Difficile de le considérer comme un tendre. Les manuels d'astrologie confirment et vont plus loin. Ils nous le présentent volontiers comme un grincheux, un pisse-froid, un Géronte précoce mais increvable et résolu en diable. Bref, une incarnation ridée de la victoire au finish.
Ils en veulent pour preuve une mine jugée sévère et une peau parcheminée.
Cette image de photo jaunie, de cliché sépia, lui vaut une présomption d'hépatique. Son homéopathe lui prescrira Lycopodium. Et de préférence en hautes dilutions qui correspondent aux états chroniques (de Chronos, le Temps, alias Saturne, planète et dieu du Capricorne.) Selon des ouvrages forts savants, Lycopode correspondrait à une atteinte directe du lobule et des canalicules, mais sans dégénérescence parenchymateuse – Ouf ! une chance! Elle évoquerait un sujet au teint blême; à la patte-d'oie prématurée, bien que l’œil soit vif, au thorax étriqué, bien que la charpente soit résistante. Le caractère serait de type bilieux, maussade et misanthrope.
Pensez-vous que le Capricorne s'en chagrine ? Rien que d'en rire lui redonne des couleurs. Ce mal luné du réveil – parait-il ! –, ce prétendu anxieux du soir, ce réputé pessimiste garde paradoxalement un moral à toute épreuve. Il est en fait beaucoup trop sceptique pour s'en laisser conter.

On dit que bon plaignant va cent ans. Le Capricorne ira cent ans sans se plaindre. Dans le jardin du Zodiaque, il sera le meilleur jardinier pour la fleur de longévité.
En aurait-il plein le dos des tracasseries de l'existence, qu'il se le gratterait encore avec la longue tige d'une immortelle, cette beauté végétale, tenace et rugueuse, un vrai régal pour l'épiderme qui démange.

Nous devions à l’orthodoxie astrologique d’insister scrupuleusement sur les apparentements calamiteux dont le Capricorne fait l'objet.
Mais notre idée sur la question diffère quelque peu. Contre toute idée reçue, nous affirmons que le Capricorne aime la vie pour ses friandises les plus friponnes et ne vise qu'au plaisir partagé de vous cheviller au corps cet amour là. Nous soutenons que le démenti de sa bile est dans l'appétit de sa libido. Il adore faire l’amour. Sur ce point comme sur d'autres, l'Homo Lycopodius a le profil moins tristounet qu'on ne lui en fait réputation.

Des goûts bien arrêtés, une détermination que rien n'arrête, allez donc vous soustraire à son affection si vous êtes son type de femme ! Même s’il ne vous saute pas dessus ex abrupto, il se fera tôt ou tard démonstratif. Vous ne perdez rien pour attendre.
Et ne vous fiez surtout pas à ses airs distanciés. Tout comme la montagne, son lieu symbolique, il aura la distance trompeuse. Mais dans l'autre sens. Vous le croirez lointain alors qu'il vous observera de près. Et ça peut durer, car il prend son temps. Sa mémoire des femmes a vocation de garde-manger. A froid, dans sa tête, il prépare une recette pour vous consommer chaude.

Il parle peu, car il connaît le poids des mots. Demandez-lui conseil : avant de vous répondre, il tournera sept fois sa langue dans la bouche de la sagesse.

En dépit de ce naturel taciturne, il devient bavard pour peu qu'il laisse parler ses sens. Montrez-lui que vous êtes à l'écoute. Prêtez-lui l'oreille et il vous tiendra la jambe. Prêtez-lui encore plus généreusement, il vous en tiendra compte avec la prodigalité opiniâtre de celui qui veut rendre au centuple.
Vous devrez alors témoigner vaillamment de votre réceptivité. Dès ses premières ferveurs, ne craignez pas d'avoir l'acquiescement bruyant. Sous des airs un peu stricts c'est un partisan convaincu de la liberté d'expression.
Sachez pourtant que si vous montez jusqu'à la vocalise, votre voix risque de terminer sur la corde raide. La fin des réjouissances est beaucoup plus tardive que vous ne l'imaginez. Si jamais le mouvement perpétuel devait être inventé, ce ne pourrait être que par un Capricorne. D'ores et déjà, tous les records de durée lui sont acquis. Signe des plus hauts sommets, il peut, sans se pousser du col, s'enorgueillir des plus longues ascensions.

