« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée » a écrit Alfred de Musset.
Mais que dire des portes entrouvertes, impossibles à refermer parce que le pied du destin s’interpose pour nous en empêcher… Et le pied perturbateur, ici, s’agite en cadence sur la piste de danse, chaussé de ravissants Salomé beige à talons carrés.
Les invités bavardent, grignotent des cacahuètes rient et sirotent, alors que la musique déjà envahit l’espace.
Des groupes se créent : ici on danse, là on discute, là-bas on ondule en buvant un verre, et la musique relie tout le monde. Ce soir, nous fêtons l’anniversaire d’une amie, Mimi, à son domicile ; une maison ancienne au beau carrelage de terre cuite, située dans un charmant village. L’atmosphère est joyeuse, la plupart des convives se connaissent et sont heureux de se retrouver à cette occasion, et beaucoup évoluent déjà sur la piste de danse.
Ma nature timide, l’embarras de mon corps me retiennent de me mêler aux danseurs. Je me contente de les regarder évoluer au rythme de la bande son, en bougeant sur place, marquant la cadence de la tête et des pieds. Je danse sur place, pour ainsi dire. Discrètement. Je souhaiterais pourtant virevolter autour des danseurs, légère et gracieuse, et dépasser cette abominable inertie qui me bloque à proximité du buffet.
Je n’ai pas toujours craint le regard des autres sur ma personne et leur jugement secret. Or, Les années passant, j’ai acquis un regard sévère sur moi-même et me voici dans la situation de me censurer dans mes joies, autant que le faisait mon père qui me stoppait d’un « ne t’exalte pas » lorsque je m’enthousiasmais, adolescente, défendant mes idées et mes convictions forcément éloignées des siennes, lui qui était déjà sexagénaire. Aussi et de la même façon, pas d’exaltation vestimentaire… Pas de jupes indiennes, pas de maquillage, pas de vernis sur les ongles et surtout, pas d’amis garçons dans les parages. Et telle une jeune vierge sicilienne, je me devais d’avancer vers mon destin ; stoïque, pure et muette.
Mon père ignorait que ma meilleure amie et proche voisine, âgée de quinze ans comme moi avait déjà eu plusieurs amants, avait gouté à diverses drogues, et qu’au sein-même du lycée que je fréquentais quotidiennement, des surveillants se livraient à des trafics illicites et que le proviseur sentait l’alcool. Pauvre papa, savais-tu que telle Blandine livrée aux lions, je n’ai presque pas été mordue par les fauves…
S’il y en a une qui se démène sur la piste, c’est cette femme brune chaussée de vernis beiges. Souriante, rayonnante, même, au point que sa gaité m’interpelle, tant elle ressemble à une écolière à la récré, riant avec ses camarades de jeu. Elle danse comme elle jouerait à la marelle ; avec joie et gravité, sans crainte de déplaire, juste pour sa propre joie. Sa robe bleu foncé à la coupe « princesse » renforce son côté pensionnaire sage. Elle m’intrigue. Ses larges lunettes d’acétate noire et sa frange carrée lui donnent un faux air de Nana Mouskouri, mais je la soupçonne d’être moins sage que la chanteuse grecque, malgré ses airs de petite fille modèle. D’ailleurs ses yeux pétillent et rient autant que sa bouche. Qui est donc cette femme ? Je pose la question et je comprends juste que c’est l’amie d’une amie, et que personne ne la connait vraiment en fait. Un homme à la maigre chevelure grise, habitant du village où se déroule la fête et invité ce soir par souci de bon voisinage, me lance un regard rusé en hochant la tête. Je comprends à sa gestuelle qu’il a une info à me donner.
Ici, au fond des campagnes, tout ragot devient une vérité qui s’enrichit de l’imaginaire de chacun. La parole transmise sera remaniée à la manière d’une vieille photo jugée trop fade et retouchée, recolorisée de couleurs criardes.
Aussi, je m’attendais à une réponse étonnante, voire croustillante au sujet de notre rieuse danseuse. Mais l’homme me souffla au visage son haleine chargée d’effluves de rhum, au milieu de laquelle je perçus quelques sons.
