Ce livre avait toutes raisons d’être un coup médiatique, l’exploitation à des fins lucratives de la réputation sulfureuse de nos deux auteurs. Or, à mon sens, il n’en est rien. Bien au contraire. Il s’agit d’un ouvrage magnifique par la profondeur des thèmes abordés et l’émotion qui s’en dégage. Bien sûr il y a toute une partie - sans doute celle que privilégiera la critique - sur l’acharnement dont nos deux auteurs prétendent, à tort ou à raison, être victimes, et chacun aura son avis là-dessus, mais en dehors de la polémique immédiate, les pages sur la meute, la calomnie, le harcèlement, sont très belles. Et puis il y tout le reste, une réflexion tendue, passionnée, sur la foi et le matérialisme, l’engagement, la judéité, l’essence de la poésie, le devenir contemporain, etc., et puis l’évocation de l’enfance, des figures parentales, et puis cette intimité que l’on voit naître pour ainsi dire sous nos yeux - si émouvante par la joie que l’un et l’autre en éprouve - entre deux esprits nourris aux mêmes sources, puisant aux mêmes références littéraires et philosophiques. Dans cette époque qui est la nôtre d’acculturation avancée et de rupture avec tout ce qui constitue les fondements de notre identité, c’est rassurant et revigorant.

Cette note de lecture est donc un signal d’alerte pour ceux que le bruit ambiant aurait pu tromper sur la marchandise. Bien sûr, je sais que beaucoup préfèreront rester sous la bannière de Télérama ou du Nouvel Observateur (je ne sais pas ce que ces journaux ont écrit de ce livre mais je me doute). Un des traits caractéristiques du caractère français est l’autodénigrement. Chacun cultive le scepticisme afin d’être sûr de faire partie de ceux à qui « on ne la fait pas ». Ainsi Michel Houellebecq est considéré à peu près partout dans le monde comme le plus grand écrivain français contemporain, mais ici on ne s’en doute même pas, on préfère ricaner, on prétend qu’il ne sait pas écrire. Dans ma jeunesse on prétendait que Picasso ne savait pas dessiner. Les mêmes aujourd’hui courent à son exposition. Dans vingt ou quarante ans les contempteurs de Michel Houellebecq inaugureront des lycées à son nom. Lisez Ennemis Publics sans attendre jusque là.