Ils entraient par plusieurs portes.

 

            Les nécessiteux et les lépreux empruntaient la petite porte en bois qui donnait sur une venelle malodorante et jonchée d'ordures. Une porte sans trop d'allure mais solide quand même, avec un gros verrou cadenassé tous les soirs après que l'on ait vérifié qu'ils étaient bien tous ressortis. Leur donner quelques hardes et quelque pitance, oui, cela faisait partie des préceptes religieux des gens du château. Tolérer qu'ils passent la nuit dans l'enceinte, qu'ils partagent la couche de leurs filles, voire qu'ils en abusent, c'était inconcevable. Ils devaient rejoindre leurs cahutes mal calfeutrées, pour certains même se construire un semblant d'abri de feuilles et de paille, et risquer les morsures du froid et des bêtes sauvages.

 

            Les serviteurs et les messagers côtoyaient les marchands à travers la grosse grille ajourée juste après le petit pont-levis, qui n'était ouverte qu'à heure fixe, et que l'on ne franchissait qu'après avoir produit qui un sauf-conduit, qui un pot de vin, qui sa mine familière. Bien que n'étant pas du même monde, ils ne vivaient que par la grâce des seigneurs et des bourgeois qui leur achetaient leurs tissus, leurs saucisses, ou leurs services.

 

            Les nonnes et les religieux, ceux du moins qui n 'étaient pas cloîtrés, avaient eux aussi leur propre porte, assez modeste, à deux cent mètres de l'église. Elle n'était pas très fréquentée, car qu'a-t-on à voir du monde quand on a dédié sa vie au Créateur ? Pendant les croisades cependant, on y voyait des files de religieux, qui sur des ânes, qui à pied, quitter la ville pour la Sainte Jérusalem, destination hasardeuse dont peu revenaient. 

 

            Quant au seigneur avec sa cour, on baissait pour eux le grand pont-levis, les hallebardiers accompagnaient ses déplacements, et on baissait la tête en signe de soumission sur son passage. Les bourgeois qui l'accompagnaient se tenaient raides comme des piques, les dames étaient en chaises à porteurs, bref, ils étaient emprisonnés dans le protocole bien plus que les manants qui cultivaient leurs champs alentour.

 

            Il y avait aussi la porte dérobée, plus ou moins gardée celle-là, qui donnait sur un tas d'immondices que l'on épandait à l'occasion sur les champs et cette porte, bien que nauséabonde, ne rebutait pas les vilains et femmes de petite vertu qui venaient faire leurs affaires près de quiconque leur procurait de l'argent.

 

            Par laquelle de ces portes était-elle entrée, la Grande Faucheuse, personne ne le savait. Elle se moquait bien, elle, de la bienséance. Et même des entrées. Elle s'était peut-être déplacée avec le vent, ou bien elle avait accompagné dans leurs trous ces petites créatures immondes, les rats, que l'on tenait pour responsables de la propagation de l'épidémie. Ce qui était sûr, c'est que l'on avait muré toutes les entrées de cette naguère paisible ville, et que l'on avait laissé s'éteindre hommes et bêtes impitoyablement.

 

            Au bout de six mois, quand on avait pénétré à nouveau dans l'enceinte, les rues jadis animées étaient désertes. Les registres de l'église indiqueraient que les trois-quart des gens avaient péri, jeunes et vieux, bourgeois et manants, impies et nonnes. Etait-ce la famine, était-ce la peste, qui avait fait le plus de victimes ? Qu'importe ?

 

            Finalement, les plus chanceux, cela avait été les lépreux, et la plèbe, qui, chassés hors des murs, avaient pû survivre dans les bois...

 

            Alors, génial, le Moyen Âge ?