C’était il y a 20 ans ; né des doigts d’un vannier qui avait un grand béret, l’accent béarnais et qui se parlait tout seul en courbant mes brins. Quelle poigne ! Trempé dans l’eau du gave pour assouplir mes brins. L’eau glacée ! La manière forte je vous dis ! Mais quand même, j’avais de jolies courbes !

Première carrière : panier à bûches : une parisienne m’embauche sur le marché de Nay, sans voir que je n’étais pas fait pour ça : je suis fermé de toutes parts.  Ah les touristes ! Elle me donne à sa fille et j’entame la carrière intello-musicale qui est encore la mienne. Comme vous voyez, j’ai du vocabulaire ! Multi fonctions, multi cartes, au bras de ma maitresse, un peu survoltée il est vrai, toujours en train de courir. C’est une musicienne. Il parait que j’ai la taille exacte, le fond plat qui lui permet d’entasser les partitions, le clavier et aussi les bonnes choses des piqueniques, fréquents sur les chemins de musique. Mes flancs dorés – osier pleine tige verni s’il vous plait – contiennent les notes vagabondes… Je suis très myope, mais je ne suis pas sourd et je commence à m y connaitre en styles de musique.

Depuis 3 ans elle se pique d’écrire ; comme si elle avait besoin de ça ! enfin ce que j’en dis ! On va dans un beau château ; elle me pose à ses pieds sur des dalles bossues ; pas terrible pour l’équilibre et pour mon vieux dos. A défaut de voir tout, j’entends tout. J’ai le fond tout cabossé ! Là aussi, on mange !... et que du bon, du choisi… mieux que chez les musiciens où c’est expéditif… Je me retrouve rempli de melon, de cochonnailles ; parfois, ça coule un peu sur les liasses de feuilles. Bah ! Je me dis que je suis bien nourri ! Vous allez dire que je ne pense qu’à manger mais, pendant qu’ils travaillent, je me chantonne des choses belles et poétiques. Ma maitresse les chante dans ses concerts. Tiens, je me rappelle : une dame en son château, comme cette Viviane : « mollement accoudée à ses vitres de lune, la reine vous salue d’une fleur d’amandier » et ça finit : « En son château de givre aux doux vitraux de lune ».

Ma maitresse, c’est comme ça qu’elle écrit et qu’elle chante tous ces mots : de la poésie, des ambiances, du voyage quoi ! C’est une rêveuse et je crois qu’elle a du mal avec les barrières à sa fantaisie.

À l’Écritoire, j’arrive bien lesté de feuilles, de cahiers, de bonnes nourritures, c’est gastronomico-littéraire, je vous dis ! On s’installe autour de la table habillée de rouge foncé, la nappe longue me retombe dessus ; puis plus un bruit. Je m’endors un peu… mais on ne peut pas vraiment se reposer, vu la quantité de coups de pieds impatients que je reçois sous la table. Ah c’est du sport ! On soupire, on s’énerve, on s’indigne ; encore une consigne grande comme une montagne et aussi des rires dans le silence ! Chacun est dans son monde et vit la naissance de son histoire. Mais ils sont tous ensemble et accordés par quelque souffle impalpable. Tiens ! Un beau mot appris avec eux.

A la poursuite de « l’invisible Etoile » – encore un truc que chante ma maitresse – le mot chanté ou lu ? La même course qui se charge de sens et de couleur au gré des rencontres avec d’autres mots si pareils et si différents… Mais je m’emmêle à parler de choses aussi fortes, trop fortes pour un panier ! Cette tension dans le silence ; ces gens à la fois séparés et unis ! Je suppose que ma maitresse me ramènera ici à l’automne ; c’est un lieu de respiration pour elle qu’elle dit.

Après, c’est comme un repas de famille : la famille de ceux qui écrivent au banquet des mots et ça me plait bien !