Il pleut ! Il ne manquait plus que cela. Franchement, je me demande pourquoi j’ai suivi ma cousine, son enthousiasme m’a convaincu, mais c’est idiot, je me suis encore laissé influencer.  Quand il m’arrivait de regarder l’arrivée du Vendée Globe à la télé j’ironisais sur cette foule massée tout le long des quais pour voir passer un bateau. Et aujourd’hui, c’est un bateau cassé, rafistolé qui vient d’arriver. Bref ! Je suis là et il pleut. Il va me falloir attendre trois heures car pour être bien placé il faut arriver de bonne heure. Toujours très terre à terre je me demande qui peut se payer de tels bateaux ? Il faut être né dans des draps en soie, ce sont des enfants gâtés.

Combien est-on là, tassé sur ces quais, sous la pluie, chacun isolé dans sa cape, le dos courbé et la tête penchée en avant. La pluie sur nos capes fait un bruit sinistre.

Progressivement les conversations s’amorcent :

-            On ne va quand même pas se plaindre, si on pense à ce qu’ils ont vécu, ils ont essuyé quelques grains bien pires. Ils n’ont pas toujours été au sec.

-       Là il pleut mais il ne fait pas vraiment froid, au cap Horn cela devait être autre chose.

Chacun évoque ce qui lui paraît surhumain.

-       Lui, cela fait 98 jours qu’il est parti, jamais faire une nuit complète.

-       Il doit rêver d’un bon steak-frites et d’un verre de vin rouge

-       Le plus vieux a 68 ans, quand il est arrivé il était épuisé, il ne trouvait plus ses mots.

-       Moi, je pense à leurs femmes, elles doivent trembler quelques fois.

-       Ils ont vécu l’enfer, tout cela pour franchir la ligne ! C’est leur seul but, leur obsession, leur rêve, leur eldorado !

Écoutant ces conversations, j’oublie la pluie qui n’est plus qu’une petite bruine. Des mots tournent dans ma tête courage, détermination, volonté, ces enfants gâtés ne sont quand même pas des mauviettes.

-       Il arrive !

Il est encore loin, il avance lentement. La foule devient silencieuse, chacun se hisse pour mieux voir. Puis ce sont des applaudissements. Il se rapproche, il est tout petit au milieu de son bateau. Même réduit de moitié le mat reste imposant. Il lève les bras, nous salue. Des applaudissements silencieux, la foule reste sans voix. Une ovation pleine de respect et d’émotion. Moment étrange où je me sens à l’unisson avec cette foule admirative. Un frisson le long de mon dos me donne le sentiment de vivre un grand moment.  

Puis la foule se déplace rapidement vers le stand où le marin va donner une conférence de presse. C’est l’impatience, on attend, la foule est devenue joyeuse.

-       C’est formidable, il est là.

Les applaudissements explosent, deviennent bruyants, en chœur nous crions des bravos. La pluie a cessé et le soleil apparaît. La foule éprouve une certaine fierté comme si c’était chacun de nous qui avait réussi. Il nous remercie d’être là, il dit sa joie, puis il évoque ses difficultés

-       C’est toujours la nuit que les emmerdes arrivent, j’ai pleuré beaucoup pleuré, je pensais : c’est fini. Dans ma main je n’avais que des cartes de merde, et puis perdu pour perdu, il valait mieux que je cherche une solution, j’ai bricolé un mat, j’ai adapté mes voiles, ça a tenu, bon, ça allait moins vite mais je suis arrivé. J’avais 16 ans quand je me suis promis de faire le Vendée globe.

Il a envie de faire la fête, il a encore beaucoup d’énergie, ce soir il nous invite à aller danser.