Le décès de Madame de La Rochefoucauld passa pratiquement inaperçu. À la Cour, mourir en couches était, à l’époque malheureusement fréquent. Madame de La Rochefoucauld n' avait pas que des amis, son nom, son ascension fulgurante en avait dérangé plus d'une ! Elle ne fut donc guère pleurée et la vie reprit.
Trois mois plus tard, ce fut au tour du vieux Marquis. Il partit avec discrétion, une nuit, dans son lit. La nature lui avait épargné les affres d'une mort difficile.
Madame de la Mode le pleura avec dignité, sans ostentation, en respectant toutes les procédures et traditions en usage.
Elle mit à exécution son propos, et rejoignit le couvent de Sainte-Madeleine où jeunes aristocrates et veuves bien nées, avaient coutume de se retirer lors des aléas de la vie.
Il s'agissait pour elle, en définitive, de se mettre au vert, de prendre du recul dirions-nous, et d'envisager la suite des évènements. Comment rebondir après une mort si opportune et la période de veuvage officiel?
Retrouvons donc la Marquise au couvent de Sainte Madeleine.
Atmosphère feutrée où se mêlent ferveur et mondanité. Elle évolue avec une grâce empreinte de mélancolie sous les hautes fenêtres qui donnent sur une cour ornée de petit buis.
Vers 35 ans, âge mûr pour l'époque, elle a trouvé refuge dans cette enclave aristocratique où les prières murmurées dans la chapelle à heures fixes rassemblent tout ce beau monde.
Quelques moniales assurent la pérennité religieuse du lieu. Dans les salons feutrés du rez-de-chaussée, les conversations sur les dernières nouvelles de Versailles vont bon train. Le quotidien de la Marquise oscille entre le respect des usages pieux, et les plaisirs raffinés et douillets de cet univers singulier. Entre la clôture et l'alcôve, ça complote... Aux offices austères succèdent des ateliers de poésie, d'écriture. À l'intérieur de la clôture, c'est la vie douillette et préservée d'un groupe de femmes où les plus âgées initient les plus jeunes, encore adolescentes aux plaisirs de la vie mondaine. L'activité épistolaire bat son plein, et les dames de compagnie ne fournissent pas à rédiger lettres et billets doux que des coursiers zélés portent à Versailles.
Les jours passent en réceptions où le thé et les macarons remplacent le faste des salons. On papote, on papote !
La tenue reflète cette dualité. La coquetterie se mêle à l'austérité : un habit noir de velours évoquant le deuil, mais brodé de fils d'argent rappelant l'appartenance à la noblesse. Les dentelles fines encadrent le cou et les poignets de la Marquise. Sans décolleté, mais un ruban marque sa taille et met en valeur son élégante tournure. Plus de perruque, mais une coiffe blanche, dite « coiffe de deuil », posée sur ses boucles sombres. Ses cheveux malmenés sous les perruques ont repris leur liberté, ils tombent en boucles travaillées sur ses épaules.
La Marquise se refait une santé. Les échos du monde lui parviennent, mais en douceur, ils ont perdu le côté passionnel, violent et survolté de ces dernières années.
Le nom de Monsieur de Parmentier ne quitte ni son cœur, ni son corps en des rêveries délicieuses. Elle reprend confiance en elle. Elle sait qu'elle est veuve, libérée du « pouvoir de mari » selon l'expression. Le Marquis avait des biens et l'usufruit de ses nombreuses propriétés en fait une veuve riche et convoitée. La « semi-liberté » dont elle jouit au couvent est une étape intermédiaire et elle n'entend pas rester longtemps sur le banc de touche.
De loin, bien renseignée, elle suit la faveur de Monsieur de Parmentier. Le roi, reconnaissant sa valeur et le potentiel de ses travaux, l'a décoré des plus grands honneurs. Il dote richement les laboratoires d'agronomie et de biologie où monsieur de Parmentier poursuit ses recherches. Ce dernier s'est jeté dans le travail et continue avec délices ses travaux.
De temps à autre, la Marquise reçoit de lui un billet où il évoque sa nouvelle fortune. À distance, ils ont fait la paix. Dans son dernier billet, il lui raconte comment le roi, au terme d'un repas parmentier, orna sa boutonnière d'un bouquet de fleurs de pommes de terre, avant de faire un discours élogieux sur ses autres travaux.
Monsieur de Parmentier est bien en Cour ; Il fait partie des gens en vue, et la Marquise commence à sentir ses souliers de satin s'agiter. Peu à peu, il lui pousse des ailes. Elle n'a qu'une envie : sortir de là!
Encouragée par ses nouvelles copines, elle s'organise une sortie honorable.
La voici donc, allongée avec langueur sur sa couche. La fièvre la fait délirer, elle appelle de tous ses vœux son cher mari, son grand château, son beau jardin. Elle réussit à convaincre la Mère Abbesse que si elle reste là, elle périra d'ennui et de consomption.
