Soulagée, Sœur Flora entreprend une dernière visite des enfants endormis avant de se rendre dans la cellule où elle est certaine de trouver Odile.

Au pied du tapis sur lequel repose un garçonnet à la tête difforme, la  jeune femme est effondrée. De ses yeux noyés de larmes, elle fixe le visage, creusé mais enfin apaisé, de l’enfant faiblement éclairé par la lumière chancelante d’une bougie.

Une main posée sur son épaule, l’autre crispée sur la lourde croix suspendue à son cou, Sœur Flora semble s’abîmer dans une interminable prière.

 

-       Cessez de pleurer Odile, notre petit Benito a enfin cessé de souffrir. Il a trouvé sa place auprès de Marie. Désormais, c’est elle qui veillera sur lui. Comme la plus tendre des mamans qu’il n’a jamais connue.

Venez à présent, il vous faut dormir. Vous vous êtes donnée sans compter au cours de ces derniers jours. Vous êtes épuisée.

-       Je crains de ne pouvoir trouver le sommeil, je vais marcher un peu.

-       Laissez-moi vous accompagner Odile, c’est le seul moment de la journée où il m’est possible de discuter tranquillement.

-       J’aimerais pouvoir vous donner raison Sœur Flora. Si je pouvais imaginer Benito aux pieds de la Vierge, je serais rassérénée. Mais voilà, pour moi, la Vierge Marie n’est qu’un beau personnage de légende. Benito s’est définitivement éteint. Sa vie sur terre a été un enfer et il ne connaitra jamais de paradis.

Le ciel est vide, désespérément vide, sœur Flora. Petite, je m’imaginais que ceux que j’avais aimés, s’étaient envolés dans les étoiles et qu’ils scintillaient pour moi. Puis, j’ai appris que les étoiles n’étaient que des astres, alors j’ai renoncé à me raconter de belles histoires pour accepter la mort.

-       Benito a fait face à la souffrance avec courage. Nous  lui avons tous apporté du réconfort, de l’amour et vous plus que quiconque depuis bientôt deux ans. Nous lui avons prodigué tous les soins que nous étions en mesure de lui apporter dans le contexte de cette île.

-       Dans le contexte de pauvreté de cette île, petit à petit abandonnée par les donateurs, oui c’est exactement cela.

Vous reconnaissez donc, implicitement, qu’en France, Benito aurait pu être opéré et peut-être sauvé ?

-       Je ne le conteste pas Odile.

-       Est-ce cela, pour vous, la justice divine ?

Il est vrai que Jésus a dit «  Bienheureux les pauvres, le royaume des cieux leur appartient », n’est-ce pas ?

-       Jésus s’est fait pauvre parmi les plus pauvres, Odile.

-       Alors me voici rassurée, le royaume de Dieu sera peuplé de Haïtiens.

-       Comme vous devez souffrir, Odile, pour parler avec tant d’amertume et de violence ! Il vous faut prendre du recul.

 Depuis ces derniers mois, j’ai souvent hésité à vous mettre en garde contre vous-même. J’y ai renoncé n’osant rompre la force de l’attachement qui vous liait à cet enfant. Pas plus d’ailleurs que celle qui le liait à vous. J’ai certainement eu tort. Je le reconnais.

-       De quel droit vous seriez-vous interposée entre Bénito et moi ?

-       Du droit et du devoir d’épargner une souffrance disproportionnée à une collaboratrice, encore néophyte, placée sous ma responsabilité.

-       Ma souffrance m’appartient, vous n’avez pas à en juger.

-       Vous vous égarez Odile, la douleur altère votre jugement. Je prends en compte votre souffrance mais il est de ma responsabilité de vous éviter de commettre des erreurs. Dans votre propre intérêt tout comme dans l’intérêt des enfants.

-       Hormis les quelques jours passés à Port Morgan il y a plus d’un an, tous les instants de ma vie ont été consacrés à ces orphelins.

-       Je ne le sais que trop bien, Odile et c’est cela que je me reproche. Avant même de vous le reprocher à vous. J’ai manqué de vigilance et à présent il est indispensable de faire le point ensemble afin d’empêcher d’autres dérives.

