Je suis sorti pour m’isoler, nous avons diné sur un bateau ancré à l’entrée de Moret-sur-Loing, l’ambiance après une journée de silence a été déchainée.
L’envie de sentir le contact de l’eau filant entre mes doigts a été impérative. J’en avais besoin pour me rassurer après ces heures d'activités intenses. Je me suis penché et la barque s’est inclinée au point que j’ai cru qu’elle allait prendre l’eau, le bruissement de l’eau est et sera éternel quoi qu’il arrive. J’entends les bruits et les rires qui parviennent jusqu’à moi par les hublots ouverts. Ils me confortent dans l’idée que les humains ne craignent pas de danser sur un volcan.
Je peux parler moi, après mon hold-up et ma dispersion du butin ! Hier soir j’étais épuisé après ma tournée des gares, cependant, j’étais soulagé, l’argent était dispersé et serait difficile voire impossible à récupérer, mais quelle tension.
Dans le peu de temps de sommeil qui m’a été imparti, je me suis réveillé en sursaut. Ce n’était pas en forêt de Chantilly que j’avais invité ceux qui voulaient participer à ma journée, mais en forêt de Fontainebleau, là où j’avais effectué un repérage des lieux. J’en étais resté éveillé une bonne heure sans pouvoir éclaircir cette énigme. Ce n’est qu’après avoir vérifié cette anomalie, et conclu qu’il n’y avait pas d’erreur, que c’était bien Fontainebleau, que le sommeil m’a pris jusqu’à la stridence du réveil !
Je n’ai été pleinement rassuré qu’une fois arrivé en gare d’Avon. Combien serions-nous, un, dix, plusieurs que sais-je on verrait bien ! Lorsque j’ai déroulé mon fanion orange, ils sont arrivés un par ou par paires, finissant par former un grand cercle autour de moi. Le résultat dépassait mes espérances. Je suis resté silencieux un long moment à les observer me demandant bien ce qui les incitait à venir me rejoindre.
Puis j’ai donné les consignes qu’il leur faudrait respecter tout au long de la journée, à savoir : que le silence serait de rigueur et devrait être tenu dès que nous aurions passé l’orée de la forêt. J’ai bien dit un silence absolu, toute la rencontre devrait se passer avec les yeux, les oreilles, le toucher, le nez. Ils devaient essayer de se concentrer, jusqu’à entendre le bruissement cristallin du sable filant entre leurs doigts. Les dés étaient jetés, la journée fut longue et difficile pour les « langues » et les estomacs, mais à leur avis le résultat était positif. Seul un couple avait disparu sans faire de commentaires.
Un vendredi soir de marathonien, un samedi de préparation olympique. Il fallait bien un dimanche sous la couette pour enfin dormir. Le lundi matin fut cependant comateux.
En allant prendre le bus, un motard a failli mettre fin à mes questionnements. L’homme qui me suivait m’a attrapé par la manche, pour me tirer rapidement en arrière :
- Eh, petit père si tu commences ta semaine comme ça, tu ne verras pas l’autre !
Sur ce il a éclaté de rire.
Pour la peine, je l’ai emmené boire un petit alcool revigorant. Lui pensait à un motard trop pressé, moi, à un avertissement. Il allait me falloir être plus prudent.
Les débuts de semaine sont souvent ennuyeux : les tâches qui incombent fastidieuses, courrier en retard, courrier à envoyer et à lire, dossiers à reprendre ou à ouvrir… la routine quoi !
Nouvelle rencontre avec le Boss que j’avais désormais en aversion. Je pensais lui faire plaisir en lui indiquant qu’il pouvait enfin rencontrer ses homologues pour la signature du contrat. Mais à son air renfrogné, j’ai tout de suite pressenti le pire.
La signature était reportée « Sine die » faute du non-respect de tous les avenants et de certaines clauses. Il lui était donc enjoint de faire le nécessaire et de reprendre contact.
Ne rien dire, ne rien faire, attendre les consignes. Il me semblait entendre les grincements des rouages de son cerveau. Il tapotait son sous-main avec un coupe-papier.
