De : Bill Williams [mailto:bill.williams@aol.com]
Envoyé : lundi 7 avril 2008 10:07
À : 'John Crosby' [mailto:john.crosby@gmail.com]
Objet : marmite française

Et bien voila, cher John, que je n’ai pas vu passer la journée de dimanche, et que, la nuit tombée, je n’ai pas eu le courage d’allumer mon ordinateur. Je ne t’ai d’ailleurs pas beaucoup manqué, visiblement, aucun message ne s’affiche ce matin !

Après un marché déjà fort riche en émotions, j’ai eu l’impression, hier après-midi, de plonger dans la marmite française. Le déjeuner, simple mais savoureux, nous a aidés à briser la glace. Les huitres, ma première appréhension passée, se sont révélées délicieuses, leur fraicheur d’eau de mer élaborant patiemment une synergie veloutée avec le pain complet truffé de multiples graines craquantes et moelleuses et le Muscadet sur lie, petit vin blanc local un peu vert, qui a largement contribué à délier les langues. Poisson grillé et légumes croquants m’ont fait percevoir un souci diététique qui ne fait encore que nous effleurer aux States, quelques semaines de ce régime et j’aurai changé de silhouette !

Mais c’est à la farandole des fromages que la conversation a pris corps. Malgré les hésitations linguistiques, nous nous sommes jetés à corps perdu dans les comparaisons de rigueur dès que des habitants de pays différents se rencontrent. Et je peux te dire que si nous avons une piètre idée de la France, je crois bien que les Français nous battent sur le plan des stéréotypes ! Autant beaucoup de nos congénères auraient du mal à vraiment localiser une ville française, voire la France tout court, autant Venissia et son mari Armand possèdent leur géographie, et s’ils ont le moindre doute, ils foncent sur dictionnaires et atlas pour mettre à jour leurs connaissances !

Ce qui n’empêche pas les poncifs ! Les Américains semblent se diviser pour eux en deux catégories, les intellectuels style Woody Allen et les ploucs incultes style Bush ; autant te dire que la 2ème catégorie est infiniment plus nombreuse dans leur esprit que la 1ère. Comment arriver à leur expliquer que j’ai bien du mal à me, à nous reconnaître dans l’une ou l’autre ? L’exception culturelle dont ils sont si fiers leur monte à la tête, comme s’ils étaient les seuls capables de penser… Leur critique du cinéma hollywoodien est amusante, je n’arrive pas à y discerner la part d’envie, d’admiration, de dépit et de rancœur. Le cinéma français est certainement intéressant, fier d’un « certain regard » mais nous le connaissons peu, il faut qu’il fasse des efforts de traduction ; le film qui a eu l’Oscar cette année, sur cette chanteuse de l’après-guerre, Edith Piaf, m’a bien plu ; mais à part lui, j’aurais du mal à citer des films français. Clint Eastwood est beaucoup plus connu ici que même Catherine Deneuve chez nous. Enfin, je n’ai pas trop voulu les fâcher dès notre premier déjeuner !

Après le café, les propriétaires m’ont proposé une visite des environs, nous sommes partis en voiture et après un labyrinthe de petites routes qui nous ont fait traverser d’incroyables villages où j’aurais peu de chances d’aller seul, nous nous sommes arrêtés au bord d’une rivière verdoyante. Au rythme de la marche, la conversation a continué à rouler sur la comparaison des paysages, les détours de chemins prenant rapidement le pas sur les grands espaces américains…

Fourbu de découvertes et de conversation, je me suis effondré dès mon retour dans un sommeil abyssal auquel beaucoup de mères n’oseraient même plus rêver, ni pour elles ni pour leurs enfants ! Et me voici ce matin, frais et dispos, prêt à affronter ton prochain message qui ne va pas tarder, j’espère !
Bill


Ce feuilleton est librement inspiré de l'atelier "Je est un autre" ; vous y retrouverez l'intégralité des épisodes dans leur ordre chronologique...