Cependant vu l’heure tardive et votre épuisement, il me semblerait préférable de reporter cet entretien, ne croyez-vous pas ?

-       Après cette accusation de dérive, il vous faut aller jusqu’au bout de votre propos Sœur Flora.

-       Je ne vous accuse en rien et le mot dérive est trop fort, j’en conviens. Je veux seulement vous amener à  une véritable prise de conscience des motivations profondes qui vous ont conduites ici.

En toute bonne foi, il est vrai, vous étiez animée du  désir de soulager ces petits déshérités de leurs misères physiques et morales mais en fait ils vous servaient de béquilles. C’est vous, essentiellement vous, que vous tentiez, à travers eux, de sauver de votre mal être. De votre mal de vivre. Ces enfants n’ont pas vocation à remplacer celui que vous n’avez pu avoir jusqu’ici. Les liens qui vous attachent à eux sont trop forts.

-       Je ne peux comprendre que vous qui consacrez tout votre temps, toute votre énergie depuis plus de trente ans au bien être, à l’éducation, aux soins de tous ces laissés pour compte, me fassiez ces reproches. Non, je ne comprends pas.

-       Depuis plus de trente ans, il est vrai, je me consacre corps et âme au service de Dieu mais «  ma vie religieuse n’a de signification que si elle est offerte aux autres, aux plus faibles, aux nécessiteux. Si j’ai survécu au naufrage en effectuant la traversée des Cayes vers Ile à Vache, c’est parce que Dieu avait une mission pour moi. »

Tout ce que je fais pour ces petits orphelins, ces handicapés, c’est pour Jésus que je le fais. Oui, pour Jésus qui a dit « Ce que vous ferez aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez. »

Me comprenez-vous maintenant, Odile ?

-       Il me semble que oui.

-       Nous poursuivrons cette conversation dans les jours ou les semaines à venir. Rien ne presse. Réfléchissez tranquillement à tout ce que nous venons de dire mais, à présent, il nous faut aller dormir, la journée de demain sera éprouvante. Il nous faut récupérer nos forces afin de pouvoir ensevelir Benito avec dignité.

 

Tandis que le bateau s’éloigne du port, afin de réussir à contrôler son émotion, Odile tourne délibérément le dos à l’Ile à Vache et va se poster à l’avant laissant au vent matinal la charge de sécher quelques larmes irréductibles. Andréa la rejoint et s’accoude à son côté. Bercées par la houle, épaule contre épaule, les deux jeunes femmes demeurent silencieuses, les yeux rivés vers le rivage des Cayes qui se profile au lointain puis doucement Odile pose sa main sur celle d’Andréa :

-       Merci d’être là Andréa. Ta présence m’est précieuse. Sans toi, je  ne sais comment je vivrais ce départ. Assurément bien mal.

-       Tu n’imagines pas à quel point je suis heureuse de pouvoir t’accompagner jusqu’à l’aéroport. Pas plus que tu  ne réalises l’importance du cadeau que tu me fais en acceptant de passer trois jours chez Maman avant de t’envoler.

 Une femme blanche qui consent à mettre les pieds dans Cité Soleil, il y en a peu mais une qui désire y séjourner, ne serait-ce que durant quelques heures, je n’en ai jamais rencontré.

-       Le cadeau, c’est toute ta famille qui me le fait en m’accueillant sinon je serais passée directement du bateau au taxi puis à l’avion. Autrefois, Gilles m’a brossé un tel tableau  de Port au Prince que je ne m’y serais pas hasardée. Pour lui, c’était la ville de tous les dangers. De toutes les violences. Je me souviens encore des paroles d’une chanson qu’il me citait souvent :

« Je n’ai pas de travail. Je n’en ai pas besoin. Je suis né pour voler ton argent. Je suis né pour te tuer. »

Tu penses qu’après ce lavage de cerveau, je n’aurais aspiré qu’à me terrer dans un coin de l’aéroport.

-       Ton mari avait raison de te dissuader de venir à Port au Prince comme pourrait le faire une banale touriste. C’est une ville où la misère est telle  qu’il y règne une violence permanente. Rackets, enlèvements, assassinats, sont notre lot quotidien.

