Je cherchais les mots et je ne trouvais rien et je restais là, à la regarder sans rien dire. J’ai dû reposer le bol que je tenais car je sentais mes mains qui tremblaient irrésistiblement… Elle m’a regardé elle aussi un long moment et puis elle m’a dit simplement : « - Bonjour. » Comme ça, avec un air innocent, détaché. Et moi j’ai répondu : « - Ça va ? » Je m’en voulais de ma stupidité mais je ne trouvais rien d’autre à dire. Elle s’est mordu la lèvre comme elle faisait autrefois et puis elle a ajouté : « - Je monte dans ma chambre, n’est-ce pas. Ne t’inquiète pas. » Et j’ai entendu son pas dans l’escalier. Son pas dans l’escalier de nouveau !… Mon Dieu qu’elle était belle ! Aussi belle qu’avant. Comme si rien de tout cela ne s'était passé… Dès que j’ai pu reprendre mes esprits je me suis précipité sur le téléphone. « - Madeleine ? c’est moi. Devine ce qui vient d’arriver. - Quoi ? - Elle est revenue !… » Il y a eu un long silence et puis : « - Tu es sûr ? – Écoute, je ne suis pas fou. Je te dis que je viens de la voir, elle est entrée dans la cuisine pendant que je prenais mon petit déjeuner, elle m’a parlé. Elle est revenue, je te dis. – Et qu’est-ce que tu vas faire ? – Je ne sais pas. - Tu as prévenu Lucien ? – Non, mais je vais le faire. – Attends-moi, j’arrive. » Dès qu’elle a eu raccroché j’ai appelé Lucien mais il n’était pas dans son bureau. C’est sa secrétaire qui m’a répondu. Elle m’a dit qu’il était en réunion et j’ai senti qu’elle avait peur d’aller le déranger mais sur mon insistance elle a fini par y consentir tout de même et au bout d’un moment j’ai entendu sa voix. Elle était étouffée, il devait mettre la main devant sa bouche pour parler. Il n’a pas eu de réaction quand je lui ai annoncé la nouvelle. Lui aussi il m’a dit qu’il serait là dans cinq minutes. « - Tu vas pouvoir te libérer ? - Bien sûr. Ils se passeront bien de moi. Je veux être là pour voir ça. Et Mareski, tu as prévenu Mareski ? « - Mareski, tu crois ? – Naturellement. » Après Lucien j’ai appelé Mareski tout de suite. Une série de sonneries dans l’appareil, plus ou moins lointaines. Et puis sa voix qui résonnait comme dans le vide : « - Qui est-ce ?… – C’est toi ? – Oui. Qui est-ce ? - C’est moi. - Tu es fou de m’appeler à une heure pareille ! – Excuse-moi. Il est quelle heure chez toi ? – Je ne sais pas. Je dormais. » Je l’imaginais là-bas au milieu de sa banquise, dans la nuit. Il devait faire moins trente ou moins quarante comme d’habitude. « - Excuse-moi, mais il fallait que je te prévienne… Elle est revenue. » Il a prononcé un mot que je n’ai pas compris et qui devait être un juron dans sa langue, il m’a semblé qu’il s’adressait à une femme à côté de lui et puis il a ajouté : « - Il y a un avion demain matin. Je vais le prendre, je serai là mercredi au plus tard. » J’imaginais la tête qu’il devait faire. Et puis j’ai refait chauffer du café pour attendre les autres. Ils sont arrivés tous les deux en même temps un moment plus tard. Madeleine n’avait même pas pris le temps de se coiffer, elle portait un foulard sur la tête. « - Mon chéri ! mon chéri !… » Elle m’a pris dans ses bras. Lucien était essoufflé. Il transpirait. « - Tiens, sers-nous un petit whisky, tu veux ! » Et puis nous sommes restés là sans rien dire, à nous regarder en chien de faïence. Il y aurait eu trop de choses à dire. Lucien jouait nerveusement avec la fermeture de son bracelet-montre, Madeleine s’est dirigée vers la fenêtre pour prendre une contenance. Dehors on entendait des cris d’enfants, les élèves de l’école d’à côté. « - Il va faire beau aujourd’hui. – Oui, une belle journée… - Est-ce qu’elle est toujours là-haut ? » J’ai fait un geste vague. « – On ne peut pas attendre comme ça, voyons ! Je vais monter la voir. » J’ai suivi Madeleine des yeux pendant qu’elle quittait la pièce. Lucien s’essuyait le front et je n’osais pas avaler ma salive. Nous suspendions notre souffle. Les trois minutes qui ont suivi, je ne les oublierai jamais, je crois que ce sont les plus terribles de toute ma vie. On entendait toujours le bruit des enfants qui jouaient dans la cour de l’école… Et puis soudain, au moment où nous nous y attendions le moins, il y a eu un énorme, un horrible, un épouvantable…