Elle. Ses pleurs sont silencieux, elle laisse couler ses larmes, sa tristesse se communique, puis brutalement, avec colère elle explose :

- Il faut que tu tournes la page, voilà ce que mes amies me disent, tourner la page ! Tourner la page ! Mais enfin, mon mari ce n’est pas une page ! Ses pleurs l’étouffent, elle hoquette, renifle, se mouche.   

 

Elle, quelques jours après. Elle est là, silencieuse, elle pleure, puis d’une voix sourde qui enfle progressivement :

- Tu dois faire ton deuil, c’est comme ça, tu dois accepter. Accepter ! Ce n’est pas possible. C’est injuste, pourquoi lui ?

Puis elle garde le silence.

 

Elles

- On ne sait pas quoi faire. Bien sûr on comprend, c’est très triste. Mais on ne peut pas la laisser comme ça. Elle ne se fait plus à manger, la plupart du temps elle reste dans son lit ou dans le noir, elle n’a plus goût à rien. On ne sait plus quoi lui dire. On se relaye, tous les jours l’une ou l’autre passe la voir, on lui apporte des mandarines, des fruits secs, des gâteaux, des fleurs, on aère la maison. Mais cela ne change pas grand-chose.

 

Elle

- Avec le temps tu oublieras ! Mais c’est ce que je refuse, ce n’est pas possible, je ne peux pas oublier, c’est comme si elles me demandaient de le tuer une deuxième fois.

Elle se tasse dans le fauteuil, les cheveux ternes, non peignés, habillée sans goût, elle pleure en silence, en laissant les souvenirs revenir. Elle pense à sa voix, son rire, son bras entourant des épaules, sa main sur son genou qui lui disait : ça va ? Ou on y va. Elle se sentait aimée, entourée, protégée. Avec lui elle se sentait vivante.

 

Elles, quelques mois après.

- On continue mais cela ne semble pas lui faire plaisir, non ! Des fois même, on sent que cela l’énerve. Elle est cassée, c’est vrai que c’était un couple heureux, tous les deux, ils étaient chaleureux, accueillants, gais.

 

Elle.

- Fais un effort ! Remue-toi. Tu ne voudrais pas voir un médecin, tu devrais peut-être prendre un anti dépresseur. Mais je n’ai pas envie, je suis bien dans le noir ou dans mon lit. Je n’ai envie de rien. Elles ne peuvent pas comprendre ça !

 

Elles, six mois après.

- C’est insupportable, désespérant ! Tu sais ce qu’elle nous a dit : merci mes amies d’avoir essayé de me faire plaisir. Toi, tu vas peut-être nous dire qu’elle va mieux…

Françoise, la plus jeune des trois amies n’accepte plus.

- Je n’en peux plus, je vais aller à la SPA choisir un chien que je vais lui donner, il faudra bien qu’elle s’en occupe, elle ne va pas le laisser crever quand même !

 

Elle.

- Un chien ! Vous vous rendez compte. Elles m’ont laissé un chien. Je n’ai jamais eu de bêtes chez moi. Je l’ai enfermé dans le garage et vous savez quoi ? Il est allé dénicher le vieil anorak de mon mari, l’anorak qu’il mettait pour bricoler et jardiner, il dort dessus et il joue avec ses chaussures de jardin et ses bottes. Moi qui n’ai encore rien touché des affaires de mon mari. Des fois quand même, je le laisse rentrer, il vient se coucher à mes pieds, si je pleure, on dirait qu’il le ressent, il pose sa tête sur mes genoux.

 

Elle, quelques temps plus tard.

- C’est drôle, ce chien avec ses yeux noirs, la manière dont il me regarde, on dirait qu’il me comprend, qu’il veut me consoler. Son grand plaisir c’est d’aller dans le jardin, il doit s’amuser à gratter. Il me rapporte ses trouvailles. C’est quand même bizarre ce qui l’intéresse. L’autre jour c’était un vieux gant de mon mari, vous savez ces gants verts de jardinage. Une autre fois, c’était une petite bèche que mon mari utilisait pour gratter la terre de ses pots de fleurs, il ne savait plus où il l’avait mise. Hier, il m’a rapporté sa montre, je savais qu’il l’avait perdue, le bracelet s’était cassé.

 

Elle. Deux ans après.

- Je viens vous dire au revoir. Finalement je me suis attachée à ce chien et cet été j’ai décidé d’aller marcher avec lui dans les causses du Quercy, le pays natal de mon mari. J’y suis allé souvent avec lui, il aimait ces paysages. A Saint Cirq La Popie, j’ai eu le coup de foudre pour  une maison, je l’ai achetée et je déménage. Je vais aménager des chambres d’hôtes. Tu sais, j’aimais bien accueillir, faire la cuisine.