La période de deuil légal expirée, elle part avec les honneurs et la compassion. Veuve inconsolable, elle rentre dans son château.
Elle retrouva rapidement sa joie de vivre et ses projets entreprenants. Au bout de quelques mois, elle reparut à la Cour, encore défaite, mais toujours belle, sous sa perruque blanche où le colibri, cette fois, était noir.
Monsieur de Parmentier reprit avec zèle son rôle de chevalier servant, tous deux reléguèrent Madame de La Rochefoucauld dans leur panthéon d'étoiles filantes.
La Marquise portait toujours dans sa perruque, tel un emblème un petit bouquet de parmentières, en quelque sorte son « logo ». En son château, elle recevait pour de longues périodes son amoureux et lui avait fait aménager de magnifiques serres où il pouvait poursuivre ses travaux. Mais toute idylle a son revers, elle devenait de plus en plus mondaine, il devenait de plus en plus distrait. Les expériences en cours occupaient tout son temps. La nuit tombée, il travaillait encore et la marquise ne se sentait pas honorée ; son cœur de midinette était déçu. Elle s'ennuyait, et décida d'y remédier. Elle prit des amants, jeunes et moins jeunes, mais jeunes de préférence. Sa conduite fit les frais des bonnes âmes et des jalouses de la cour.
Monsieur de Parmentier s'éloignait. Elle aurait souhaité qu'il la demande en mariage et elle était prête à partager son douaire avec une aussi belle personne. Il ne le fit pas, proclamant haut et fort que seules ses études l'intéressaient et qu'il n'était pas doué pour le mariage. Dépit de la Marquise qui multiplia les aventures avec frénésie.
Épilogue
Les temps ont passé, les cheveux ont blanchi sous les perruques. Monsieur de Parmentier, grand nez, dans un visage taillé à la serpe comme l'atteste son portrait au musée Carnavalet. La marquise, de plus en plus emperruquée et cérusée devint une de ces vieilles belles de la Cour. Elle n'appartenait plus à l'escadron des jeunes beautés certes, et non plus à celui des vieilles dévotes.
Son goût des intrigues et des manigances l'inscrivait dans cet entre-deux ou grenouillait tout un monde de vanités, de désirs refoulés, d'espérance déçue.
En son château, elle était encore la maitresse. Un jour, Monsieur de Parmentier décida de revenir vivre à Neuilly avec sa sœur. Cette dernière qui n'était pas mariée, lui avait toujours voué une affection fidèle. Elle tenait son ménage, gérait sa maison et s'occupait aussi de ses écrits. La Marquise, une fois encore, se sentait rejetée par ce « chacun chez soi qui n'était pas de son choix ». Elle continua à rendre visite à son bel amour. Las, il était fatigué de ses extravagances. Le désir devint habitude et, n'échappant pas au temps il s'éteignit. Ils se virent de moins en moins.
La Marquise, sur le tard, très tard, retrouva un peu de sa jeunesse auprès d'un gentilhomme bien plus jeune qu'elle qui faisait commerce de soieries et d'« indiennes », de produits de luxe que ses bateaux apportaient d'iles lointaines. La marquise retrouva avec lui le ciel étoilé et un peu du rêve qu'elle avait recherché.
Bientôt la Grandiosa Tuberculosis ne fut plus qu'un souvenir dans sa lointaine mémoire. La promotion de ces magnifiques tissus et de ces bijoux de rêve la conduisit dans les antichambres et les cabinets très privés des courtisans.
Comme une petite fille, elle joua avec les tissus, les brocards, les gemmes et les colliers. Elle était radieuse, sa vie enfin bien occupée.
« Influenceuse », arbitre des modes, décoratrice d'intérieur, elle avait trouvé le bonheur. Elle était à sa place. Son ultime exploit fut d'agencer l'hôtel particulier que le Comte de Neuilly avait acquis grâce à la Grandiosa Tuberculosis.
Bien sûr, la somptuosité des lieux aida grandement à la renommée de la marquise. Elle convia monsieur de Parmentier au grand bal qu'elle donna en l'honneur du comte de Neuilly. Il ne vint pas, terrassé par une méchante fièvre !
Femme de tête, sinon de vertus, elle fut une image de grâce, de beauté, et de frivolité mais aussi de force et d'appétit de vivre.
De cette époque mémorable, il reste encore sur le blason de la ville de Neuilly, 3 fleurs de Solanée Parmentière. Monsieur de Parmentier fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris et jusqu'en 1900 environ, sur sa tombe était planté un carré de Belles de Mai. Oui oui c'est la vérité vraie !
Laissons nos héros s'endormir au terme de cette époque captivante. Eux qu'une simple pomme de terre avait réunis.