Le plus bel exemple en est sans doute un René Daumal, voyageur inspiré des états seconds, écrivain qui flottait entre mysticisme et surréalisme. Il inventa le Mont Analogue, montagne magique perdue au milieu des océans, île mystérieuse qui ne livrait son accès qu'aux poètes aventureux et autres quêteurs d'absolu. Les astrologues modernes auraient pu trouver en lui la référence première de ce douzième Signe. Ils semblent avoir injustement ignoré ce Robinson des vies parallèles.
     Mais revenons au cas général d'une humanité plus courante. Le Poissons a l'attrait d'un défi. Il est assez singulier pour s'offrir un pluriel, assez double pour qu'on n'en soit jamais quitte. Une sorte de Gémeaux en exil dans les brumes. Essayez de le décrire, il se fera anguille pour vous glisser entre les mots ou poisson-pilote pour vous entraîner au large des continents.
     Lorsque le jeune Poissons traverse la flottille parfumée d'un banc de filles, il éprouve comme la caresse d'une eau tropicale. Il frétille. Et s'il ne va pas, comme son frère marin, jusqu'à perdre sa laitance, il émet néanmoins des signaux sonars que le récepteur intime de ces demoiselles captera cinq sur cinq.
     On soupçonnait déjà ce phénomène avant qu'il ne fût confirmé par les parapsychologues – dont, soit dit en passant, la plupart sont Poissons. Mais il est faux qu'il soit à l'origine de ce qu'on appelait autrefois les enfants naturels.
     Vous l'aurez constaté, on peut difficilement parler du Poissons sans avoir la métaphore aquatique. Filez la métaphore au fil d'une eau limpide, vous le croyez sans mystère. Tentez de le suivre entre les pierres du torrent, il vous apparaît insaisissable. Cherchez-le dans le tourbillon, il vous noie. Approchez-le dans une eau dormante, vous comprenez qu’il rêve sans vous laisser la moindre chance de pénétrer dans ses songes. Le poissons se cache dans un autre univers. Aucun murmure de roseaux ne saurait trahir ses secrets. Tant mieux pour vous, car ils risqueraient de semer la panique dans vos certitudes.
     De tout le Zodiaque, le Poissons est le plus déserteur des données concrètes, le plus grand bâtisseur d'extravagances, le plus fou châtelain de châteaux en Espagne. Et lorsqu'il s'aventure dans la réalité, c'est pour la repeindre au délire de sa palette. Sa nature multiple ne va pas sans problème. On croit parfois qu’il retourne sa veste. Mais non ! il en a plein sa penderie. Tant de personnages en lui qu'il ne sait jamais trop lequel endosser. Il choisit celui que l'instant propose. Se débarbouille d’un masque pour en emprunter un autre. Vous sert à sa guise le carnaval de Venise, la commedia dell’arte ou autre forme d'illusion. Qui peut dire pourquoi il joue ce jeu ? Pour se protéger de la vie, peut-être. Ou bien par perplexité de soi. Car le Poissons est un être en partance. En perpétuel besoin de se fuir. S’il cesse un jour de s’embarquer, c’est que les arbres des forêts se seront abandonnés à la souplesse des grandes pieuvres et que la terre fera des vagues.
     Il aura participé, en attendant, à toutes les révolutions qui vous déroutent : Les peace and love, les expériences psychédéliques, les rave parties – parce qu'on prononce rêve ! Il aura cru aux OVNI. Il aura couru les gourous. Il aura donné dans l’ésotérisme, à commencer par l’astrologie. Se savoir Poissons lui apporte déjà un point de repère. Découvrir ce que le ciel dit de lui peut le réconcilier avec son flou intérieur. L'aider à structurer une image de lui trop incertaine pour ne pas l’exposer à la timidité.

     L’astrologue Krista Leuck me racontait qu’une de ses amies s'est spécialisée dans la pêche au Poissons timide. Elle a trouvé un bon truc. Autant vous en faire profiter.
    "Je le pêche dans l'eau de son trouble avec un simple filet à provisions, explique-t-elle d'un air malicieux. Il n'ose pas m'aborder, soit ! Et si je le regarde un peu trop fixement, je lui tétanise la Vénus ! Je m'arrange donc pour le rencontrer, comme par hasard, à la supérette. Et, comme par erreur, je pose un de mes achats dans son caddie. Je m'en excuse. On en sourit. Nos mains esquissent le même geste vers l'article égaré. Je triche un peu pour qu'elles se rencontrent. Elles se retirent d'un même réflexe. Cette fois c'est le rire franc. La glace est rompue."
     Cette fille part du principe que les Poissons – toujours un peu extra-terrestres – possèdent en eux leur propre système de micro-ondes. Il suffit de le déclencher pour que leur convivialité se décongèle et que leur timidité commence à fondre. Et la suite du mode d'emploi ne manque pas elle non plus de fondant :
    "À partir de là, tu verras, c'est tout simple. Ton filet est trop lourd et lui beaucoup trop sympa pour ne pas te donner un coup de main jusqu'à la maison – il y aurait un manuel à écrire sur l'art du prétexte. On pose les provisions sur un coin de table. Tu fais semblant de t'excuser du désordre, alors que ça le rendrait plutôt cool – c'est le tiré à quatre épingles qui le stresse, il voit des hameçons partout ! Plus tu l'observes, plus tu le trouves appétissant. Pendant qu'il admire tes reproductions de Magritte, ne cherche pas de recette compliquée pour le préparer. Arbore le grand costume de cuisinière dans son plus simple appareil. Le choc lorsqu'il se retourne ! Ça peut paraître un peu rapide mais il faut surtout éviter qu'il se recongèle. Il deviendrait impropre à la consommation. Après quoi, je te dis pas le régal. D'autant qu'il se relève très bien avec de l'aneth ou du citron."
     Si vous réussissez vous aussi l'expérience, écrivez-nous et racontez...