- Si vous n’avez rien à ajouter vous pouvez disposer.
Son assistante, qui avait dû être recadrée n’était pas venue proposer de café. Où va le monde !
Changer de registre me ferait le plus grand bien. Comme ma mission était terminée et qu’il semblait que l’on ne veuille pas m’en confier d’autres, j’ai décroché mon téléphone.
- Bonjour, c’est encore moi je…
- Vous allez raccrocher et oublier ce numéro. Vous avez entendu parler des plaintes pour harcèlement, non. Eh bien moi si, je suis avocate d’affaires et je vais me faire un plaisir de vous envoyer faire un tour au palais de justice !
- Si vous preniez le temps de m’écouter, nous pourrions régler cette affaire entre personnes de bonne foi, sans menaces, ni convocation, ni tribunal, ni tout le tintouin !
- Vous pouvez dire que vous êtes un coriace.
C’est pourquoi, ce jeudi midi elle a accepté que nous déjeunions ensemble, en tout bien tout honneur. J’ai craché, juré, je suis donc allé l’attendre devant son immeuble.
La brasserie se trouvant à quelques minutes à peine de son bureau, nous choisissons de nous y rendre à pied. Atmosphère un peu tendue et réservée, on peut le comprendre. J’étais certain qu’après notre repas toutes les incompréhensions seraient levées.
Un scooter nous a doublés, pour s’arrêter un peu plus loin sur le trottoir, le passager est descendu, a sorti un objet de sous son imperméable.
J’ai compris mais trop tard, de petites langues rouges sont apparues au bout du silencieux qui prolongeait le canon de son arme, cependant qu’autour de nous, on entendait vrombir des abeilles. Visiblement, il ne voulait pas m’abattre, car il a arrosé à tout va. Une vitrine est tombée en cataracte, une femme en trottinette est partie s’affaler dans un massif, sur un banc un homme qui lisait son journal a juste baissé la tête pour ne plus bouger.
Un autre s’est effondré, comme une masse, visage contre le sol, dans sa chute, il a lâché la laisse de son chien, celui-ci apeuré est parti courir au milieu des voitures. Mon avocate qui suivait ce désastre d’un regard terrorisé, a semblé s’envoler dans un début de pasodoble silencieux. Puis elle a chuté lourdement, et une tache de sang s’est étalée près de son épaule.
Je me suis allongé contre elle pour la protéger, sachant qu’il ne tirerait pas sur moi. C’est ce que j’aurais dû faire tout de suite alors qu’il était peut-être trop tard. Une sirène de police a interrompu leur démonstration, les incitant à remonter sur leur machine pour se fondre dans le trafic.
Elle me regardait, les yeux à la fois terrorisés et suppliants.
- C’était quoi, qui pouvait nous en vouloir ?
J’ai menti,
- Il y a d’autres personnes touchées, nous n’étions pas au bon endroit
- Je vous accompagne à l’hôpital !
La peur passée, elle pleurait désormais à gros sanglots, l’infirmier m’a dit de laisser faire, que cela allait lui faire du bien. Comme il m’a proposé de monter dans l’ambulance, j’ai accepté, et je lui ai tenu la main tout au long du voyage.
Nous étions désormais au cœur du sujet, j’étais devenu dangereux pour mes proches, qu’on allait utiliser contre moi pour me mettre la pression.
La balle avait traversé l’épaule, brisant la clavicule et déchirant ce qui l’entourait avant de ressortir dans le dos. Les douleurs allaient se faire sentir un certain temps.
J’ai attendu qu’elle s’endorme pour quitter la chambre. Une infirmière m’a annoncé qu’elle allait passer au bloc opératoire et qu’ensuite il la ferait dormir quarante-huit heures. Elle m’a rassuré pensant que j’étais son compagnon, puis elle m’a donné un numéro de téléphone pour que je puisse appeler pour avoir des nouvelles.
Je lui ai donné le mien pour être prévenu lorsqu’elle se réveillerait !
Je me sentais en responsabilité d’une femme dont je ne connaissais rien, ni son nom, ni son prénom.