En d’autres temps je me serais jeté sur les pages blanches comme un chiot dans un champ de fleurs et, les brassées cueillies, je les aurais jetées par dessus bord dans le champ d’à côté.

    Aujourd’hui je passe. Comme au poker menteur. Me voici loin des jeux de mon âge à ma table de tripot. Plus aucune combinaison de cartes ne m’émeut et le poète que je fus s’est contracté aux dimensions d’une photo de carte grise dans un portefeuille.

    Il m’arrive encore d’ouvrir mon journal, pris de violents accès d’introspection, et d’endosser l’habit d’écrivassier qui traîne la patte et tergiverse entre le grave et le sarcasme.

    Et le « pourquoi écrivit-il ? » se balance obstinément comme une guirlande éteinte sur mon épitaphe imaginé.

    Avant il y avait la mer, les fanions des flotteurs, les fleurs salées des lièges, cette spécificité du balancement marin et l’allure d’armada d’un chalutier ébranlé mais vainqueur.

    Et je courais alors après l’Oeuvre et me laissais ravir par n’importe quelle machine d’art à ma portée. Je criais au génie, je croyais à la mémoire des disparus.

    Aujourd’hui les mots me sont algues suspectes et sans essence. Je lorgne sur l’œuvre de fin de vie. Mais ma vie est sans vie.

    Il m’arrive parfois de traverser un air de pénombre filtrant par les persiennes d’une maison dans les herbes, « un air bien vieux, bien frêle et bien charmant » (1).

     Mais la plupart du temps je n’entends que le tour de Binet et le crin-crin du ménétrier. Ma plume est celle, déplumée, d’un Gustave Bovary.

    Et ma nostalgie tourne comme les hélicos militaires de Toulon sur des côtes d’azurs.

(1) Verlaine, in Romances sans paroles

NB: Retrouvez les textes de François Etevenard avec la rubrique "Rechercher"