Aujourd’hui j’ai pu attraper le bus de 16h32. Cool… Je serai arrivé avant l’autre.

Pourtant j’aime pas trop cet horaire. C’est l’heure des mioches…et de leurs mères. On est sensé laisser sa place assise à la pauvre maman fatiguée par sa journée de travail mais qui doit encore s’occuper de ses nains et  de son mec.

J’ai sorti ma tablette et mes écouteurs et je me suis mis en mode geek. Dans ma bulle, tranquille peinard.

Le bus s’arrête, j’ai 200 m à faire pour arriver à la maison. Sa voiture n’est pas devant. Michto, je vais me faire un goûter de ouf et l’autre nase ne se foutra pas de ma gueule.

Ne crois-tu pas Charles Henri qu’à 14 ans tu as passé l’âge du « quatre heures » ?

Et il marque les guillemets avec ses doigts. Je pourrais le tuer quand il fait ce geste.

Merde ! J’entends sa voiture. Pas le temps de savourer,  pas le temps de ranger le pot de Nutella. Je file dans ma chambre, ça va m’éviter l’interrogatoire en règle sur le déroulement de ma journée.

 Maman trouve ça gentil.

C’est qu’il t’aime bien, il s’intéresse à ce que tu fais…

Moi, je lui demande rien. Ou plutôt si, QU’IL ME FOUTE LA PAIX. C’est pas mon père, j’ai pas besoin de son intérêt à la con. Elle m’amuse, ma mère, parce qu’elle est raide morgane de ce mec, il faudrait que je l’aime… On rêve…

Il m’appelle, je fais celui qu’entend pas. Pas question qu’il m’embauche pour une partie d’échecs. Quoique… Joris m’a montré un truc hier, je pourrais peut-être le mettre mat en trois coups… Ouais…mais non…pas envie…pas ce soir.

Il osera pas me déranger dans ma chambre, j’ai accroché le Don’t disturb à la poignée de ma porte. C’est papa qui me l’a rapporté de Boston. Trop classe. C’est pas l’autre qui pourrait m’offrir des trucs comme ça. Avec son taf de looser, sûr qu’il est jamais allé plus loin que la Garenne Colombes !…

Du coup, je suis coincé dans ma chambre. Tiens…je vais travailler ma basse. Ma chambre est pile au-dessus du salon. Je force un peu sur l’ampli et c’est parti… Des longs riffs à vous percer les tympans. Ouah… Le kif… Je me marre en imaginant la tête de l’autre dessous.

 Je vais t’en foutre de l’ambiance dans tes chiffres et tes lettres…

 

***

 

Tiens… se dit Claire, Charles-Henri s’est décidé à se remettre à la guitare, il abuse peut-être côté décibels…pas sûr que ce soit du goût de Rémi… Cela dit…il faut savoir…le pauvre ne peut pas faire de la musique en silence…

Tout en pensant à la petite guéguerre que se livrent parfois sournoisement les deux homme de sa vie, Claire pénètre dans la cuisine. Un coup d’œil sur le désordre laissé par son fils et elle se félicite de constater que Rémi n’est pas encore rentré. Elle va avoir le temps de tout ranger, cela évitera les réflexions assassines. Elle a remarqué que depuis quelque temps l’atmosphère à la maison s’était un peu alourdie, mais résolument optimiste elle refuse d’y attacher de l’importance.

A l’instant où elle s’approche de la table, elle aperçoit une enveloppe posée contre le pot de Nutella, son prénom y figure, c’est l’écriture de Rémi.

Le fait suffisamment inhabituel pourrait l’inquiéter et pourtant pendant ces quelques secondes où elle ouvre l’enveloppe, plusieurs hypothèses rassurantes lui traversent l’esprit. Un petit mot d’amour, bien que ce ne soit pas son style…un rendez-vous de dernière minute qui ruine les projets de la soirée…des billets pour le concert de Camille…

 

 

***

Ma chère Claire,

 

 

 

Tu vas m’en vouloir, je le sais.

Je n’ai pas le courage de t’affronter car tu trouverais sans doute les mots qui me feraient changer d’avis..

Je pars.

Note que je ne dis pas : je te quitte. Car je ne te quitte pas, je sors plutôt de ta vie, de votre vie.

Je n’y avais pas ma place. Je ne te reproche rien, tu as fait tout ce que tu pouvais pour aplanir les problèmes qui sont nés de la difficile cohabitation avec Charles-Henri.

Je ne voulais pas qu’on en arrive au point où tu aurais été mise en demeure de choisir entre ton fils et moi.

J’aurais eu l’impression d’avoir fui mes responsabilités.

Les faits sont là, têtus comme chacun sait. En partageant ta vie, j’étais amené à devoir partager votre espace, celui que vous aviez construit depuis ta séparation avec le père de ton enfant.

J’ai tenté de me faire petit, discret, j’ai cru y parvenir mais non, j’ai échoué.

 Au fil des jours, je ne sais pas si tu t’en es rendue compte, Charles-Henri et moi nous nous sommes installés dans une sorte de paix armée.

A la moindre occasion, je sentais que tout pouvait exploser, j’avais de plus en plus de mal à rentrer le soir.

Je t’expliquais mes retards par un surcroît de travail. Il n’en était rien. Combien de fois ai-je pris l’itinéraire le plus long pour arriver le plus tard possible à la maison ?…

Claire, je suis trop mal. Me sentirai-je mieux sans toi ? Je ne peux le dire.

Cependant je suis certain d’une chose, cette situation allait finir  par nous détruire tous les trois.

Peut-être devrons-nous attendre que Charles-Henri sorte de cette douloureuse période de l’adolescence…

Il sera encore temps, n’est-ce pas ?

Je t’aime.

 

                                                                        Rémi.

 

 

PS : il me semble que Charles-Henri a fait des progrès en guitare…

 

 

 

 

                                                                                    28 décembre 2015