours ma mère est en larmes. « - C’était purement physique, me dira-t-elle ensuite, je croyais reconnaître la voix de mon père… »

L'après-midi, c’est la grande manifestation des Champs-Élysées.
Quelques jours plus tard, sous un prétexte futile, la police reprend la Sorbonne. Lorsque j'entends la nouvelle à la radio je me précipite boulevard Saint-Michel. Je ne comprends pas que ce soit fini, je ne veux pas. Pourquoi ? il n’y a pas de raison !… justement je sentais que j’étais sur le point de rejoindre les autres, je me sentais prêt… Autour de la Sorbonne il y a beaucoup de monde qui piétine devant des cordons de CRS. Les gens se déplacent en silence : la Sorbonne ! la Sorbonne où l'on s'était promené tous les jours, où l'on avait entendu tant de discours, tant de discussions, de concerts, la Sorbonne avec tous ses drapeaux rouges, et ses drapeaux noirs, et ses fresques murales, et ses slogans. Je n'arrivais pas à croire que je ne verrais plus jamais cela, c'était elle maintenant la Sorbonne que j'aimais, ma Sorbonne, hantée par les fantômes d'André Breton et d'Antonin Artaud, et de tous ces vieux amis que j'avais rencontrés un jour dans le silence de la bibliothèque et qui s'était levés pour faire la ronde avec nous, et il me semblait que c'était d'eux que l'on me privait maintenant, à jamais.

Je tournais autour de la Sorbonne isolée par des cordons de CRS : boulevard Saint-Michel, rue des Écoles, rue Saint-Jacques, rue Soufflot, partout la même foule silencieuse, sans réaction. J'aurais voulu galvaniser les énergies, ranimer le souffle révolutionnaire à moi tout seul. Devant la rue Cujas je rencontre un de mes collègues qui a été l’un des principaux animateurs des débats au lycée, il me raconte qu'il y a eu de nombreuses activités à Chantilly durant toutes ces semaines où je n'ai pas été là, un grand cahier de doléance a été rédigé, le règlement intérieur a été bouleversé, le censeur s'est finalement rallié au mouvement, plus rien ne sera plus comme avant. Et moi je n'écoute pas, je lui demande ce qu'il faut faire maintenant, là, tout de suite, pour délivrer la Sorbonne. Que va-t-il se passer ? Il doit savoir… Il me répond qu’il n’y a plus rien à faire, c’est fini. Je replonge dans la foule en martelant avec les autres : « - Ce n’est qu’un début, continuons le combat. Ce n’est qu’un début… » Sur la place de la Sorbonne un rassemblement plus important défie un cordon de CRS, et tout à coup la foule se met à siffler l'Internationale. D'un seul coup, d'un bout à l'autre du boulevard Saint-Michel, la foule se met à siffler. Et je siffle moi aussi à m’en faire mal aux lèvres… Mais après avoir sifflé que peut-on faire d’autre ? Je rentre chez mes parents.

Mai 68 était bien fini. Mais plus rien ne serait comme avant. Le Général ne s'en relèverait pas, une époque était accomplie Et ma jeunesse elle aussi était accomplie. Maintenant on ne parlerait plus de tout cela que dans les livres mais ce serait une chose toujours vivante à l'intérieur de nous, dont on continuerait à penser qu'elle pourrait toujours renaître à l'improviste n'importe quand, puisque ce qui avait eu lieu une fois pouvait toujours se reproduire. C'était un phénomène très curieux en effet. Des étudiant étrangers m'en firent la remarque des années plus tard : « - Vous êtes drôle, vous, en France, vous parlez toujours de Mai 68 comme si c'était hier, il ne se passe pas un jour sans que vous en parliez !… » Mais c'est que notre jeunesse était encore vivante dans notre coeur et que nous sentions bien que nous ne lui avions pas fait donner tout ce que nous aurions pu, et pourtant nous étions passé si près !

Les trains se remirent à marcher et je pus retourner au lycée où les cours avaient repris. Mais l'année scolaire était pour ainsi dire terminée et c'était une drôle d'atmosphère, faite à la fois de désenchantement et d'espoir malgré tout car nous allions pouvoir maintenant juger réellement ce qu'avait apporté le mouvement. Il n'était pas question de se remettre à travailler, aucun examen ne pourrait avoir lieu avant l’été, tous avaient été remis à la rentrée, et nous avions tellement pris l'habitude de discuter, de refaire le monde, que c’était une habitude qu’on ne pouvait pas perdre si facilement. Là dessus mon directeur de thèse me propose un poste d'assistant dans une université de province. Après m'être assuré que le train me permettrait de rentrer chaque semaine à Paris, j'accepte sans enthousiasme. Je suis triste en effet de quitter mon lycée au moment où tout va commencer, où les choses sont en train de se mettre en place. Mais les débats sur l’année prochaine, dès lors, ne me concernent plus. C’est un peu comme si j’étais déjà mort. On parle de constituer une troupe de théâtre, de modifier les méthodes d'enseignement … et moi je pense que je ne serais plus là et je suis étranglé d'émotion.

L’année s’est terminée sans que personne n'ait envie de partir en vacances. On parlait d'organiser un « lycée d'été », des « cours ouverts », des « stages de créativité » !… Je me suis retiré sans rien dire, en sachant que je ne les reverrais plus.

NB: Les textes publiés sont rassemblés sous la rubrique " Le roman d'un homme heureux"