Bonjour Yvon,  une exposition de vos plus récents tableaux vient d'ouvrir dans la salle des pas perdus du Palais de Justice, qui fait déjà couler beaucoup d'encre. Pourquoi l'avoir intitulée Les Oranges Bleues ?

 

Eh bien, vous vous en doutez, c'est un clin d'œil au poème d'Éluard !

 

Ah oui, bien sûr, je n'y avais pas pensé ! Et de quelle manière avez-vous été inspiré ?

 

Voyez-vous, je ne suis pas d'habitude un grand consommateur de poèmes, mais il se trouve que ma fille est rentrée du lycée avec un commentaire composé à rédiger pour le bac de français. La terreest bleue comme une orange. Évidemment, en tant qu'artiste peintre, cela ne pouvait que m'interpeller... Ainsi les poètes pouvaient eux aussi détourner les couleurs comme je le fais depuis des années.

 

Le problème est que l'on n'a jamais su comment interpréter le texte d'Éluard. Il en va un peu de même pour vos toiles, cela ne vous dérange pas ?

 

Pourquoi parler d'interprétation ? Nous avons tous une sensibilité différente, je ne fais qu'offrir à chacun ce qu'il peut trouver en lui-même sans forcément savoir comment l'exprimer...

 

Votre fille a pourtant dû écrire son commentaire composé ?

 

Et ne vous dirai pas ce que je pense de la formation littéraire au lycée. On devrait plutôt parler de formatage. Je l'ai aidée à faire son devoir, nous avons évoqué la fausseté de la représentation des couleurs,  la nécessaire déconstruction pour atteindre l'émotion pure, et nous avons eu 6 sur 20, « pour la copie double et l'encre », selon son prof.

 

Il n'y a pas d'oranges dans vos œuvres, ni bleues ni jaunes ?

 

Non, mais vous trouverez des flamants verts. Oui, je fais de la peinture animalière.

 

Ah bon ? Et sur quelles œuvres peut-on les voir ? J'aime beaucoup ce que vous faites, mais je n'y ai jamais rien vu de figuratif. J'admire surtout la façon dont vous faites couler la peinture, du haut d'un escabeau, me semble-t-il ?

 

Peu importe le vecteur, je suis dans mon siècle. J'aurais aussi pu prendre la queue d'un âne, n'est-ce pas ?

 

Vous ne me semblez pas très indulgent avec vous-même... Maintenant que vous le dites, il me semble bien avoir distingué, dans Coucher de Soleil sur Avanton, une harde d'éléphants roses. Puis-je en avoir confirmation et écrire cela dans mon article ?

 

Faites, mon cher, tout ce qu'on écrit sur moi est bénéfique... Ce tableau s'est très bien vendu à la salle des ventes. Merci de contribuer à ma renommée. Je crois que c'est le Comte et la Comtesse d'A.... qui s'en sont portés acquéreurs.

Mais dites-moi, qu'est-ce que vous aviez fumé ce jour-là ?

 

Extrait de l'interview d'Yvon Clain  réalisé par Alain Seylac pour 7 à Poitiers.