Abrégeons le récit et plaçons-nous après le final de la première nuit. Il a fait de vous son dernier Everest, sa Cordillère des anges. Fourbue mais comblée, vous cherchez à lui exprimer, en un compliment très court, combien il a su se faire apprécier longuement et combien ce véritable bouc des ardeurs amoureuses a su se montrer au parfum des subtilités érotiques. Dans un ultime soupir de contentement, vous trouvez la formule qui rend justice à sa façon de vous rendre hommage. Les hommes apprécient qu'on apprécie. Mais lui, silence radio. Il dort. Comment lui en vouloir?

L'ayant évoqué dans ses oeuvres, nous n'avons pas précisé si le prototype était déjà marié ou encore célibataire. La théorie veut qu'il se marie tard, comme s'il attendait d'avoir du poivre sur les tempes pour mieux épicer sa nuit de noces. Rêvez, lectrices, car les terrestres sont toujours plus intéressants à l'état libre et monsieur Capricorne endurcit volontiers son célibat. Comme dit sa gardienne – qui en a vu défiler dans l’immeuble.– : "Plus il se marie moins jeune et moins il se décide plus vite". À bien observer son manège, elle sait à quoi s’en tenir. Quand ce saturnien vous emmène dans sa turne, c’est rarement pour vous passer au doigt l'anneau de sa planète.

Lorsqu'il se résout enfin à unir sa vie, va-t-il épouser Sophie-la-Sagesse? Peu probable. Ce renommé raisonnable fera volontiers un mariage de déraison. Sa moitié d'orange, il la veut citron. Piquante. Il attend d'elle un grain de folie dans la tête et un grain de beauté dans l'intime. Non! pas Sophie. Surtout si elle a gardé ses socquettes de pensionnat et que ça menace de lui monter en bas bleus le long de la jambe. Pas Sophie, sinon il va se sentir en retard d'une jeunesse et au bord d'un carême !

Il épousera plutôt une jeune branchée répondant avec un bel empressement au surnom de Fenteasy. On s'étonnera de ce choix et des agapes qui s'en suivront. C'est qu'on l'imaginait lent, concentré comme du lait en poudre, sanglé d'inertie, corseté d'esprit de suite. Encore une occasion de faire pièce aux idées reçues.

La Vérité, la voici. Elle impose un détour par la mythologie.
A la mort d'Amalthée (la bonne chèvre crétoise qui avait donné la tétée à Zeus encore bébé), le dieu reconnaissant décida d’immortaliser la corne de sa nourrice. Il en fit la fameuse corne d'abondance et lui réserva une place au firmament, où elle devint la constellation du Capricorne. Retenez donc les attributs du Signe pour ce qu'ils sont : un symbole de fertilité; un gage de bonne lactation, de rations copieuses, bref : une assurance bon-vivant.

Alors que nous préparions le contenu de ce chapitre avec Mose et Krista (Voir « Monsieur Scorpion » pour cette collaboration), notre aimable viennoise elle nous rapporta comment elle avait rencontré une plaisante équipe de Capricornes dans les hauteurs du Tyrol.
Solides montagnards, chasseurs alpins d'Autriche, ils étaient visiblement décidés à restaurer l'image de leur Signe dans sa bonne santé d'origine et dans le trop-plein de la profusion.
Ils organisaient des festins où les coquilles saint-jacques étaient remplacées par des cornes généreuses ayant dû appartenir à des aurochs plutôt qu'à des chèvres. Ils les bourraient de chair à saucisses, de choux, de kartoffeln et autres étouffe-chrétien.
Ils poussaient la tyrolienne – prononcez : jodler – bien plus haut que leurs chapeaux à plume, tandis que les tonneaux n'en finissaient pas de pisser mousseux dans des chopes aussitôt englouties.
En fin de repas, ils sucraient leur café en y déversant par tubes entiers le pur lactose de leurs précieuses granules (Lycopodium 15CH) avant de retourner à la bière sur l’air de "Ich bin Steinbock aber ich pflege mich! " : "Je suis Capricorne mais je me soigne!". Tout ça en prenant sur leurs genoux les belles qui virevoltaient alentour de leurs soifs.
C’est toujours dans cette configuration que le Capricorne tyrolien commence à vous délacer le dirndl pour vous plonger plus à son aise la main dans le corsage. Laissez le faire et vous entendrez son fameux chant retentir dans la montagne de sommet en sommet.
Pareillement sollicitée, Krista préféra interrompre cette séquence dont les perspectives ne cadraient par suffisamment avec l’objet de son étude.
Elle en retint seulement que ces joyeux drilles avaient su réagir contre la réputation ascétique de leur Signe et que, ça au moins, on ne pouvait pas le leur retirer.
Qui donc contesterait les gaietés d’un tel escadron?
Qui donc oserait encore parler de « Tristes tropiques » ?
Celui du Capricorne ne saurait être en cause