C’était vraiment une pauvre femme, habillée avec ce qu’elle pouvait, les cheveux longs lui rétrécissaient la figure et lui donnaient un air de chien battu. Elle marchait la tête baissée les épaules courbées. Je me suis demandée pourquoi je m’intéressais à elle. En fait, non, ce qui m’intriguait, ce que je cherchais à comprendre c’était pourquoi, dans la vie, quand ça commence de travers, ça continue toujours de travers.

J’avais vaguement connu son père, un bosseur, le travail ne lui faisait pas peur, mais chez lui, c’était autre chose. Il ne perdait pas de temps en discussion, une bonne calotte et c’était bon. Combien de fois sa femme s’activait en pleurant. Il avait eu quatre enfants mais seulement les deux du milieu méritaient son attention. Elle était l’ainée, il l’avait appelé Sophie, je ne sais pas si c’était à cause des malheurs de Sophie. Tout naturellement, les tâches ménagères lui incombaient, mais malgré cela, il la traitait de bonne à rien qui ne réussirait rien dans la vie, elle était de la graine de voyou.

Elle était encore jeune quand elle a rencontré Bruno, un gars du village voisin. Il avait un certain charme, plutôt séducteur. Il semblait solide comme un roc avec ses larges épaules. Rapidement, elle l’a suivi en toute confiance, il était gentil, rassurant, prenait soin d’elle.

-       Je veux partir avec toi, mon père me rabaisse tout le temps.

Petit à petit, Bruno invitait ses copains à la maison pour prendre une bière ou un apéro. Il avait besoin d’un public pour soigner sa réputation de bon vivant. Il parlait fort et sortait des blagues que je n’oserais pas rapportées ici, humiliant et rabaissant Sophie. Elle ne disait rien, baissait la tête, si l’un ou l’autre l’interpellait, elle les regardait avec un sourire figé : tout le monde riait, elle riait. 

Il invita Patrice, un jeune, taille moyenne, un peu fluet, mais surtout très timide. Patrice chercha à revoir Sophie. Très vite Sophie le trouva gentil, rassurant, il prenait soin d’elle.

-       Je veux partir avec toi, il me rabaisse tout le temps.

Patrice lui confia qu’il avait fait de la prison pour avoir violé sa fille mais il lui jura qu’il ne recommencerait jamais. Sophie s’est battue pour voir ses enfants, un weekend sur deux. Patrice trouvait un certain plaisir à voir Bruno en colère.

-       Je lui ai piqué sa femme. 

Il fit l’expérience de l’effet boumerang. Bruno l’accusa d’avoir violé sa fille. Il nia, Sophie le défendit.

-       C’est le père qui se venge, la petite aime beaucoup Patrice.

Clara ne confirma pas les accusations, Patrice a bénéficié d’un non lieu. Il est sorti vainqueur.  Il s’est senti fort, inattaquable. Porté par un sentiment d’impunité, il se dédouana d’une accusation injuste en retrouvant Clara en cachette, redécouvrant avec elle une jouissance qu’il savait interdite.

C’est dans le garage que Sophie les surprit. L’effondrement, la chute dans le vide, une déception, une trahison, la colère, Sophie plonge dans une indécision paralysante.

-       Je n’ai pas d’argent.

-       La maison est à lui.

-       Où loger, quoi manger ?

-       La juge n’avait pas été gentille avec moi quand je l’avais défendu.

-       Je ne peux pas vivre seule.

Patrice lui promit qu’il ne recommencerait plus, mais rassuré par son indécision il formula des demandes de plus en plus inacceptables pour Sophie. Elle se confia au frère de Patrice qui dénonça les faits.

Après une garde à vue et l’incarcération Sophie toucha le fond mais, à mon grand étonnement rebondit. Après m’avoir relaté ces faits, en sortant elle me lance sans précaution « moi, ce qui me fait du bien vois-tu c’est que maintenant je suis libre, il me rabaissait tout le temps, je veux faire quelque chose de ma vie, je veux travailler, m’occuper de mes enfants. »

Etonné et heureux de cette déclaration je me dis il faut que je la soutienne. Quelques semaines après je lui rends visite, elle est en compagnie de Fabrice, un jeune homme de grande taille mince, très timide.

-       Je te présente Fabrice, il est gentil, il prend soin de moi, il m’aide financièrement.