-       Mais toute ta famille y vit bien.

-       Nous n’avons pas le choix, nous. Après la mort du père, c’est Josselene, ma sœur aînée, qui a entretenu toute la famille avec son petit salaire d’infirmière à l’hôpital public. Et,  depuis que la femme de mon frère est veuve, elle loge aussi à la maison avec le petit. Sans compter qu’une fois     par an, il faut faire des offrandes à l’hougan pour mes petits frères jumeaux.

 Moi, je suis partie à l’orphelinat Saint-François. Même si j’y gagne très peu d’argent, je ne coûte plus rien à la famille. Je peux même parfois les aider un peu.

-       Tu ne m’avais jamais dit que tu avais perdu un frère.

-       C’est vrai. Je n’en parle jamais. C’est encore tellement douloureux pour moi. Nous étions très proches l’un de l’autre.

-       Pardonne-moi…

-       Ce n’est pas grave. A toi, je peux dire. Il y a cinq ans, le jour de la sinistre fête du bicentenaire de l’indépendance, pendant le discours du président Aristide, des heurts violents ont éclaté entre les partisans du régime et ses très nombreux opposants.

 Mon frère Nelson, de très peu mon cadet, était au nombre des manifestants qui scandaient « Aristide démission ». La réponse à leur slogan a été un bain de sang perpétré par les Chimères. Des gangs à la solde du pouvoir. A coups de jets de pierres, de tessons de bouteilles, de barres de fer, de balles, ils étaient chargés d’épauler la police et l’armée afin de réprimer l’agitation et de faire régner un climat de terreur.

Ce soir là, mon frère n’est pas rentré. Le lendemain non plus. Nous l’avons cherché partout. En vain. Puis, la nuit suivante, son copain Josua, est venu frapper à la porte.

Il avait réussi à traîner mon frère ensanglanté jusqu’à l’échoppe de son oncle. Nelson avait reçu une balle dans la poitrine mais il vivait. Josua n’osait pas le transporter dans un centre de soins de peur d’être dénoncé et, de toutes façons, son oncle refusait de lui prêter sa camionnette.

Alors, ma sœur Josselene a couru à son hôpital afin d’y dérober des désinfectants, des compresses, des bandes. Je l’ai accompagnée. Nous n’avons pas voulu avertir Hiette, sa femme. Elle était enceinte et très impressionnable.

Lorsque nous sommes arrivées près de lui, il était trop tard. Il n’était plus transportable. Il nous reste son petit Pépito.

-       Pépito ?

-       Oui, son petit garçon. Il est  né quatre mois plus tard. Il a cinq ans maintenant. C’est mon soleil. Ma pépite. Je suis sûre que tu vas l’adorer.

-       Je  n’ai jamais soupçonné que tu avais vécu un tel drame. Tu es toujours si tonique, si gaie.

-       Tu sais, ici, aucune famille n’est épargnée. A Cité Soleil, comme à Bel Air ou à Martissant, la mort fait partie de notre quotidien. Non seulement la mort liée à toutes les formes de violences mais celle due à la maladie puisque nous n’avons pas les moyens de nous soigner. Alors chacun garde sa douleur pour lui.

-       En Occident, on réussit difficilement à apprivoiser l’idée de la mort. Surtout celle d’un enfant. C’est pourquoi j’ai si mal accepté la disparition de Benito.

-       Je l’ai bien compris et je pense que Sœur Flora a eu raison de te conseiller de choisir une autre orientation.

-       Au départ, son point de vue m’a révoltée. J’ai eu le sentiment d’être victime d’une profonde injustice.

 Les semaines passant, j’ai reconnu le bien fondé de son analyse.

Je n’ai pas l’âme suffisamment trempée pour être soignante. Surtout dans ce contexte où notre action est très entravée par le manque de moyens.

-       Ici, tu sais, pour survivre, pour ne pas sombrer dans la folie, il faut une certaine dose de fatalisme. Ou une solide foi en Dieu.

-       Le problème est que je ne suis pas croyante et que je suis incapable de me résigner. C’est pourquoi je me rends aux arguments de Sœur Flora.

