Le commissaire de police veut te parler, Raoul, me dit mon épouse en me tendant le téléphone.

 

J’aurais préféré que la police me laisse un peu de temps pour reprendre mes esprits après ce que je viens de vivre me dis-je en prenant l'appareil.

 

Depuis presque deux jours, trente heures exactement, nous avons échangé de nombreux coups de fil avec le commissaire Masson.

 

 En fait, moi qui n’avais jamais eu affaire à cette administration, je me suis un peu laissé aller à lui confier quelques détails de ma vie. Alors finalement, je me trouve un peu gêné de parler au commissaire aujourd'hui, alors que le suspense vient de prendre fin.

 

Un peu de courage, me dis-je, tu n'as rien fait de mal que diable et puis s'il a saisi quelques traits de ton caractère, tu ne le reverras plus après la fin de cette histoire.

 

  Bonjour commissaire, oui, comme ma femme vous l'a annoncé, l'oiseau est rentré au bercail ! Il a perdu quelques plumes mais il est sain et sauf. Nous avons eu très peur car il est relativement âgé et nous avions tellement peur qu'il ait eu un accident vu son penchant pour la boisson !!

 

  Bien !... tout est bien qui finit bien alors, Monsieur Durand, je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps, vous allez surement retourner chez vos parents pour mettre un terme à cette saga. Je vous verrai demain dans mon bureau, si vous le voulez bien.

 

Le commissaire ferme les tiroirs encombrés de sa table de travail, équipée d’un ordinateur portable. Il sort de son bureau. Ouf, décompression !  Il vient de vivre quelques heures un peu folles.

 

Il prend son blouson de cuir accroché au portemanteau. Machinalement, il passe une main trapue dans ses cheveux châtains et drus, coupés courts. Il est fatigué.

Sa voiture personnelle, une Audi break bleu marine a été garée par le plancton au deuxième sous sol dans le parking réservé pour le personnel de l’Hôtel de police de Poitiers, en face de la Grande Poste.

 

Il prend la rue Carnot après avoir fait le tour de la place d'Armes. Il y a du monde à la terrasse des cafés.

Tiens, il fait même beau se dit-il, le soleil a bien dû briller aujourd'hui, occupé que j'étais avec ce pauvre vieux.

 

Je ne donnais pas cher de sa peau à ce pauvre homme. Passer la nuit dehors à son âge, c'est quand même un peu dur.  Heureusement qu'il a un caractère bien trempé le papi. Et puis, nous sommes au printemps, une chance !

 

Mais enfin quand j'y songe, pourquoi ne s'est-il pas arrêté à Ruffec?

Et son fils alors, ce Raoul. Je me demande s'il était bien inquiet pour son père. Il m'a fait une drôle d'impression. Il attendait, tranquille, que le vieux rentre.

Moi, je lui ai dit « on lance les recherches tous azimut s'il n'est pas rentré samedi soir »

Je me demande comment je réagirais, moi si mon père ou ma mère quittait le domicile à bord de sa voiture, pour une petite course et ne rentrait pas le soir ?

  Je pense que je ferais autrement. Aussi parce que je suis de la « maison »  et que j'ai conscience du danger.

 

Il a un naturel bien surprenant ce vieil homme, parce que, enfin, il aurait pu se présenter à la gendarmerie à n'importe quel moment et là on le ramenait à sa famille. Cela aurait évité à sa femme de faire une crise de nerfs au petit matin, quand elle s’est rendu compte que son mari n'était pas rentré.

C’était, voyons voir… dimanche matin.

 

La voiture tourne rue des 2 communes à Buxerolles et le commissaire entre dans son petit pavillon en pierres apparentes.

Les lilas sont en fleurs. Il se dit que c’est joli là, comme cela, devant la baie vitrée.

 

Le rideau est tiré, sa femme est à la maison, elle a dû l’attendre toute l’après-midi.

 

Il l’ embrasse.

