Une maison dans une banlieue ouvrière…pavillon un peu kitsch avec ses balustrades de bois rouge foncé et sa pierre meulière fatiguée…

Une femme d’une quarantaine d’années, rousse, dépenaillée, pousse le portillon. Elle court dans l’allée bordée de petits buis. Elle a lancé dans le caniveau sa poussette de marché. Dans sa précipitation, elle a laissé tomber un vêtement  enveloppé d’un plastique transparent - il sortait juste du pressing ! -

Elle gravit les marches du perron, accroche son manteau à la rampe de fer rouillée, se dégage, pousse la porte d’entrée sans remarquer qu’elle n’est pas fermée à clef comme ce matin.

« je l’aurai !...je les ai bien eus les flics … le congélo…tout ce qu’il y a dedans !!!Bonne planque! Je vais tout foutre en l’air ! Ça pourrit là-dedans ! les bouquins et le civet…je vais tout foutre en l’air ! …Il peut bien les chercher…et le disque dur ! … avec sa pouf … il peut bien les chercher ! »

 Chantal Hachette enfile l’escalier de la cave, pourtant mal éclairé. L’obscurité et l’odeur d’humidité l’aspirent.

« Je vais tout foutre en l’air…merde pour le frigo et le fauteuil.. »

Elle se rue sur le congélateur dans un coin de la cave faiblement éclairé par un étroit soupirail. « Quand le grand crétin va rentrer, ça va être sa fête ! La trouille, le fantôme !...ça va être sa fête. C’est qu’il y croit aux fantômes…il en  a parlé aux flics. Ah ! je rigole. ! ..ses ordis, ses Wiki trucs ! …

« !... dans le congélo ! Tu vas pas le chercher là ton ordi !  Tout le temps là-dessus.. à tchatter. Je t’ai laissé les fils en haut ! Tu l’as dit aux flics. Que tu ne comprenais pas ce qui se passait ici ..ça bouge,ça disparait !

« ...la photo de mariage massacrée en deux sur la cheminée !..  Bousillées aussi  celles du  feu de le St jean ! »

Elle vacille, les images du feu de la Saint Jean la frappent  en pleine face.

«   Il a bien dû  la rencontrer là, sa morue !   Il va revenir ! ça lui apprendra à porter plainte !...Faut que je me calme ! il va revenir ; il est d’équipe aujourd’hui…Faut que je me dépêche ! ça lui apprendra à porter plainte ! Faut pas qu’il le trouve ! Je vais le porter à la benne »

« Jalouse ? Elle m’a pris mon mari cette trainée Qu’elle crève ! Faut que je me calme ! Que je me calme ».

Chantal rabat vers l’arrière le  couvercle du congélateur, plonge dedans, fouille jusqu’au fond ;  on entend le raclement des paquets gelés qui cognent les uns contre les autres ; ses doigts sont si gourds qu’elle les ressort, elle agite les mains en l’air, les frotte l’une contre l’autre pour les réchauffer puis elle replonge dans le bac. Elle finit par sortir un clavier puis un écran couverts de givre. Elle les balance contre le mur .Tout se fracasse à grand bruit !

Elle avise un sac poubelle qui trainait au sol y fourre les débris épars.

Elle remonte l’escalier de la cave en tâtonnant ; en trainant le sac de plastique noir ; elle répète : « à la benne, à la benne ! ». Soudain très lasse, elle titube, les dernières marches sont dures à franchir !

La lumière dans le couloir qui mène à la petite salle à manger est allumée. Elle s’étonne : il a dû encore oublier d’éteindre avant de partir et ce détail ravive sa colère. 

Une colère semblable à celle de ce jour de la semaine dernière : quand tout le monde était parti, dans une crise de folie ravageuse, elle a vidé l’armoire sur le plancher et tout piétiné avec ses bottes boueuses…

Sa tête quand il a vu ça ! Des cambrioleurs ? rien ne manque ! Quelqu’un a dit en rigolant : «  c’est comme un fantôme méchant ! »

Et bien je vais t’en donner du fantôme. Je t’en foutrai du fantôme !

Après, c’est le fauteuil de Pépé Jean et la chaise haute de Dominique quand il était enfant qui y sont passés ! on les avait retrouvés sous l’appentis, lancés du haut de la terrasse, disloqués.

Il avait pleuré et avait dit : « quel ravage ! »

 Le weekend, il les avait tant bien que  mal soignés, remis sur pied.

Elle  aussi avait pleuré, dans l’incohérence de sa folie destructrice ; elle n’avait pas pu expliquer ce qu’en elle-même  elle ne s’expliquait pas.

« Jalouse, trompée, c’est sûr je les ai vus au stand des bières de la kermesse. J’ai pas bien vu, j’étais loin mais je suis sure que c’était lui, il avait son polo rouge, il la tenait par le cou il s’est penché lui a arrangé les cheveux.  Il riait !..., ils riaient !.... Ils ne m’ont pas vue ! je suis rentée, j’ai planqué l’ordi !...  sa tête au retour !... chercher partout…plus de Skype, plus de messages… »

«  Les jours suivants… la vaisselle dans la cour au milieu de la pelouse. Il a dit qu’il allait voir les flics ; c’était comme le bal des fantômes, des  fantômes de jour ! Rien la nuit ! dodo tout le monde 

Je sens que je deviens  folle. Je l’aime. Je veux le garder ».

Elle sort de la salle à manger, trainant derrière elle le sac poubelle noir, monte les marches de l’escalier obscur. En haut, il y a de la lumière !

Le brigadier de police et son mari l’attendent. Ils vont la cueillir… !a pièce à conviction à la main !

                                                Poitiers , le 13 Octobre  2014. Denise Michel