« Faire rire et réfléchir » C'est la devise de notre troupe théâtrale. 

François RUPON, juste la trentaine se tient debout face à un groupe d'artistes qu'il a sélectionné après un entretien minutieux pour créer une troupe expérimentale qui devrait selon son souhait révolutionner le monde culturel. Il veut de l'imagination, du rêve, de l'émotion, de la légèreté, de la nouveauté, de l'audace, de l'utopie. 

Pour cela, les artistes se sont engagés à vivre ensemble dans une résidence d'artistes. Il s'agit d'une maison de maître perdue au milieu de la campagne . Au rez-de chaussée on trouve une cuisine, plutôt moderne, une grande salle à manger et un salon confortable et chaleureux où chaque soir,  ils se retrouveront autour d'un feu de cheminée et dans au fond, une petite bibliothèque. Dans les étages ce sont les chambres et sanitaires. De chaque côté de cette maison, deux hangars seront les lieux de travail et de répétition. 

 

Si je suis à l'initiative de ce grand projet, je ne suis pas votre patron. Nous n'avons pas besoin de chef, notre groupe doit vivre en autogestion, toutes les décisions devront être prises par l'ensemble du groupe. Pas de hiérarchie. Tous ensemble nous devons porter et œuvrer pour ce grand projet culturel, une personne une voix. Toutes les responsabilités sont partagées. Nous devons réaliser une œuvre collective. Nous sommes tous différents, certains font du théâtre d'autres du cirque, il y a des musiciens, des peintres, des auteurs et poètes mais aussi une cuisinière et une autre personne pour le ménage. Que ces différences soient complémentaires, tous ensemble pour une même but. Vivons avec passion cette aventure, aimons-nous, détestons-nous, laissons venir nos colères, enthousiasmons-nous, acceptons les conseils ou les critiques. Ensemble nous devons créer une œuvre grandiose, originale, qui doit divertir et transcender la réalité. Exalter les spectateurs. Il ne s'agit pas de faire rire pour rigoler, mais faire rire pour émouvoir, éblouir, ravir tout en bousculant les certitudes, dérangeant, interrogeant. Faire rire et réfléchir.

 

Tous ont écouté avec attention, personne ne bouge, un silence s'installe, on réfléchit. Les écrivains et autrices s'expriment en premier : « Nous sommes dans un lieu merveilleux, protégé d'une actualité douloureuse et cruelle, loin des bruits du monde, il nous faut transformer ce réel sordide, injuste, violent, l'alléger par des mots, le recréer en le sublimant. »

Un autre poursuit : « Laissons-nous aller, réveillons nos souvenirs, nos peurs, nos angoisses, nos moments de bonheur, réveillons nos rêves, nos fureurs ou irritations, imaginons un autre monde, bousculons nos habitudes. »

À ce moment-là, la cuisinière dit : « Bon je vais préparer le repas de ce soir, il m'appartient de bien vous restaurer. » C'est comme un signal, les autrices et poètes se dirigent vers la bibliothèque, les circassiens se dirigent vers le hangar où sont installés trapèzes ou cordes. Les musiciens se saisissent de leurs instruments, les peintres de leur chevalet et pinceaux. Chaque groupe se choisit un espace pour s'installer. 

 

Les acrobates, les trapézistes, les jongleurs s'agitent, l'un se balance sur un trapèze, un autre monte le long d'une corde puis se renverse la tête en bas, un autre fait quelque sauts et pirouettes tandis qu’un jongleur, machinalement lance des balles et les rattrape. Puis assis en rond ils échangent à bâtons rompus : « l'insoutenable légèreté de l'être » « l'équilibre est un point fragile » « il nous faut jongler avec la vie. » Avec nos pirouettes, nos sauts périlleux nous signifions qu'il est toujours possible de ne pas se laisser engluer par une réalité sordide, il faut s'élever. Le trapéziste affirme que vivre c'est prendre des risques, il ne faut pas hésiter à se jeter, même dans le vide. Il faut un peu de magie et savoir jongler, poursuivent deux autres. C'est cela notre spectacle.  

 

Les peintres se sont éparpillés dans la nature, attentifs aux bruits aux odeurs, aux couleurs. Puis chacun s'est installé, saisi par une fleur, un arbre, un jeu de lumière, un rossignol venu picorer tout près, un champ de blé. Chacun peint en étant sensible à ce qu'il ressent à partir de ce qu'il voit. Dans un état de méditation, ils sont disponibles à la beauté. Chacun d'eux porte sur cette nature grandiose un regard particulier, original et chacune de leurs œuvres provoque chez le spectateur, un effet de surprise, un moment d'arrêt. Ils nous invitent à voir le monde autrement. Ils pensent que les musiciens devront magnifier leurs créations. Peut-être qu'un roulement de tambour accompagnerait un ciel orageux, ils imaginent des notes cristallines s'élevant sur un envol d'oiseau. Que les violons exaltent les sanglots de l'automne et que les saxos fassent swinguer les nuages. 

 

Les musiciens n'ont pas d'idées précises, ils savent qu'ils vont devoir s'accorder avec les autres artistes et ensemble ils tâtonnent, composent une harmonie, des airs de fanfare...

 

Après un diner raffiné et partagé dans la joie, tous se retrouvent dans le salon autour de la cheminée. Chaque groupe d'artistes échange sur son travail, ils définissent leur objectif : que notre spectacle libère le spectateur d'une réalité pesante. Puis chacun se laisse aller dans les bras de son voisin, des couples se forment au hasard, échangeant naturellement baisers et caresses, sans provoquer de réactions hostiles, de jalousie car ils s'aiment tous, sans préférence, chaque soir de nouvelles rencontres, chaque nuit de nouvelles découvertes sensorielles. 

 

Les jours passent sans heurt, dans un climat chaleureux, d'écoute et de respect. Tous sont solidaires et travaillent avec ardeur, recherchant une cohérence. Ils se sont approprié ce projet de création,    C'est leur projet. 

 

Illusion groupale diraient les psy, une expérience inoubliable diront les artistes.