  Tu as passé une bonne journée ma chérie ?, moi je n’ai pas eu une minute à moi ce dimanche, avec toute cette histoire.

 

Tiens on va prendre un verre et je vais te raconter tout cela.

Elle lui sert un verre de coca additionné d’un doigt de whisky, celui qu’il aime le plus, de l’Aberlour, cadeau de Noël de sa belle mère.

 

« Un homme de 88 ans prend sa voiture samedi vers midi pour apporter le déjeuner à son fils qui sortait d' l'hôpital. A 14h, il n’est toujours pas arrivé à Vivonne. Sa famille inquiète. On nous appelle dans le service vers 16h. Il n'a pas de portable, personne ne peut  le joindre. »

 

Devine, il vient de rentrer chez lui harassé, chiffonné, après 30 heures d'errements. Il s'est perdu, tu m'entends perdu !

 

Il est tombé sur les travaux à Croutelle, a pris une déviation et a continué. Il est arrivé à Ruffec, mais n’a pas trouvé la route pour revenir à Poitiers. »

 

Sylvie pense que oui, c'est bien possible, parce que, elle, elle s'est rendu compte que souvent, au bout de la déviation, il n'y a rien. La DDR ne fait pas son travail sérieusement.

 

  Comment se fait-il qu’il n’ait pas eu l’idée de demander de l’aide dans une gendarmerie ?

  Tu me croiras si tu veux mais il a eu peur.

 

De son côté, Raoul, le fils du rescapé a pris sa Mercedes pour se rendre chez son père à Buxerolles.

 

Porte de Paris, il tourne à gauche et remonte maintenant l’avenue de l’Europe, en pilote automatique. Une voiture le double nerveusement, il se traine, perdu dans ses pensées.

 

Il est bien content que toute cette histoire prenne fin.  En effet, il n’a pas pu faire sa ballade dans les bois avec ses chiens, comme chaque dimanche. Forcément, il a dû aller venir tenir compagnie à sa mère, catastrophée de ne pas voir revenir son mari au bercail. Elle est restée digne, cependant, je crois qu’elle commence à comprendre que l’avenir ne se s’annonce pas rose !

 

Moi, la mienne de femme aurait disparu pendant trente heures, je me serais dit que cela me faisait des vacances !

 

 

Raoul avance dans l’allée gravillonnée de son enfance. Oui, il a grandi là dans le quartier des Castors de Buxerolles. Son père a construit sa petite maison au joli toit de tuiles rouges, juste après la guerre. Toute mon enfance est là. Je revois mon père suant et ahanant à porter les briques de construction. Il faisait tiède comme aujourd’hui, tiens !

Alors, père ! Comment te sens-tu ? un peu fatigué ?, c’est normal cela. Quand on veut découcher, on ne s’y prend pas autrement !

 

  Tais-toi Raoul, tu ne comprends rien ! tu as toujours été un peu distant avec moi, et pourtant !!

Je n’ai pas eu l’impression de faire de la route. J’ai vu Ruffec, j’ai pensé que je tournerais quand je verrais la direction Poitiers. Mais je ne l’ai jamais vue !! alors j’ai continué, puis j’ai vu Bellac. Mais je n’ai jamais eu peur, j’en ai vu d’autres pendant la guerre tu sais !!

 

Clémence, la femme du papi prend alors la parole.

  Est-ce que par hasard, tu n’as pas eu peur que l’on te ramène à l’hôpital ?

 

En effet, quelques jours auparavant, le papi avait eu un étourdissement dans un supermarché. Les pompiers l’avaient emmené directement à l’hôpital où il avait passé quelques heures, paniqué, inquiet, sans pouvoir appeler sa famille.

 

Atelier d'écriture du 18 janvier :

Exercice d’écriture : A partir d'un fait divers, créer un récit polyphonique qui permette de faire cohabiter plusieurs points de vue et lectures sociologiques et humaines.