Il tâtonne, se tape la tête contre la paroi. Il est surpris. Jusqu'à ce jour, il se sentait bien, comme dans un cocon, aucun stress, en état d'apesanteur, le nirvana, mais subitement c'est la panique, il est oppressé, poussé,  bousculé. Il cherche la porte de sortie, une issue de secours plutôt. C'est ainsi que dans sa précipitation, il présenta ses fesses en premier au monde extérieur. 

 

Est-ce parce qu'il est né à l'envers que Victor, c'est ainsi qu'il est pré-nommé, va, toute sa vie, se fourvoyer ? Ce moment primordial va-t-il déterminer toute sa vie ?

 

Sa vie de nouveau-né. 

 

Sa mère qui attendait un heureux événement, lui voua une haine intense tant elle avait souffert. Impossible de se réjouir, le nouveau-né tant attendu était un petit monstre. Pire, un petit monstre dont elle devait s'occuper, qu'elle devait nourrir, laver, changer. C'est sans aucun plaisir, avec brusquerie, sans aucun petit mot gentil ou de chanson douce qu'elle le prenait, lui fourrait le biberon dans la bouche, lui changeait ses couches et l'habillait. Elle se réjouissait de l'entendre pleurer, c'était sa petite vengeance.  

 

Victor a deux ans. 

 

Il est devenu « joli comme un cœur. » Solide sur ses jambes, il aimait courir, tendant ses bras vers sa mère. Puis, tout proche, il s'immobilisait, posant sur elle un regard tendre, interrogateur qui la faisait chavirer. Elle le prenait, caressait ses cheveux souples et soyeux, le serrait contre elle, presque à l’étouffer puis le repoussait brutalement, le posait par terre en disant « laisse-moi. »

Victor se trouvait perdu, déboussolé, désorienté. 

 

Victor a six ans. 

 

Il est scolarisé à l'école de son quartier et rapidement on découvre chez lui une absence totale de latéralisation. Il écrit indifféremment de ses deux mains, c'est selon le pouce qu'il est en train de sucer. Le problème est qu'il écrit soit de droite à gauche, soit de gauche à droite. 

Autre sujet d'incompréhension pour lui : sa mère comme sa maîtresse lui disent « tu marches à droite » mais ce n'est jamais du même côté de la rue. Tantôt il doit marcher du côté qui longe le parc et le terrain foot et tantôt il doit marcher sur le trottoir d'en face du côté des maisons. Pourquoi la maitresse et sa mère n'ont pas la même droite ? Il se sent perdu, déboussolé, désorienté. 

 

En dehors de l'école, Victor a une passion. Il est le champion du trampoline. Il adore sauter, faire des saltos avant, arrière, triples sauts périlleux. Il est infatigable. Il aime aussi se balancer sur un trapèze la tête en bas. Mais il ferait mieux de faire ses devoirs !!! 

 

 Victor à 16 ans. 

 

Il doit penser à son orientation, lui qui n'a aucun sens de l'orientation !! 

 

Il rêve d'être sage-femme pour faire naitre les enfants à l'endroit. Mais, il n'ose pas exprimer son souhait : comment un garçon peut devenir une sage-femme. Et puis, il a la phobie du sang. C'est sans issue.

 

Par-dessus tout, il veut être utile à la société. Mais plusieurs fois, il va se retrouver dans des impasses. Successivement il envisage d'être maçon, puis boulanger et aussi coiffeur. A chaque fois il commence un apprentissage avec enthousiasme, fait preuve d'une bonne volonté, il se montre courageux, curieux, intéressé, obéissant. Bref, il donne toute satisfaction mais au bout de six mois, il se retrouve dans une impasse. Il doit interrompre ces différents apprentissages, changer d'orientation car il se révèle allergique au ciment, puis à la farine et finalement aux produits capillaires. 

 

Toujours en échec, c'est le découragement, le désespoir, la dépression, il ne voit plus d'issue. Quel est son destin ? Qu'est-ce qu'il peut faire sur cette terre ? Finalement il prend un sac à dos et part. Où ? Il ne sait pas. Il se met en chemin. Il marche seul, plusieurs jours, se débrouille comme il peut. Par ironie, il prend les sens interdits, marche à contre sens et arrive sur un place d'une petite ville où un cirque vient de s'installer. Il rôde entre les caravanes et se fait interpeler : que faites-vous là ? 

Subitement son visage s'éclaire et montre du doigt le trampoline. Sans rien dire, il quitte ses chaussures son manteau et il se retrouve comme lorsqu'il était enfant, aussi leste, il saute, rebondit avec une telle joie. Son enthousiasme tout comme son agilité impressionnent le responsable du cirque qui applaudit et l'entraine sous le chapiteau, où d'un portique imposant pendent des cordes lisses, des anneaux et des trapèzes de différentes hauteurs. Immédiatement, il se hisse sur le premier qui est devant lui, il se balance, se met debout et se lance dans le vide, attrapant un second un peu plus haut, il se pend la tête en bas, se remet debout avant de réaliser un triple saut.                

 

  • Vous avez déjà travaillé dans un cirque ?
  • Non point.
  • Cela vous intéresserait ? On a justement besoin d'un acrobate et d'un trapéziste volant. Faire partie de la grande famille des circassiens cela vous tenterait ? Je crois aussi que vous feriez un bon clown car j'ai vu au fond de vous une grande tristesse. 

 

Victor n'en croit pas ses yeux ni ses oreilles, tout étonné de retrouver sa joie d'enfant, ses sensations oubliées de légèreté, d'apesanteur. Il ne réagit pas mais il reste avec le sentiment d'être enfin au bon endroit, d'être arrivé au bout du chemin.  Une porte s’ouvre sur son avenir.

 

Il voulait être utile. il va faire rêver et rire.