Je crus entendre « avant ton ». Oui ? Avant mon quoi ? De sa main levée, il pointa la direction de la route qui menait à la sortie du village, et au-delà.
Le punch était bon, et avait été très apprécié. J’y avais moi-même fait honneur en le trouvant un peu trop sucré et par là même, un peu traitre. On percevait son effet seulement à l’instant de devoir articuler clairement. Je hochais la tête d’un air entendu, cela m’évitait de répondre à l’homme de façon intelligible et lui donnait l’illusion que son information m’avait grandement renseignée. Je n’aime pas décevoir.
Je n’étais pas très avancée dans mon enquête, et je ne pus soutirer autre chose à mes hôtes, que la recette du Tarama fait maison et le dosage du Punch, seules réponses à mes questions couvertes par le brouhaha ambiant et la musique.
Alors que la majorité des personnes présentes dansaient sans se soucier d’être dans le rythme, madame frange-au-carré virevoltait gracieusement, harmonieusement et toujours y prenant beaucoup de plaisir. Elle semblait faite d’une autre matière, était-elle seulement humaine ? Parfois il me semble percevoir des anomalies dans la trame du réel, comme un accroc à la surface tranquille des choses... Et là, c’était clair ! Cette femme était différente. Cette femme avait compris quelque chose qui m’était totalement étranger. Cette femme avait posé un pied dans la quatrième dimension ! Son espace-temps n’était pas le même que le nôtre, je voyais bien que tout le monde était à contre-temps du sien.
Je me tournai brusquement vers mon voisin de buffet pour lui soumettre ma découverte, suffoquée par mon incroyable clairvoyance et l’arrosai généreusement du contenu de mon troisième verre dans ma hâte de l’informer. Il sembla contrarié, et quand je lui parlai de quatrième dimension, il me répondit que j’en avais peut-être assez bu comme ça et qu’un quatrième me ferait du mal. Devant tant d’incompréhension, je me rabattis sur les desserts. Les gâteaux venaient d’apparaitre, surmontés de bougies enflammées. Les lumières ambiantes furent éteintes pour donner tout son éclat à ce moment magique, des chants s’élevèrent en une joyeuse cacophonie et Mimi souffla ses bougies. Quelques musiques très dansantes me firent un peu onduler du bassin, hocher la tête, mais rien à faire, la piste n’était pas pour moi, j’avais des progrès à réaliser avant de me jeter dans l’arène !
Les desserts dégustés, accompagnés d’une coupe de champagne, je cherchais des yeux la danseuse aux vernis beige. Elle rassemblait ses affaires, sac, manteau et saluait les invités qu’elle semblait connaitre. Elle remonta ses lunettes sur son nez, et de trois-quarts derrière elle je remarquais un léger clignotement jaune sur ses montures. Ses lunettes semblaient équipées d’une technologie de dernière génération. Les verres de ses lunettes possédaient un écran incrusté dans une lentille translucide, où s’affichaient des informations, raison pour laquelle sans doute, notre mystérieuse ballerine s’éclipsait hâtivement. Une urgence sans doute.
Elle se tourna vers moi et me dit en souriant « à bientôt, au château ».
Surprise, intimidée, je bredouillais. Quel château ? Elle avait déjà franchi la porte, je n’osais plus questionner les convives, d’ailleurs plus personne ne semblait en capacité de répondre à quoi que ce soit, ni d’articuler une phrase cohérente. Le champagne avait parachevé l’œuvre du punch. Le système nerveux des danseurs semblait fonctionner en boucle, au vu de leurs mouvements sur le dancefloor.
Je saisis moi aussi mon sac, mon manteau, et sortis respirer. J’aperçus la mystérieuse et souriante brune appuyée le dos contre la portière d’une voiture, parler au téléphone et conclure par un « j’arrive ». Elle ouvrit la portière, monta dans sa voiture et je décidai alors de façon impulsive de la suivre. Je la laissais me distancer, par prudence mais sans projet précis sur la suite des évènements.
L’obscurité était profonde et je la suivais tous feux éteints, me guidant sur le rougeoiement de ses feux arrière pour ne pas perdre sa trace. Était-ce raisonnable ? Non.
La curiosité, l’alcool, un sentiment de défi me poussèrent à me jeter dans la nuit à l’aveuglette.
