J'aurais dû réserver mon billet sur internet. Cela fait deux heures que j'attends, il fait chaud, et sur cette place en pente il est difficile de garder l'équilibre. Je n'ai même pas pris ma canne-siège. Franchement, est-ce que ça vaut la peine de rester ?

            Hockney, je l'ai déjà vu à Londres, d'ailleurs, je n'aime pas tellement. Ces couleurs vives plaquées sur la toile, certains de mes élèves pourraient en faire autant. Pas vraiment de profondeur. Et cette manie de remplacer le bleu du ciel par du vert, le vert des pelouses par du rouge, et tout à l'avenant.

            Je me connais, je vais être agacée par la foule aggluninée devant les toiles, leurs commentaires de néophytes, la chaleur, et l'odeur de transpiration qui déjà à l'air libre m'incommode.

            Après tout, il n'en saura rien, le directeur. Le billet de train, il me le remboursera, et je peux ramasser un vieux ticket d'entrée. J'ai déjà lu quelques critiques dans Le Monde et dans Parcours des Arts, ça fera l'affaire pour la conférence.

            Une petite balade au bord de la Seine, un tour dans quelques galeries boulevard Voltaire, ils savent y faire là-bas pour exposer de vrais talents, et je rentre. C'est décidé, je quitte la file de moutons.

            Un peu plus loin, un cercle de badauds m'intrigue. Tiens, le voilà, mon ticket usagé. Je m'approche, et pour me donner une contenance, j'allume une cigarette. Je ne vais pas le ramasser comme ça tout de go, on me prendrait pour une mendiante.

            La fumée me pique les yeux, maintenant, et me fait éternuer. Je fouille dans mon sac pour trouver un mouchoir, cela a l'air de faire rire. Ma parole, ils se moquent de moi, ces touristes ! Mais non, je fais ma parano, il doit y avoir quelqu'un qui fait le clown à côté.

            Je me fraie un passage dans le cercle, mine de rien, un badaud me bouscule, je lui jette un regard méchant, et cela a encore l'air d'amuser les spectateurs. Je me retourne, personne. Je jette un coup d'oeil à droite, à gauche, rien... Ca y est j'ai compris : un voleur à la tire vient de me dérober mon portefeuille. Je panique. Agrippe mon sac. Eh non, mes papiers sont toujours là ! Je m'essuie le front.

            Il va falloir que je trouve un truc pour me baisser vers ce satané ticket. Mes chaussures n'ont même pas de lacets à refaire... Je sais. Feindre la chute, poser discrètement la main sur ce sacré bout de papier, me relever. Simili patatras... et me voilà bien étalée par terre, ce n'est pas facile à imiter, une chute. Je crois même que je me suis fait un peu mal. Et personne pour me venir en aide ! Mais ça y est, je le tiens, et pour ne pas me salir, je relève d'abord mon popotin, les pieds et les mains bien posés au sol, puis je retrouve mon équilibre. Il y en a encore qui rigolent, je leur jette un regard noir, les gens n'ont plus aucune éducation.

            Je place l'air de rien le sésame dans ma poche et m'éloigne en boitillant un peu, sous les applaudissemnts, c'est un comble !

            Je me retourne et surprends une espèce de Pierrot, qui m'avait prise pour cible : cela fait un moment qu'il imitait tous mes gestes.

J'en avais déjà vu, j'avais même trouvé ça cocasse, mais là, je ne sais pas ce qui me retient de lui balancer mon sac dans la figure !