Manifeste du parti de défense de la seconde inconnue
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(Ecriture sous contrainte, un titre plusieurs textes.)

Nous devons défendre la seconde inconnue, celle qui fait la différence entre les sexes. Nommons tous de son nom, l’axe vertical bien ordonné, qui croise les abscisses croyant se passer de lui. Portons le élégamment au carré ou au cube, apprécions sa beauté majuscule autant que minuscule. Chaque objet céleste découvert entre le 16 et 31 décembre arborera fièrement et temporairement son nom. Rappelons qu’avant nous, les pythagoriciens le portaient au pinacle, pyramidal ou polygonal. Aujourd’hui encore, il nous permet d’évoquer le lieu où l’on est ou celui où l’on se rend. On en trouve des kyrielles enkystées près de l’intéressant cas.
Il dessine les yeux des myopes, équilibre le ying et le yang. Au centre du voyage, il sert d’ancre à Ulysse, lui épargnant la noyade.
Seule voyelle dotée de jambe, c’est aussi la seule lettre qui affiche sa nationalité.
C’est pour tout cela que nous l’idolâtrons, de cet amour inconditionnel qui ne se déçoit pas. Dévoués à sa cause, prenons sa pose, celle d’une sirène, les bras dressé en signe de victoire, malgré son inconfortable unijambisme. Entre nous, usons de son surnom allemand, ybsilon et illuminons d’enjolivures les mots qu’il habite.
Dénonçons son faux frère, simple et l’air bonhomme avec son chapeau en forme de point, qui œuvre depuis des années à usurper sa place dans nos phrases. Oye, Oye (et non, Oie, oie, appréciez la différence) militez avec moi pour le retour du y dans nos mots de tous les jours, qu’il ne connaisse pas le sort d’un esset que je n’ai même pas sur mon clavier. Y


La seconde inconnue (Bis)
(Ecriture sous contrainte, un titre plusieurs textes.)


Je n’ai quasiment aucune séquelle de cette magnifique décharge électrique qui m’a fait traverser le salon en volant. Et pourtant, si, il y a juste ces petits moments où mon corps décroche, me laissant un instant sans fonctions vitales. Mon cœur s’arrête, si peu, ma vue passe au noir, mon ouie se bouche, mes bras tombent, mes jambes s’assoient.
Cela vient toujours au plus mauvais moment. Mon pied écrase le frein devant ce piéton qui passe, et je sombre : l’ai-je touché ? Ton visage s’approche enfin du mien au détour de la table du restau, mais le noir m’enrobe. M’as-tu embrassée ? Quel jeu jouer à la reprise ? Car bien sur, cela ne dure pas. Alors que pour les témoins du bug, l’absence est furtive, juste un léger manque de réaction peut être, pour moi, un pan de la conversation ou de la bataille me manque. Où en est-on ? Quel est le score ? Partout dans mes souvenirs, il y a maintenant ces pointillés. Tu crois que je les utilise à dessein, mais je les subis plutôt. Tu te penches vers moi, tu as quelque chose à me dire, un secret. Bien sur je ne l’entends pas : à mon retour en mode marche, tu as cet air de conspirateur. Viens tu de me susurrer une douceur que je dois te rendre, ou m’as-tu juste confié tes intentions de vote ? «Moi aussi » je tente à tout hasard. Tu as l’air content. J’envisage de me promener avec un magnétophone pour savoir à quoi je viens d’abonder tranquillement.
Au boulot, c’est pareil, un coup de stress et je décroche. Mon chef me convoque. Il me parle restructuration, réorganisation, m’assure de mes performances et enchaîne « en ce qui vous concerne.. » .J’ai juste le temps de prendre note de son masque qui peut aussi bien m’annoncer mon départ (en toute confiance) que ma promotion (idem). Noir de noir, puis come back. Il guette ma réaction. Je le remercie de sa franchise et lui dis que je vais réfléchir à la situation. J’apprends après que quoiqu’un peu surpris par mon calme, il a été impressionné par ma prise de recul. Voila qui m’avance bien, j’ai encore un job ou non ? Finalement, oui, aux dernières nouvelles.
Avec le temps, j’ai développé de merveilleuses techniques de compensation, des phrases toutes faites qui me permettent de raccrocher le wagon de la conversation. Finalement, je les aime ces moments d’absence. A raison d’une à 2 secondes par bug, une dizaine de fois par semaine, je perds le cours de ma vie 16 mn par an. Il m’a fallu 4 ans pour perdre une heure. Mais cette heure est composée des plus intenses non secondes de ma vie. La seconde inconnue, c’est la meilleure partie de moi.

La seconde inconnue (Ter)

(Ecriture sous contrainte, un titre plusieurs textes.)

