Le parapluie de Jonas, déployé au-dessus de leur tête les abrite et les protège. Il s’est levé de très bon matin, notre petit garçon, pour accompagner Papy a la pêche ! Dès la veille, il avait préparé les bagages de ses petits amis, croquettes pour le chat et surtout cage pour le chardonneret. Il est fatigué, ses yeux se ferment, sous le tendre balancement du courant.

 

            

            ILREVE. Il est au bord d’un lac mystérieux, un lac d’un bleu profond, aux reflets d’argent ; une petite barque en bois, grosse comme une coquille de noix, est amarrée au rivage, dans les roseaux. Guidé par une force invisible, il saute dans l’eau, la détache et monte à bord, saisit les rames. Elles sont légères et brillantes comme des pales d’argent. Il commence à pagayer, se dirige sans savoir où il va, mais sûr de sa destination ; le vent qui se lève le guide vers l’inconnu.

 

              Qu’est-ce donc cette ombre tout au-dessus? Un parapluie géant ! il est fait de soie multicolore, le soleil le traverse en reflets chatoyants. Il fait chaud, murmure Tim, à la fois émerveillé et protégé. Il continue de pagayer avec une rapidité magique, le parapluie flottant au-dessus de sa tête, comme un compagnon fidèle.

 

             La barque glisse doucement vers le milieu du lac ; un gros chat, aux yeux très verts se tient là, sur une feuille de nénuphar géant, les fleurs font un tapis rose autour de lui. Tim se rapproche; le chat est assis sur la feuille dans la position du lotus, dite de la sagesse. Oui, ce chat, c’est le sage du lac, qu’on vient consulter pour avis et conseils.

            « C’est moi, le sage du lac, je vois tout, je sais tout, je sais tout ce qui se passe dans ta maison, je sais que ta maman est malade, et que tu as beaucoup de peine. Tim ! Tu te demandes si elle va guérir, redevenir ta maman d’avant. » Elle est dans son lit, elle ne peut plus bouger, ne parle plus et ça te fait très peur ! Tu ne peux en parler à personne, même pas à ton papa. Papy Jonas, lui, il sait tout ça. Il est un sage humain, comme moi je suis le sage du lac. Ne t’inquiète pas, je vais te conduire à tes parents ; ils ont quitté la terre, ils sont ici. Tu vas voir comme ils sont heureux. »

            « Mais je veux les voir tout de suite » dit Tim, transporté. « Et ma Mamie, est-ce qu’elle est avec eux ? Est-ce que je vais pouvoir rester avec eux ? ».

            « Non ,Tim, tu as encore beaucoup de temps à passer sur la terre ; on appelle ça l’enfance... Puis, tu vas encore grandir, être papa à ton tour, puis papy ; c’est quand on est vieux. Le chat fait silence, Tim écoute... Alors, ensuite, on y pensera !...  Au grand voyage ! ». « Penser à quoi ?» dit Tim. « Mystère, mystère ! » répond le chat d’un air malin.

 

            Il tend la patte vers Tim et dit d’une voix douce : « Tim, écoute ton cœur et ses pleurs. Les rêves sont les portes de l’âme ». Tim hoche le tête, même s’il ne comprend pas ; il sent chaque mot pénétrer en lui comme un miel nourrissant.

             D’un bond, le chat saute dans le bateau et s’assied à côté de Tim. Il prend une rame ; ils continuent leur voyage, sous le parapluie chatoyant.

 

             Le vent les pousse ; tout est beau et tranquille. Sur les berges, il y a des chardonnerets chanteurs ; leurs mélodies sont extraordinairement douces et tendres ; elles se répondent dans une harmonie parfaite. Le cœur de Tim s’emplit d’émotion, envahi d’un sentiment de plénitude et de perfection. On ne lui a jamais parlé de l’Éden, du Paradis Terrestre ; mais, sans le savoir, il s’en approche. Bienheureux, il se laisse emporter par le temps et l’espace. Il ferme les yeux et pense à ses parents ; ah, s’ils étaient là !

            Ils ont posé les rames. La coquille de noix se balance doucement, accompagnant son rêve. Le courant les conduit vers une rive, la rive d’une île minuscule, tapissée de gazon verdoyant et velouté. .

            Assis sur l’herbe, côte à côte, les parents de Tim et le grand-père Jonas, tous jeunes et beaux, rayonnants et éternels.

            Papy Jonas s’adresse à Tim : « Tu vois, nous avons quitté la terre ; ici, nous sommes bien et nous regardons en bas, tout en bas, la vie du monde. Ça s’agite, ça crie ça pleure. La vie, c’est difficile, c’est affreux et magnifique, injuste et juste, très court, très long, très tendre, très violent. Nous, on a posé les rames et, un jour, tu nous rejoindras. »

 

            « On sera réunis, dis maman, on sera réunis ! »