ensemble des personnes qui ne se connaissent pas et assument pour la soirée une identité totalement différente de la leur. Chacun devait amener un ou une inconnue et les instigateurs de la soirée tiendraient leur langue sur la réalité.

Je n'ai pas eu de mal à trouver mon inconnu sur Internet.

Le jour J, par contre, j'ai du m'inventer un personnage. Tout d'abord, quel métier? La première question que se posent les gens quand ils se rencontrent c'est souvent « et toi, tu fais quoi? » : question ardue quand on est à coté du système d'ailleurs! Dotée dans la vraie vie d'une profession très classique, je voulais quelque chose qui change. Relookeuse de chiens? Crieuse de nouvelles ? Il me fallait quelque chose sur lequel je sache broder et qui puisse coller à ma personnalité un peu quand même. Par exemple, haltérophile serait peu crédible. Après avoir tergiversé pendant quelques heures, je me décidai pour Agent culturel. Ce métier, que je venais d'inventer, consistait à créer une culture générale à quiconque pouvait en avoir besoin. Par exemple, j'immergerais dans la culture du pays les étrangers arrivant en France. Je leur ferais voir les Bronzés et lire Sartre, je leur apprendrais à faire le bœuf bourguignon .... Avec quelques bases, ils pourraient suivre les private jokes des dîners français. J'aurai un programme spécial autodidactes, pour leur rattraper les heures non perdues sur les bancs de l'école.

Pour la tenue, j'ai mis mes trucs les plus extravagants, qui allaient moyennement ensemble, il faut l'avouer.

Rendez vous avec l'inconnu du net devant le bar: on ne se pose pas de questions, de toute façon, moins on en sait, mieux c'est pour la soirée.

Nous y voilà: il y a déjà un serial killer, Alban, une étudiante de 45 ans apparents Cindy, qui en assume 23 avec son baggy, un révolutionnaire argentin prénommé Malo ( ?). Sont aussi présents un père au foyer de 6 enfants qui insiste pour qu'on l'appelle Monsieur, Zibeline, une actrice spécialisée dans le doublage d'enfants (elle parle avec la voix d'un petit garçon de 8 ans, c'est assez déroutant), mon amie institutrice qui se présente comme Ziza, call girl au chômage et mon inconnu qui s'avère être Mathis, inspecteur des impôts. Un peu plus tard, Kurt, hollandais poupin de 2m se présente comme sosie officiel de Raphaël. Il entonne son répertoire pour nous convaincre, c'est frappant cette voix dans ce grand corps blond.

Au départ, la conversation a un peu du mal à démarrer, puis on se lâche plus. Finalement peu importe ce qu'on peut dire puisque l'image projetée sur les autres sera de toute façon éphémère et fausse. Chacun raconte des anecdotes sur son métier et son passé. C'est assez troublant car rien ne permet de savoir l'age et la personnalité réelle des personnes présentes. J'ai révisé mon Lagarde et Michard avant de venir, histoire d'être crédible 5mn.

Mais de toute façon, c'est Alban Serial Killer qui tient en haleine tout le monde. Un type assez attrayant, et qui raconte avec délices sa technique de suppression de personnes âgées. Il est très fort dans les détails: tout le monde frémit. Il me fixe dans les yeux en expliquant comment il a suivi un octogénaire ce matin pour le faire tomber dans son escalier. Technique de drague originale, en même temps la façon dont il se régale est à la fois inquiétante et charismatique. Il finit par s'asseoir à coté de moi, et me susurrer ses exploits à l'oreille.

Le sosie kurtien de Raphaël fait pendant ce temps une cour appuyée et chantée à Cindy. Ziza est bien embêtée car, à mon grand étonnement, elle s'est présentée comme nouvellement lesbienne (d'où son chômage récent). Du coup, ni Monsieur, ni Mathis ne lui parlent longtemps. Malo le révolutionnaire argentin d'origine bretonne écoute la voix de Zibeline lui raconter une litanie de blagues Carambar. Ca ne semble pas le fasciner et lui et Monsieur finissent par discuter des derniers cours en bourse, du CAC 40 et autres. Les voilà hors du jeu, ils en ont oublié leur prétendu rôle, c'est beaucoup moins drôle. Ils s'apprendront plus tard qu'ils sont tous les 2 dans la banque., heureusement pas la même.

La soirée touche à sa fin, Alban insiste pour avoir mon numéro. J'hésite un peu pour son coté ambivalent. Finalement, je lui donne, mais comme c'est la soirée mensonge, je me trompe dans les chiffres.

NB: Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique "Rechercher"