« Villa sous les pins »…. Pas de gros efforts d’invention dans l’intitulé ; mais c’est notre maison de famille, style balnéaire 1900, entourée d’un petit parc planté de pins et de chênes verts.

Je dis : notre maison, elle est un peu la mienne depuis que mon amoureux m’y a amenée il y a 5 ans

L’été, la chaleur écrasante de midi, dans l’odeur résineuse des pommes de pins maritimes. Le bon gros déjeuner dominical, la tradition des traditions sur la grande table au fond du jardin, à l’ombre des chênes verts et à l’abri des vieux parasols rayés rouge et blanc. Ils fanent et s’effrangent un peu plus chaque été ; Jeanne, la « reine mère » a dit qu’on les garderait jusqu’au bout.

« Moi ce qui me fait du bien, c’est quand il ne vient pas, on respire ! Le Papy, avec ses langoustines et la mayo qu’on avait oubliée ; c’est trop ! »,  Soupire Elsa, penchée sur l’évier ou elle agite avec nonchalance les couverts du déjeuner pour les rincer.

Elsa, c’est ma presque nièce, rigolote et exaspérante, une petite minette de quinze ans, fille unique de l’ainé de la tribu, l’allure indécise, toute en courbes vagues, à peine contenues dans un mini maillot turquoise. Elle en a déjà pris pour son grade quand le Papy est descendu de voiture ; il s’est moqué de sa tenue et elle n’a pas supporté. Donc, sous prétexte de faire la vaisselle – fonction dévolue officiellement aux filles de la famille, les dimanches à langoustines – elle s’est refugiée dans la minuscule cuisine qui ouvre sur le séjour, à la fois buanderie et douche. La déco est charmante aménagée de bric et de broc par Jeanne ; elle fait oublier l’aspect peu pratique, limite insalubre du lieu.

Ainsi à l’étroit, près d Elsa, je me dis qu’elle se bougera la prochaine fois pour cette histoire de mayonnaise, que c’est Jeanne qui fait tout ici et que nous devrions l’aider davantage à passer l’épreuve dominicale. 

Le Papy, c’est le chef de la tribu indocile !                                                                                                                                                                                                

Chef  d’entreprise en Charente. Pas de vacances pour lui. Il vient quelques heures tous les dimanches : repas de tradition, sieste sous les pins et quand on entend le crissement des pneus dans l’allée pour son départ, c’est vrai que tout le monde respire !

J’essaye d’expliquer à Elsa que son grand père est très occupé et soucieux, donc pas détendu mais je ne suis pas bien convaincante… ni convaincue d’ailleurs. Elle me rétorque, argument suprême, que Mamie Jeanne, en bonne  charentaise, l’appelle bien le « Chasse la Paix » ce père et mari bien lointain. 

On la sent bien crispée et mal à l’aise aujourd’hui : le « Pater » est venu déjeuner et chacun   au garde-à-vous doit assumer son rôle pour que tout se passe bien ; ça veut dire sans  éclats de voix ni propos furibonds. En effet, au moment ou Elsa me dit « Ça y est, ça va tomber ! » une avalanche sonore déboule du fond du jardin : « ces gamins, tu les laisse tout faire ! Ils n’ont même pas mis le couvert correctement. Allez me chercher un tube de mayonnaise chez le Père Chauvet, mais ça va être fermé, à l’heure qu’il est ! C’est bien la peine que je vous porte toutes ces langoustines et toutes cuites encore ! On gâche tout dans cette maison ! » Silence radio autour de la table.

Et je me dis en empoignant le torchon qu’on gâche tout, oui, surtout le silence paisible de ce superbe après-midi d’été.