Nous roulâmes et cahotâmes sur de petites routes sinueuses, durant une bonne demi-heure. Puis nous entrâmes dans un petit village, longeâmes de hauts murs et les phares de la voiture que je suivais de loin éclairèrent des pilastres qui encadraient l’entrée d’un chemin. Une grande façade claire se détacha bientôt sur le ciel sombre comme découpée dans du papier noir. Un château ! LE CHATEAU !
Un bâtiment très haut dont je ne distinguais pas les détails architecturaux à la distance où je me trouvais. Je percevais pourtant sa masse imposante, écrasante. Je stationnais mon véhicule le long du grand mur, à l’extérieur de l’enceinte et avançais précautionneusement en évitant de faire crisser les gravillons qui tapissaient le chemin d’accès à la bâtisse. Je remarquais de gros buissons de buis délimitant un parterre de verdure au pied du bâtiment. Ils semblaient en excellente santé, et ce détail m’interpella. Les buis de la région ont tous été dévorés par les chenilles de la Pyrale, mais ceux-ci ont échappé à la gourmandise frénétique des papillons gloutons. Une étrangeté de plus !
La mystérieuse visiteuse du soir sortit un trousseau de clés de son sac et ouvrit la porte d’entrée monumentale de la bâtisse. L’énorme porte en bois ornée de ferrures pivota, et un chat noir se faufila entre les pieds de la Dame du château en miaulant doucement. La porte se referma sur leurs silhouettes, puis quelques instants après deux fenêtres s’éclairèrent à l’étage. Bon, visiblement la dame demeurait ici. Que voulais-je savoir d’autre ? Je ne me posais pas longtemps la question, car des visiteurs impromptus arrivaient, j’entendais le crissement des petits graviers écrasés par des roues. Des roues de vélo, semblait-il. Le bruit était atténué et je cherchais à me cacher derrière un buisson pour en savoir plus. Trois vélos entrèrent à la file et freinèrent sur le terre-plein. Les silhouettes qui mirent pied à terre me semblèrent plutôt féminines. Leurs rires aigus confirmèrent mon hypothèse. Elles entrèrent sans frapper à la porte. Habitaient-elles aussi au château ?
Arrivèrent à la suite deux véhicules transportant quatre personnes chacun, puis un petit groupe foulant à pied le chemin gravillonné. Que faisaient là, en pleine nuit, ces personnes mystérieuses, entrant comme chez elles dans cette sombre et vieille demeure ? J’étais ébahie, pétrifiée dans mon buisson de buis et dévorée de curiosité.
Il me fallait poursuivre l’enquête, savoir ce qui se tramait ici, découvrir qui étaient ces gens bizarres, et qui était réellement la chatelaine. Était-ce là le repaire d’une secte ? Le lieu d’abominables sacrifices ? La chatelaine au sourire rayonnant serait-elle une moderne Erzebeth, sacrifiant de jeunes villageoises et les vidant de leur sang pour conserver l’éclat de sa jeunesse et l’attention de ses jeunes amants ?
C’était faire preuve de civisme que de chercher à en savoir plus. J’allais peut-être résoudre une sanglante et tortueuse affaire criminelle là, ce soir, cette nuit.
Problème : comment pénétrer dans la forteresse sans éveiller de méfiance ?
Pas de fenêtres accessibles à ma hauteur, mais un soupirail en rez-de-terrasse que je remarquais et par lequel je me glissais en tremblant. J’atterris durement sur un sol glacé en pierre, et mon manteau épais amortit un peu la chute. Je ne m’attendais pas à tomber si bas, au sens littéral. Je me trouvais dans le soubassement du château, et pas très loin peut-être des salles de torture et des geôles infâmes que je me devais de dénoncer. Le punch me donnait non pas du courage, mais une certaine témérité qui ne m’était pas habituelle. Il faudrait absolument que je demande la recette complète à Mimi…
La racine odorante rapportée de son dernier voyage au Japon, râpée finement et mêlée au gingembre et au rhum a extraordinairement amélioré le breuvage. Me vient alors inexplicablement à l’esprit l’image du druide Panoramix touillant sa mixture dans son grand chaudron.
