Une lettre 11.

 

 

   Pour rentrer à la maison, ces quatre heures de route me parurent une éternité ! Comme à chaque fois que je retrouve le calme après un moment de grande tension, j'en ai profité pour méditer et faire le point sur cette période de ma vie.

   Sara avait réussi à retrouver Maurice sans trop de difficulté, ne pouvant faire le tour de toutes les maisons de retraite de France et de Navarre, elle avait appelé la mairie de Coudray son village de résidence avant son incarcération, se faisant passer pour un clerc d’étude notariale ayant un dossier à lui faire parvenir, la secrétaire de mairie lui avait donné l'adresse sans la moindre hésitation. L’inconvénient était qu’elle se trouvait à deux cents kilomètres, à croire qu'on l'avait envoyé là-bas en exil.

   Mes craintes se révélèrent fondées, malgré trois heures de monologue et l'intervention de la directrice, Maurice n'a pas daigné nous dire un seul mot. Peut-être n'aurais-je pas dû insister aussi longtemps, mais il m’était apparu si malheureux que je n’avais pas osé le laisser là, seul avec ses pleurs.

   En fait, il avait commencé à pleurer dès l'évocation du calvaire qu'avait vécu Cécile, je connaissais par cœur les attendus du tribunal dénonçant des actes de barbarie commis sur cette enfant et je ne lui ai rien omis. J'étais certaine qu'il connaissait ces phrases aussi bien que moi, et j'espérais qu'elles l'amèneraient à me parler pour expliquer son silence lors du procès. Je n'en étais pas certaine, mais il me paraissait évident qu'au moment où il avait comparu devant ses juges, il savait que celui qui avait commis ces actes barbares était le compagnon de la mère, ainsi que me l'avait raconté Cécile dans un état second.     

   Et la mère dans tout ça, quelle avait été sa place dans cet imbroglio ? Que savait-elle ? Quelle était sa part de responsabilité ? Encore une de ces terribles histoires d'adultes dont les enfants sont les victimes. Cette petite fille était si jeune au moment des faits que l'on peut se demander comment elle a pu se taire pour protéger sa mère, en subissant autant de souffrances physiques et morales.   Et ce sinistre individu qui s'en est tiré sans qu'aucune sanction ne soit prise contre lui, il est mort pendant que Maurice était en prison et avant que la mère de Cécile ne meure à son tour.

-       Comme ça, il ne l'a pas tuée, m'a dit Cécile, je ne pouvais rien faire d'autre, c'était ma mère.

La cruauté et la violence à l'état pur, s'il ne l'a pas tuée c'est qu'ainsi elle demeurait à sa disposition. Il faut s'ébrouer, faire de l'air autour de soi, aussi j'ai ouvert toutes les glaces de la voiture en grand, j'avais l'impression d’étouffer.

   En rentrant, une invitation de Léon m'attendait :

   " Ne restez pas seule, venez dîner avec moi, tout est prêt, je n'aurai qu'à faire réchauffer les plats". J'avais trouvé son mot en descendant de voiture, mais je n'avais pas l'intention de me rendre à son invitation, j'étais épuisée, tant nerveusement que physiquement, n'aspirant plus qu'à  un bain très chaud avec des huiles essentielles, un bol de soupe, et une bonne nuit, mais rien ne s'organisa comme je l'avais prévu.

   Je commençais par passer un coup de téléphone à Sara pour lui faire part de l'échec de mon voyage, sentant mon désarroi, elle me proposa de venir passer la soirée avec moi, ce que je refusai aussitôt en jouant les fortes femmes, ce que je regrettais immédiatement avant même d'avoir reposé le combiné. Puis une série de coups discrets, frappés contre la vitre de la porte d'entrée, m'annonça que ce cher voisin venait aux nouvelles. J'étais sur le point de le remercier de son invitation en la refusant, quand à la vue de mes yeux de lapin russe, rouges et gonflés, il décida de la suite sans laisser la place à la moindre contestation.

- Je vous laisse une demi-heure pour prendre votre bain, que je mettrai à profit pour mettre mon repas en route, et je reviens vous chercher.

   Je me suis plongée dans l'eau chaude parfumée à la de lavande, j'étais mal, je ressentais cet échec dans ma chair et je me suis laissé couler au fond de la baignoire en retenant mon souffle, ne remontant à la surface qu'au moment où mes poumons en feu commençaient à me faire souffrir. Je ne peux pas dire si je pleurais, j'avais le visage plein d'eau… . Je me suis habillée confortablement, il fallait que j'aie chaud pour me sentir bien.

   Ensuite, j'ai appelé Cécile, par lâcheté ou par calcul, je ne lui ai pas dit que mon déplacement avait été un échec, que Maurice ne m'avait pas parlé, je me suis contentée de banalités, que le village était joli, la maison de retraite confortable. La directrice m'avait confirmé qu'il n'avait pas été placé là-bas par les autorités judiciaires, mais que c'est lui qui en avait fait la demande pour être certain de ne rencontrer personne qu'il ait connu dans sa vie antérieure. J'ai terminé en disant que j'espérais que d'ici quelques jours, il m'écrirait pour s'expliquer. Elle marqua un long silence à la fin de mon exposé.

