Le premier qui me parle de château, je lui casse le manche de mon râteau sur le dos.
Si j’avais été mieux informé de ce qu’était la vie dans ce milieu et dans ce cadre, j’y aurais peut-être regardé à deux fois.
Avec beaucoup d’argent peut-être sont-ce des lieux idylliques, mais ce n’était pas réellement notre cas ! Mon mari flambeur ne rêvant que de perdre ce qu’il venait de gagner. L’achat de cette masure seigneuriale en était un exemple particulièrement criant.
Pas cher à l’achat, mais à restaurer et entretenir c’était Padirac (un gros trou dans le sol).
Deux années de ce régime avaient sérieusement entamé ma bonne humeur.
Écoutez ça : pas de chauffage central, et pour cause de pompe à chaleur mal calibrée qui avait fondu tant on l’avait fait tourner en surrégime. Conséquences : feu dans les cheminées et comme le disaient les anciens « c’est beau les flammes qui se tordent dans l’âtre, mais « face cramée et cul pelé ». Et les bûches sont lourdes et réticentes à monter seules les escaliers.
Pas de pompe à chaleur, pas d’eau chaude ! Il fallait juste attendre que les ouvriers aient quitté le chantier de ravalement pour se déshabiller et se laver dans un baquet au coin du feu (car il n’y avait toujours pas de volets et je ne tenais pas à exhiber mon corps gracile devant ces messieurs).
Cuisine au sous-sol comme il se doit, salle à manger à l’étage, même en tirant vite la chaine du monte- plats, ceux-ci avaient retrouvé leur état d’origine en arrivant sur la table. Donc repas en cuisine où par la grâce des fourneaux on mangeait chaud et au chaud.
Cette expérience tourna court, car monsieur mon mari décréta qu’en sortant de table nous sentions le graillon. Il ne releva pas ma proposition d’avoir notre table dans un restaurant voisin.
Pour compléter ces désagréments, nous étions positionnés en zone blanche, en raison de quoi, la réception des portables n’était possible que dans les combles trois étages plus haut. Je vous assure que très vite on téléphone beaucoup moins souvent.
Pour la télévision me direz-vous, même combat, l’image n’apparaissait que par intermittence, toute déformée sur la droite, une sorte d’hémiplégie télévisuelle, quant au son, il n’était audible qu’en l’absence d’image, encore ne captions-nous que la première chaine.
Pause dans les lamentations, passons à l’action, j’ai tondu ce matin ces étendues d’herbes folles qui entouraient le château. Cela fait plus propre, enfin ce sera plus propre lorsque j’aurai éliminé tout ce que les ouvriers des chantiers successifs ont disséminé dans l’herbe. On y trouve pèle mêle : gravats, planches à clous, morceau de ferraille, blocs de pierre tout ce qu’adore notre pauvre tondeuse qui a déjà dû changer deux fois de lame. D’où le funeste râteau qui à chaque opération de tonte me ronge la paume des mains plus surement qu’un castor qui se ferait les dents sur un peuplier.
Je n’accepterais de porter des gants qu’au bout de deux années de martyre, et après avoir découvert une publicité de crème pour les mains dans un magazine féminin, « mesdames gardez douce la peau de vos mains pour vos enfants et votre mari » j’avais rougi à cette évocation et vite tourné la page. Cependant ayant retenu la leçon je m’étais munie des précieuses protections, gants pour le travail, crème pour la douceur ; il fallait constater qu’il n’y avait pas photo.
Mon cher époux me pose souvent problème, mais il faut reconnaître qu’il tient quelquefois parole, souvenez-vous la piscine et le Jacuzzi, ces deux articles qui avaient fait pencher la balance en faveur de ce lieu.
Ils sont là, bien réalisés pour l’une, un peu plus contrasté pour l’autre :
La piscine de belles dimensions fait très bien dans le paysage (fera bien quand les abords auront été aplanis et dotés d’une margelle ainsi que d’une terrasse pour les chaises longes) ne soyons pas pessimiste tout le monde peut rêver…en attendant.
En raison des conditions climatiques, en l’absence de pompe à chaleur pour chauffer l’eau celle-ci n’est utilisable au mieux que quelques jours par an.