Mais assez rêvassé sur le vieillard gaulois, j’avais une mission à remplir.
J’avançais, éclairée par la lampe de mon téléphone, dans ce qui semblait être une cave voutée de grande dimension, propre. Quelques cadavres bien secs gisaient sans doute dans un recoin coudé de cette cave, échappant à ma vue, car je ne détectais aucune odeur suspecte. Je découvris des marches en pierre qui semblaient mener à un palier. Je les grimpais et là, je tendis l’oreille, immobile, aux aguets, attentive aux bruits légers parvenant des étages supérieurs.
Pas de cris, pas de hurlements, pas de supplications. De vagues bruits étouffés. Les victimes étaient sans doute bâillonnées.
J’avançais à tâtons dans la pénombre, économisant la batterie de mon téléphone. Car combien de temps devrais-je passer dans ce labyrinthe infernal ? Je butais sur de nouvelles marches, que je gravis avec précaution. J’arrivais sur un second palier. De nombreuse portes moulurées portaient chacune une plaque que je ne déchiffrais pas dans cette semi-obscurité. Sans doute les noms de quelque divinité satanique au nom duquel se déroulaient des rites affreux derrière ces maudites portes. Chacune ouvrait sans doute sur un univers hallucinant, vertigineux. Dans une pulsion auto destructrice, j’actionnai la poignée de porcelaine d’une première porte. Un couinement sinistre en accompagna l’ouverture.
Pas de phosphorescence, pas d’éclair foudroyant, pas d’autel diabolique. Mais des étagères chargées de paires de chaussures, de tous modèles, bien rangées. Dans le cercle de lumière émanant de mon téléphone, je découvris des bottes rouges, de nombreux escarpins bleus, rouges, noirs, verts, des espadrilles plates, des compensées, des blanches, des noires, des jaunes. Plusieurs paires de mocassins, des babouches brodées, des bottines à lacets, à crochets, à boutons. Des modèles féminins uniquement. Je tombai aussi sur la petite paire de vernis beige à talon carré. Tiens tiens ! La danseuse diabolique chausse donc du trente-huit et demi.
Une étagère entière accueillait des dizaines de paires de sandales : compensées, plates, à talon aiguille, à talon carré, tressées, à fines brides, à larges lanières. J’en avais le vertige ! J’adore les chaussures moi aussi, c’est mon péché mignon, l’objet de mes craquages inconditionnels. Si une paire de chaussures m’a tapé dans l’œil derrière une vitrine, son image ensuite tourne à l’obsession, je ne peux m’imaginer trotter sans cette paire aux pieds. Il me faut alors attendre la période des soldes ou bien renoncer douloureusement à l’objet de mes fantasmes.
Si cette collection de souliers appartient bien à la Dame du château, ce ne peut être totalement une mauvaise personne. Aimer à ce point les souliers est une qualité que j’apprécie. Elle me parait moins perfide à l’aune de cette découverte. Je sortis de cette caverne aux trésors, et avisais une autre porte, que j’ouvris avec précaution. Un parfum léger flottait dans la pièce, de lavande me semblait-il. J’éclairais et dans le halo je découvris des vêtements suspendus sur des portants en bois. Des robes. Des dizaines de robes. C’était bien de la lavande, réputée chasser les mites, qui embaumait l’espace dressing de la coquette Dame. De nouveau, je dénombrais des robes bleues, noires, vertes, à rayures, à pois, des longues, des courtes. Des jupes, des corsages, des vestes, quelques manteaux, des peignoirs japonais, des djellabas brodées de soie. Le vertige m’assaillait de nouveau. La coquette Dame du château avait du goût.
Je renonçais à ouvrir d’autres portes sur ce palier et décidais plutôt de grimper vers les étages, d’où semblaient provenir des sons de voix et des tintements. Là encore, un palier, des portes, des plaques. J’abaissais une poignée, et entrais à pas de loup. C’était une chambre, avec une grande table centrale, des chaises, des lits. La desserte en inox d’une petite cuisine renvoyait l’éclat de la lumière de mon téléphone. Telle Boucle d’Or dans la maison des trois ours, je me demandais qui vivait là. La pièce était cosy, meublée avec soin, et dégageait un certain charme suranné.
