• Tu savais ? Perrette a un polichinelle dans le tiroir !

 

J'entends le mépris de Joséphine pour Perrette, elle est peu tolérante, elle la dénigre trouvant toujours quelque chose à critiquer. Elle la dit immature, insouciante, irresponsable, peu sérieuse, pas fiable.

  • Une moins que rien ! Tu te rends compte ce qu'elle coûte à la société ?

Je connais Joséphine depuis longtemps, je ne peux pas dire que ce soit une amie, mais une bonne collègue. Je sais combien elle est rigoureuse, sérieuse, consciencieuse, elle a le sens des responsabilités, très professionnelle, elle est rationnelle, logique, et très cultivée. 

 

Moi, je trouve Perrette plutôt sympathique, elle est gentille, toujours gaie et de bonne humeur, insouciante et spontanée, pas méchante du tout, elle aime rendre service, avec elle tout est simple.   

Joséphine avait souhaité aider Perrette, lui apprendre les convenances, l'aider à être plus soigneuse,

Au début elle n'a pas ménagé sa peine, mais elle a très vite réalisé que c'était inutile

  • Elle s'en moque, ça ne l'intéresse pas.

 

Perrette manifeste un désir de liberté enfantine. Elle me fait tendrement sourire quand je la vois sautiller avec légèreté, posant à peine les pieds par terre, évitant toute embûche. Elle porte toujours des jupes courtes, froncées à la taille qui voltigent sur ses longues cuisses musclées. De chaque côté de sa tête ses couettes dansent au rythme de ses pas.

  • Tu vois bien, elle n'a jamais les pieds sur terre.

Joséphine habite un immeuble cossu au centre-ville, Il témoigne de son raffinement, de son bon goût, tout est sobre, distingué, rationnel. Elle n'a jamais été chez Perrette qui habite une petite maison à la périphérie de la ville pleine de fantaisie. Il faut traverser un petit jardin où poussent ça et là, au milieu d'herbes folles, des soucis, des coquelicots, des marguerites, des bleuets dont elle est très fière. Elle dit protéger la nature et bannit tout pesticide, tout fongicide, tout anti-limace. Son jardin doit être un royaume pour les papillons, les abeilles, et il cache une famille de hérissons.

Puis on entre directement, dans la pièce à vivre où je n'aimerais pas vivre. Dans un coin, la cuisine se résume à un évier et une gazinière, au mur deux casseroles sont suspendues et sur une étagère des boites en faïence de tailles croissantes où est écrit en lettres bleues : farine, pâtes, sucre, sel.

Au centre une table ronde avec un napperon et des revues d'adolescentes. Au fond, une cheminée avec un dessus en marbre où elle a disposé ses poupées de collections. Au mur elle a punaisé ses dessins ou peintures et a accroché au plafond des mobiles de sa composition, pommes de pins et petits bouts de bois, petits bateaux ou autres pliages. Mais surtout, Perrette ne peut vivre qu'entourée de coussins ou de peluches en tout genre, de toute taille : des nounours, des singes qu'elle appelle ses kikis, des lapins, des poupées en chiffon. Je cherche sa dernière peluche préférée, elle la rangerait dans un tiroir ? Un polichinelle, comme elle, un cabossé de la vie avec sa bosse et de longs bras qu'elle enroule autour de son cou, lui confiant ses soucis, ses peines ou ses secrets.

 

L'été je sais que Perrette ne s'ennuie pas, elle se promène dans les parcs de la ville, marche le long du canal ou va boire une bière avec des gens de la rue, caressant leurs chiens. Mais là il pleut depuis plusieurs jours, elle doit être seule à tourner en rond. Je décide de lui rendre une petite visite. À mon arrivée je vois Perrette de dos, debout, elle scrute le ciel.  

  • Tu aperçois une fenêtre météo ? Est-ce que tu vois un bout d'arc en ciel ?

 

Perrette se retourne, ses cheveux raides tombent sur ses épaules, un sourire triste elle s'avance vers mois d'un pas lent, alourdi par un ventre rebondi. Je suis saisie, ma respiration reste bloquée.

  • Un polichinelle dans le tiroir ! C'était ça ?