La proximité des arbres du parc se fait un plaisir de couvrir toute la surface de feuilles et débris divers qui font que l’on pourrait croire possible de marcher sur l’eau. Ici ce n’est plus le râteau mais l’épuisette qui vous ruine les mains. Si vous ne faites pas ce travail assidûment, la pompe des filtres et le robot laveur absorbent tant de détritus qu’ils seraient vite hors d’usage. De toute façon la présence permanente des ouvriers œuvrant à la restauration ne me donnerait pas la possibilité de me détendre pour bénéficier pleinement des bienfaits de cet équipement.
En dépit de la température en début de soirée, dès leur départ je me précipite me plonger dans l’eau, même s’il faut pousser les feuilles pour nager.
Chez Leclerc il y avait eu une grande quinzaine des sports nautiques, piscine hors sol, jacuzzi, et hop, pour trois fois rien, nous nous étions offert l’un de ces équipements dont nous étions très fiers : le jacuzzi. Cette fois la pub avait raison, « pas cher c’est pas bon » L’engin gonflable très beau au gonflage perdait vite ses rondeurs sans que l’on puisse en détecter la cause. Il s’affaissait pour au final ressembler à une grosse méduse échouée.
Ils nous l’ont changé, pourtant rien n’a changé, la méduse est toujours là, de plus en plus plate, et qui plus est flétrie !
En compensation pour épuiser mes ressentiments, je marche, enfin, lorsque le temps le permet et il faut reconnaitre que cela me fait un bien fou. Je dors désormais sans me gaver de neuro machin chose, ces produits abrutissants qui vous permettent de dormir comme des gisants. La bonne nouvelle c’est que j’ai recommencé à rêver toutes les nuits ce qui est fort agréable. Cela ne ressemble toutefois pas à une véritable activité, c’est ainsi que je me suis trouvée à retourner dans la salle des archives.
Cette pièce m’intriguait depuis que nous sommes installés ici, j’ai donc décidé de l’explorer de fond en comble.
D’abord il a fallu s’habituer à grimper à l’échelle tournante. En théorie rien de bien compliqué. Mais quand vous n’êtes jamais monté plus haut que sur un escabeau de quatre marches, il y a un pas à franchir. Après quelques journées d’entrainement sur les échelons les plus bas, je me suis enhardie. Il faut juste ne pas regarder en bas et prendre son temps. Les premiers jours, cramponnée à l’arbre central, je me trouvais dans l’incapacité de lâcher une main.
Désormais, je monte, je descends, lâche une main parfois, les deux pour fouiner dans les étuis et enveloppes.
Jusqu’ici pas de trouvailles historiques mais de nombreux morceaux de parchemin, et d’histoire ou autres dont je fais des collages, j’adore !
Lorsque j’explore une année, après avoir recueilli tout ce que je peux trouver, je me lance dans des recherches à propos des évènements qui se sont déroulés à cette période. Je ne pensais pas que l’histoire puisse être aussi passionnante et j’en oubliai tous mes maux et mes ruminations.
À ce petit jeu, j’avais fini par ressembler à un écureuil en quête de noisettes en prenant tous les risques.
Journée faste l’an 1100 celle du retour triomphal de la première croisade, ça je ne le saurais qu’après car cette journée aurait bien pu être la dernière de mon existence.
Penchée en avant pour me saisir d’une pochette en cuir que je ne touchais que du bout des doigts, je me démenais tant et bien, lorsqu’un craquement brutal vint mettre fin à mes acrobaties.
J’avais le buste engagé dans la niche, le haut de l’échelle venait de se briser au ras de ma tête. Comme dans le film « les Bronzés font du ski », j’ai crié j’ai chanté. Les heures passant j’ai commencé à avoir des crampes et des doutes.
La porte étant ouverte quelqu’un finirait bien par s’en apercevoir. Quand le sort vous est contraire rien ne se produit comme on l’espérait. J’ai entendu une voix demander qui avait encore laissé la porte des archives ouverte, suivi du claquement de celle-ci.
Ils ont mis deux jours à me retrouver : la langue comme un morceau d’écorce faute d’avoir pu m’abreuver, la voir éraillée comme celle d’un crieur de rue en fin de journée.
Et pas de commentaire, oui, je m’était pissée dessus et alors !