Une autre porte, une autre pièce. Là de nouveau, des lits, une table, des chaises, une petite cuisine, et même une petite salle de bains. Cette fois j’étais dans la peau de Blanche-neige découvrant la maison des sept nains, car la chambre disposait de plusieurs lits étroits en plus d’une large alcôve à baldaquin.
Tout semblait tranquille ici, à cet étage. Qu’en était-il du reste du bâtiment ? Et le donjon ? Car il y avait un donjon, comme dans tout château médiéval !
Une porte en bois brut, sur le palier, cachait un escalier très abrupt, en colimaçon. Certainement l’accès au lieu le plus secret de l’édifice, sans aucun doute la chambre rouge des supplices. Mon cœur battait plus fort, à l’approche de la résolution de l’énigme du castel infernal. Car certes, la dame aimait les chaussures, et c’était là une preuve de goût et de raffinement mais peut-être déployait-elle sa collection de brodequins à pointes et autres poires d’angoisse, chaines et chevalets tout là-haut, bien à l’abri des regards et des oreilles.
Je grimpais donc l’escalier en hélice, et débouchais sur un minuscule palier qui offrait deux poignées de porte à actionner. Enfin, la fin du mystère.
J’ouvrais la porte à gauche : une mignonne petite salle de bain carrelée de bleu lagon, un rideau de douche rayé, des serviettes de toilette moelleuses. La sorcière du castel lisait certainement Marie-Claire décoration…
Je tentais l’autre porte, c’était l’ultime voie vers la résolution de cette obscure affaire.
Rouge. C’était rouge. Rouge le sol de tomettes, rouges les rideaux de velours, rouge l’édredon sur le grand lit, rouge le mur tendu de tissus broché derrière la tête de lit, rouge encore le tapis marocain au sol. La chambre écarlate, la voilà !! Je l’ai trouvée. Enfin.
Par contre, pas d’outillage version broyage d’os, pas de fers, ni de brodequins. L’ensemble est plutôt confortable, cosy même, et ressemble plutôt à une version moderne d’une chambre du quinzième siècle, sobre, élégante, plaisante.
Ses fenêtres à petits carreaux ne laissent filtrer aucune lumière, la nuit est noire. Et me idées aussi. Que fais-je ici ? Quelles idées étranges se sont emparées de ma raison pour m’amener ici, moi si timide d’habitude, pas téméraire du tout ?
Il me faut redescendre silencieusement cet escalier tortueux, tendre l’oreille, sortir d’ici.
Le charme des mystères, c’est justement de le rester.
La dame du château restera pour un temps une inconnue, je chercherai sur Google, ce sera vite fait. Et puis voilà.
Donc, je redescendis en rasant les murs, traversais le palier du deuxième étage, m’engageais dans l’escalier et soudain je perçus des rires, des bribes de conversations, quelques tintements de vaisselle émanant d’une partie de l’étage que je n’avais pas vue, dans mon dos, le couloir faisant un coude à cet endroit-là.
Des pieds chaussés de chaussons confortables et silencieux glissent derrière moi sur le dallage noir et blanc, une voix féminine retentit : « Hello ! Tu t’es perdue ? On a commencé, Ariane part très bientôt à Agadir, il a fallu avancer la séance ! Viens, entre. Thé, café ? »
Je ne pouvais que faire face au destin. J’entrai.
La pièce était spacieuse, les murs ornés d’affiches de cinéma, de dessins, de cartes postales, de miroirs aux cadres colorés. Des femmes, une quinzaine, occupaient une grande table couverte de feuilles de papier, de livres, de journaux, de tasses, d’assiettes et de verres. La dame du château, prénommée Ariane donc, recevait des copines pour un atelier écriture-lecture nocturne, car c’est bien connu, la nuit porte conseil.
« Et si la nuit porte conseil, alors ne dors pas. Garde une oreille attentive et un œil ouvert, on ne sait jamais » me dit-elle, l’œil pétillant, l’index levé, en me tendant un stylo et une feuille blanche. Oui, justement, c’est ce que j’ai fait dis-je sans mentir, ni exagérer. C’est bien ce que j’ai fait…
Ariane avait tendu un fil, et je l’avais suivi.