Je l’entends qui s’avance derrière moi, une pause, sa voix s’élève.

Je l’ai précédé, de deux secondes, devant nous un carré blanc, celui qui s’ouvre au candidat au saut de l’ange.

Il faut se lancer, quinze pas direction côté cour, s’arrêter, parler et s’immobiliser dos de trois quarts.

Stupeur, et panique, ce n’est pas ma partenaire et les phrases qu’elle prononce ne sont pas celles que nous avons travaillées.

Six mois que nous sommes en résidence pour monter une pièce que certains qualifieraient de boulevard, et que je résumerais par : « Faits divers de la vie conjugale ». L’auteur très en verve a exploré les méandres de la vie de couple pour en restituer un dialogue doux-amer dans lequel beaucoup se reconnaitront, toujours en limite du rire et des larmes.

Avec ce que j’entends nous n’en sommes plus là, nous sommes plus dans une scène d’abordage couteau entre les dents, duel œil pour œil, dent pour dent, que dans un gentil mélodrame.

Difficile d’être à l’écoute en préparant une réponse adéquate, nous sommes sortis du cadre convenu pour nous engager dans l’improvisation.

Je commets l’erreur de vouloir me justifier en ridiculisant le propos de cette partenaire, mauvaise pioche, les coups reprennent de plus bel, s’y ajoutent désormais les termes de lâcheté, d’incapacité à assumer sa place et son rôle de père et d’époux. Tous les thèmes sont abordés : les absences, les fréquentations, le manque d’investissements dans la maison, le fait de laisser ses enfants quasiment sans père pour le peu que nous leur consacrons. Et si nous parlions du partage des tâches dont nous les hommes nous figurerions que ce sont des tours de magie.

C’est la mousson, je suis rincé, le public exulte et applaudit à tout rompre.

Depuis les premiers mots je peine à rétorquer, quand j’y parviens, c’est entre mes dents, à voix très basse, pour obtenir le silence.

-       Soit, j’acquiesce, je ne conteste pas le propos, mais, à une condition, que les torts soient partagés.

Avant que naissent les enfants, existait entre nous un équilibre, ils sont arrivés, il a fallu leur faire une place, donner du temps, de la présence, de l’amour.

Pour nous, cela a signifié : moins de temps, moins d’intimité, plus le temps de penser et d’avoir des idées, il était où le désir…

C’est râpeux la vie, cela écorche la peau et l’âme, il n’y a pas de crème pour soigner cela et si l’on se lâche la main, c’est la dérive.

Je m’apprête à poursuivre, j’entends.

-       Quand je te taperai sur l’épaule tu entres en scène !!!