Cependant je vais rester dans l’humanitaire.

En tant qu’enseignante. C’est un domaine que je maîtrise davantage.

 Il me sera plus facile de me consacrer à l’alphabétisation, l’éducation, l’aide à la scolarisation que d’accepter d’être impuissante face au handicap, à la maladie et à la douleur.

-       Tu vas donc repartir à l’étranger ?

-       Je vais d’abord passer l’été avec mes parents, ma sœur et ma nièce que je n’ai pas vue grandir.

Puis en septembre, je retrouverai avec plaisir, pour quelques semaines ou pour quelques mois, ma vie d’étudiante parisienne.

Je vais rajeunir de près de vingt ans !

-       C’est que tu dois reprendre des études ?

-       Je dois surtout me former avant de signer un contrat salarié. Il me faut apprendre à travailler en équipe.

-       Avec des collègues enseignants ?

-       Oui, éventuellement, mais pas seulement.

Il faut toujours coordonner son action avec le chef de mission, le psychologue, l’éducateur de rue, le traducteur et les représentants du pays.

Je ne suis pas du tout préparée à cela. D’autant plus que je suis très individualiste, je le reconnais.

-       Alors, tu ne reviendras probablement jamais sur l’Ile à Vache.

-       Détrompe-toi, Andréa ! Cette île est un coin de paradis tout à fait préservé des méfaits de notre civilisation. Pas de routes, pas de voitures, pas de bruits !

 Enfin, pas d’autres bruits que celui de la mélodie du vent dans les cocotiers ! Que celui du chant des mainates et des rires des enfants à la sortie de la classe. Pour moi, c’est devenu un luxe inouï !

L’école montée par Sœur Flora prend de l’extension. J’aimerais, comme je le lui ai dit, pouvoir apporter un jour ma petite pierre à son édifice.

Je suis convaincue, à présent, qu’il y a une nécessaire collaboration entre vous soignants et nous enseignants.

Lorsque j’entends un groupe d’enfants dévaler le morne au son du tambour, en chantant… En chantant,  pour chasser la malaria, le choléra, la bilharioze et même  le sida, je suis révoltée. Profondément révoltée !

Je vais me former. Expérimenter. Puis je reviendrai.

Je serai alors plus forte et donc plus utile.

Et, vous retrouver tous sera un pur bonheur.

-       Nous nous reverrons donc ?

-       Lorsque j’étais éclaireuse, à la fin d’un camp,  avant de nous séparer, nous chantions toujours :

Ce n’est qu’un au revoir, mes frères…

 Oui, nous nous reverrons, mes frères…

 

La fin du chant en donne la raison. C’est celle d’un idéal partagé qui réunit toujours les êtres C’est pourquoi je suis persuadée de vous retrouver. Mais à présent à nos sacs à dos, on va aborder !

 

 

Chennai, le 14 Décembre 2009

 

                                                      Bien chère Andréa,

 

                                                                                                                 

Voici bientôt quinze jours que j’ai quitté Paris, tout de suite après avoir achevé la formation de trois mois dont je t’ai parlé dans ma lettre précédente. La surprise a été ma nomination très rapide mais à titre provisoire, dans la ville de Chennai, anciennement Madras, au sud de l’Inde.

J’ai été accueillie par une pluie diluvienne de mousson qui n’a heureusement duré que trois jours.

C’est une ville de 4,5 millions d’habitants qui possède la plus longue plage du monde mais aussi une impressionnante ceinture de bidonvilles dont l’existence pose de nombreux problèmes d’hygiène, de santé, de sécurité et de scolarisation.

L’association pour laquelle je travaille, Aide et Action, agit essentiellement pour l’accès à une éducation de qualité. Education pour toutes ces filles dont les parents, migrants Telegus, sont parmi les plus défavorisés de la population.

 Ils sont manœuvres sur les chantiers, domestiques, mendiants.

 Il s’agit à la fois de les sensibiliser aux dangers encourus par leurs fillettes, proies éminemment vulnérables, et de mettre en place, pour elles, des cours adaptés aux programmes officiels afin de leur permettre un jour de rejoindre les bancs de l’école publique.