- On verra bien, mais j'en doute, pourtant j'aimerais tant qu'il le fasse. À ce moment-là, je me sentirai enfin pardonné de ce que j'ai fait.

   Je me suis assise dans un fauteuil pour attendre Léon, n'osant prendre l'initiative de me rendre chez lui avant qu'il ne vienne me chercher. C'est un homme de parole, il avait dit une demi-heure et à la seconde près, il frappait à la porte. Il est vraiment adorable, il m'avait mijoté de bons petits plats préparés avec les légumes de son jardin et un sauté de veau parce qu'il m'avait entendu dire que c'était l'un de mes plats préférés, du coup, je l'ai embrassé ce qui a ajouté à sa confusion.

Ce n'est pas un homme à poser des questions, mais il a cette intelligence rare de ceux qui savent mener une conversation pour arriver là où ils veulent en venir.

- Il faudrait que vous vous préserviez un peu plus, vous vous engagez trop vite et trop loin, il faut laisser passer le temps. Remarquez que c'est aussi une qualité d'avoir le goût de s'intéresser aux autres, et là-dessus je ne vous juge pas.

Il s'est levé pour aller chercher son plateau de fromages et je n'osais lui dire que c'était trop pour moi, que j'avais déjà beaucoup mangé pour le soir. Il l’a compris à mon regard, se contentant de sourire et de remettre le plateau sur le bord de la fenêtre pour qu'il reste au frais.

- J'aime mieux vous voir maintenant qu'avec la tête que vous aviez en arrivant.

   Nous finîmes la soirée en pente douce, en dégustant un délicieux cassis, quand il vit que je commençais à piquer du nez, il me recommanda d'aller me coucher, ne voulant absolument pas que je l'aide d'une façon ou d'une autre à ranger sa maison. Je l'ai embrassé avant de partir, jusqu'à cet instant, nous étions de bons voisins, désormais nous étions amis, ce qui n'est plus tout à fait la même chose.

- Ne fermez pas votre porte à clé j'ai appelé Sara pour lui parler de votre état et elle arrive si ce n'est pas déjà fait.

Elle m'attendait dans le jardin, assise dans un fauteuil en rotin, nous sommes restées là un long moment en gardant le silence.

   Ce matin, je suis allée faire un tour au marché, j'avais quelques courses à y faire et puis j'aime cette ambiance un peu particulière. À mon retour, le facteur était passé, il faudra que je colle une étiquette pour refuser la publicité, car j'en suis envahie. Au milieu du fatras, j'aperçois une lettre, l'enveloppe est rédigée à la main d'une écriture qui m'est inconnue. Le cachet de la poste attire mon attention, c'est celui de la ville où Maurice est en maison de retraite, ainsi, ce que j'ai raconté à Cécile était une prémonition, il s’est peut-être décidé à m’écrire.

   La lettre n'est pas de lui, c’est la directrice qui l’a écrite sous sa dictée. Elle explique que Maurice, le pensionnaire que j’étais venue rencontrer, a demandé à la voir pour lui dire qu'il était désolé de n'avoir pas pu me parler lors de ma visite, depuis longtemps, il n'espérait plus rien des humains, et ma démarche l'avait pris au dépourvu.

   Cependant, mes propos avaient réactivé chez lui un besoin de se justifier vis-à-vis de Cécile. Il reprenait toute l'affaire, en particulier le moment où il avait cru  mourir quand la horde des habitants justiciers était venue le sortir de chez lui pour le lyncher.

   C’était précise t-il, celui qui violait Cécile, le compagnon de sa mère, qui était le meneur. Je n'ai pas eu une plainte, je n'ai pas poussé un cri, je ne voulais pas leur donner cette satisfaction. N'ayant rien dis sur l’instant, ensuite, il était trop tard, j'avais failli à mon rôle, je n'avais pas su la protéger, j'en ai ressenti une terrible culpabilité.

   Je suis quelqu’un de simple, j'étais journalier dans les fermes, mais au procès comme je n’ai pas parlé, j’ai eu tout le temps de bien les regarder tous autant qu'ils étaient, je vous le dis, ça n’était rien que de pauvres marionnettes. Il avait suffi qu'on leur livre un coupable à moitié mort pour que leur religion soit faite.

   Ce qui m'a définitivement muré dans le silence, c'est le témoignage de la petite, quand je l’ai vu à la barre, et que j’ai entendu qu’elle m’accusait, je me suis mis à trembler et j’ai regretté que les autres ne m'aient pas tué.

   J'avais placé mes derniers espoirs dans le témoignage de sa mère, bien qu’elle n'ait jamais voulu le reconnaître, je savais bien que Cécile était ma fille, que voulez-vous, à ses yeux je n’étais pas grand-chose, un simple ouvrier, alors… . C'est certainement elle qui a prévenu la police me sauvant ainsi la vie, après le témoignage de Cécile, il faut comprendre qu’elle ait confirmé les propos de celle-ci.

Voilà, vous savez tout, merci, de vous être occupé de moi et de Cécile.

Quand se produit une violente tornade, les bruits vous submergent et le souffle du vent vous bouscule. Mais, il arrive qu’une fois terminée,  vous entendiez toujours le vent et deviez toujours prendre garde à ne pas être emporté par les rafales… .

                                                                                                                        DG – Mazeuil Avanton 2013/2014.