Je l’ai rencontré à un consortium de mathématiciens. Sans rire, les filles. Bon faut dire, c’était un petit job que je m’étais trouvé comme ça pour l’argent de poche. Donc, me voila hôtesse à ce salon. J’étais la pour porter le tailleur, sourire à ces messieurs, pas beaucoup de femmes, les filles, dans les conférences de scientifiques, c’est pas qu’une légende. Aussi fourni en mecs qu’un Casto un dimanche matin, et des mieux je vous l’assure, parce que j’en ai pas vu beaucoup en survêt adidas. Bon, me voila à faire la jolie gentille, à renseigner ces messieurs, parfois un peu perdus. Pour le coté pratico pratique, le scientifique c’est pas toujours ça, il faut voir. Mais plutôt plus gentils que les gars de chez Casto. Le brief de l’agence d’hôtesses, c’était de faire dans le genre sobre (tailleur bleu pas trop court) et d’avoir révisé mon bouquin de maths de 2nde. Pff, je vous dis pas la joie, de replonger dans l’inconnu de la seconde. Mais bon, au moins, je comprenais parfois un mot sur 2 alors que sans ça, c’était mutation en Finlande coté aisance de la conversation.
Le matin, un de ces messieurs s’était pris d’affection pour moi. Il est venu me raconter des trucs, c’était assez mignon. Bon, pas le genre qui fait tripper mes copines, hein, mais gentil, comme je vous dis. Il me contait poésie, comme on dit. La beauté de la bouteille de Klein (apparemment, ça ne se boit pas). Le mystère du nombre d’or. La joie de l’optimisation sous contrainte (j'ai cru que c’était un truc sexuel pas recommandable, mais ça avait pas l’air d’être le genre du monsieur.). L’intérieur caché des matrices inversibles à diagonaliser (là, ça avait l’air plus chirurgical que sexuel, mais toujours pas) Les permutations dans la théorie des groupes (quoique ce soit que vous ayez à l’esprit, ce n’est pas ça). Bon pour tout vous dire, je commençais à être suffisamment perdue, alors j’ai pris des notes. Plus je notais, plus il continuait à m’en dire des pareilles. Moi je voulais juste pouvoir les chanter aux filles, tous ces trucs bizarres que jamais un garçon ne nous avait susurré à l’oreille. Finalement, il avait une conférence en amphi B12, je l’ai amené en bas des escaliers parce que ça faisait trois fois qu’il se perdait dans sa poésie et il est parti.
C’est l’après midi qu’Evariste est arrivé. En vrai, il s’appelle pas Evariste, c’est les autres qui l’appellent comme ça. Rapport à un Evariste qu’est célèbre chez eux, mais alors que là, parce que même sur M6 à 10h du mat un dimanche, on n’en a jamais parlé. Bon, mon Evariste à moi, il s’amène en retard, tout essoufflé, et tout mignon, vraiment l’air en l’air comme garçon. Perdu, bien sur. Il doit parler dans une conférence, c’est lui qui est sur scène, si c’est comme ça qu’on dit, et il a une demie heure dans la vue. Il s’adresse à ma collègue, « mademoiselle l’inconnue, qu’il lui dit », elle ne sait pas, alors il fait « on va demander à la seconde inconnue » et il s’esclaffe avec ses collègues. Va comprendre. Je lui sauve tranquillement la vie en l’amenant au pas de course sur mes talons (sobres, comme a dit l’agence, 5cm) à son amphi. Il entre, les autres crient vas-y Evariste, exit l’Evariste. Mais non, les filles, il repasse en fin de salon, pour me remercier. Il me parle un petit peu, il est beau, alors pour meubler je fais mon intéressée, je demande de quoi il a parlé. Il me dit que c’est compliqué, il me demande si j’aime les Mathématiques. Pas les maths, les filles, les Mathématiques. Alors la je ne sais pas ce qui me prend, je lui dis que je n’y connais pas grand-chose, mais que je suis attirée par le mystère du nombre d’or, que les bijections me font vibrer pour une raison inconnue (tu parles) que la théorie des groupes c’est magique, (ça tombe bien, c’est Evariste qui l’a inventée, j’apprends, pas celui-ci, l’autre, qui passe pas sur M6), je louche sur mes notes, ah les équation sinusoïdales, l’emballement de l’exponentielle, l’intégrale de fournier, (rien à voir avec l’épilation, finalement) Fourier, sourit-il…C’est étonnant, dit mon Evariste, que vous aimiez tout cela, c’est bien. Je lui demande si c’est parce que je suis blonde que ça l’étonne, désolée j’ai pas pu m’empêcher. Il est confus, non surtout que je ne crois pas ça, et d’ailleurs il aimerait me revoir. Je fais Bingo dans mon tailleur, je m’en moque qu’il me parle serbo-croate, tant qu’il reste aussi beau. Pour me prouver son estime de ma pensée, sans rire, il me propose un petit jeu (attendez les filles). Rendez vous chez lui ce soir, a 20h30. Je trouverai facilement l’adresse, il habite une rue du nom d’un théorème célèbre. Un théorème j’en ai connu qu’un et il était à Thalès, comme ceux du CAC 40. Je fais « rue de Thalès ? » d’un air timide, et il me sourit. Quel numéro ? « Et bien, me dit il en prenant un papier, vous n’aurez pas de problème à résoudre ces 2 équations, vu votre amour des mathématiques. J’habite très exactement à la seconde inconnue. » Et il s’éloigne en me disant, à ce soir 20h30 !
Exit de ma vie l’Evariste.