Voici donc la lourde mais passionnante mission que je partage avec deux collègues déjà en place, une psychologue, un animateur de rue. Je t’en parlerai plus longuement dans quelque temps.

Donne- moi vite des nouvelles du centre Saint-François, de ses membres, petits et grands. Je suis très souvent avec vous tous par la pensée et avec toi plus particulièrement.

Lorsque tu verras ta famille, dis leur toute mon amitié.

Surtout fais un gros bisou à Pépito.

Je t’embrasse bien fort.

Odile

 

 P.S N’oublie pas de me parler de Josua, petite cachottière !

Il y a des échanges de regard qui ne trompent pas !

 

 

 

 

   

Ile à Vache, le 15 Mars 2010.

 

                                                      Bien chère Odile,

 

Pardonne-moi d’avoir laissé ta lettre si longtemps sans réponse alors que je connais ta grande inquiétude me concernant.

Moi, je vais bien ou plutôt mon corps va bien mais mon âme est brisée :

Maman et Hiette sont parties rejoindre Papa et Nelson.

Pépito n’a plus de maman.

Les jumeaux, Josselene et moi n’avons plus de maman.

Elles ont été, toutes les deux, écrasées par une poutre métallique alors qu’elles sortaient du supermarché.

Josselene a été blessée aux deux jambes et est restée sans soins pendant deux jours à deux pas de son hôpital en grande partie effondré.

Les jumeaux, eux,  jouaient au foot dans la rue. Ils n’ont eu aucun mal. Par contre, ils ont été pris de panique, surtout quand, les heures passant, ils ne voyaient personne rentrer à la maison. Ils ont passé trois nuits dehors, au milieu des gravats, par peur des répliques. Ils n’avaient aucune nouvelle de personne.

Par chance, Pépito, tout comme d’autres enfants de sa classe, avait été pris en charge par une enseignante puis par une ONG américaine.

 

Je n’ai pas pu me rendre à Port au Prince pendant plus de quinze jours. L’Ile à Vache n’avait pas du tout été touchée mais nous avions dû, avec deux autres soignants, partir aux Cayes où affluaient les blessés de la capitale. Leur récit me terrifiait et je m’angoissais pour toute ma famille.

Quand, enfin, j’ai réussi à aller à Port au Prince, j’ai découvert l’horreur. Cela dépassait mes pires cauchemars. Je n’ai pu accompagner Maman et Hiette, leur fournir les derniers sacrements, ni une sépulture décente et cela me tourmentera toujours.

 

 Dans la case, curieusement à peu près habitable, Josselene avait pris la situation en mains. Elle avait retrouvé Pépito et réussi à identifier Maman et Hiette avant qu’elles ne disparaissent dans la fosse commune. Nous avons décidé, d’un commun accord, que je me chargerais de l’éducation de Pépito et que les jumeaux resteraient avec elle, à Port au Prince, afin de terminer leurs deux années de lycée.

Tandis que je t’écris, comme chaque soir avant d’aller se coucher, Pépito tente d’initier au foot une bande de petits garnements devant notre orphelinat. C’est aussi un moment de détente pour Sœur Flora qui consent enfin à s’asseoir pour les regarder.

La décision de prendre Pépito avec moi, à l’Ile à Vache, a été, tu le devines aisément, source d’un immense réconfort. Il est toujours mon petit soleil, ma pépite. Il s’est comporté avec un courage rare et s’est bien intégré au groupe avec l’aide précieuse de Sœur Flora.

De Josua, personne n’a de nouvelles depuis le séisme. Je me refuse à penser que, comme Maman et Hiette, il a rejoint les milliers de corps enfouis dans une vaste fosse commune et, en dépit de toute raison, j’attends le jour où il réapparaîtra.

 Je me prends à rêver que dans un avenir relativement proche, tu seras de retour parmi nous et que Pépito aura le bonheur de t’avoir comme enseignante.

 

Ce n’est qu’un au revoir, m’as-tu dit en partant.

Je veux y croire et je vis dans l’attente du moment où je retrouverai ton amitié.

Je t’embrasse bien fort, ma chère Odile

 

                                                                        Andréa