• Mademoiselle, un autre café s’il vous plait.

L’accorte jeune femme abandonne son nettoyage des tables, se précipite et revient bientôt avec un nouveau café, chaud celui-là.

  • Vous savez, je ne devrais pas vous dire cela, car ce n’est pas dans mon intérêt, mais vous buvez beaucoup trop de café. À ce régime vous allez finir par ne plus trouver le sommeil !

Pas faux, mais j’avoue que perdu dans mes préoccupations je n’y avais pas prêté attention. C’est un bon signal d’alerte dont je la remercie.

Le temps me parait long, un mois que nous sommes arrivés, et toujours pas de résultat.

J’avais accompagné Naarhi jusqu’à la clinique dès notre descente d’avion. Accueil chaleureux, maison cosy avec des chambres personnalisées., Je n’avais même pas eu la possibilité de lui dire au revoir qu’une hôtesse était venue me chercher.

  • Vous devez m’accompagner pour remplir les formalités administratives.

Je n’avais rien à leur raconter, je pouvais juste leur fournir les documents que j’avais ramassé avant notre départ. Mais eux ne voyaient pas les choses sous cet angle, l’administratif ne les concernait pas. Il leur fallait juste l’empreinte de ma carte bancaire et le versement d’une provision sur les frais à venir. 

  • Vous avez eu de la chance que nous ayons eu un désistement, car nos services sont très demandés. Laissez-nous un numéro de portable, car vous ne pourrez pas voir votre compagne avant une quinzaine de jours. Attendez que nous vous appelions.

Il n’y a pas que les banques qui sont discrètes dans ce pays. En fait ils m’ont appelé après trois journées d’attente anxieuse. J’étais content pensant que son cas n’était pas aussi compliqué que je ne l’avais pensé en arrivant ici.

Le chirurgien m’avait reçu dans un bureau digne d’un ministre, dorures, profonds fauteuils en cuir, cave à cigares et Bourbon millésimé dont j’avais décliné les offres.

Bien calé au creux du fauteuil, j’avais fait le dos rond m’attendant au pire. On percevait que l’homme était pressé, chaque minute de son temps devait valoir son pesant d’or.

  • Nous n’avions pas reçu suffisamment de données sur l’état de votre compagne avant son entrée dans notre clinique, or, il s’avère que son cas est tout à fait complexe et nécessitera une très longue prise en charge.

Bon on y était, certes j’étais un peu groggy, mais il n’avait pas été question d’une situation irrémédiable, peut-être voulait-il seulement s’assurer que j’étais prêt à m’engager financièrement dans une démarche de longue durée. 

Pourtant, il n’a pas abordé la question, des établissements de cette classe devaient avoir leur ramification dans les milieux bancaires de la place qui les avaient rassuré sur ma solvabilité.

  • Très bien, faites ce que vous avez à faire, je vous renouvelle ma confiance. Puis-je la voir ?
  • Désolé elle est actuellement sous sédatif car elle souffre autant moralement que physiquement. On vous tiendra au courant.

Son assistante m’avait raccompagné jusqu’à la voiture que je venais de louer.

Le problème me dit-elle vient de ce qu’il ne reste que des éclats de sa clavicule, le professeur Bugelborth doit rechercher une technique lui permettant de parvenir à une reconstruction. 

Suite à quoi elle s’était tue, m’a salué et tournant les talons m’a laissé là à me demander dans quelle situation peut-être invraisemblable je me retrouvais.

Depuis cette rencontre, nous sommes un peu plus avancés, après une série de tentatives au cours desquelles furent effectuées des greffes, il avait fallu se rendre à l’évidence et constater l’échec de celles-ci. Naarhi était épuisée et plus en état de poursuivre. On décida qu’une pause serait la bienvenue pour lui permettre de récupérer.

C’est une femme robuste qui a la constitution d’une combattante, l’entrainement physique d’une sportive de haut niveau ce qui renforce ses chances de récupération donc, bon espoir.

Sans vouloir vanter mes capacités d’évaluateur, je l’avais vue se balader en mini nuisette dans son appartement à Paris, puis bronzer nue sur le pont avec Skip, elle m’était apparue bien fragile, comme quoi il faut être prudent dans ses évaluations.

La jeune serveuse de la brasserie m’ayant convaincu, désormais c’est elle qui décidait de ce qu’il fallait me servir, elle alternait café ou tisane pour calmer ma consommation, les jours de moral en capilotade, je lui demandais un alcool qu’elle transformait souvent en bière.

L’hôtel commençant à me peser, j’entrepris la recherche d’un nouveau gite, sécurisé cette fois et dans lequel je serais moins en lumière. Mon choix se porte sur un deux pièces avec terrasse et vue sur le lac. Acheté sous un nom d’emprunt je me le suis immédiatement loué sous un autre patronyme. Un bon moyen de faire apparaître de l’argent frais dans une certaine forme de légalité.

Question importante je n’avais pas l’âge d’être en retraite ni le profil d’un rentier, me sont revenues en mémoire les paroles de Skip détaillant mon physique aléatoire pour faire un « voileux » selon elle. De ce jour, alternance de piscine, salle de gym et sommeil, car les fins de journées étaient souvent difficiles, il faut reconnaître que l’effet de ces efforts à eu des effets immédiats.

À compter de ce jour, escapades aux quatre coins de la ville parcourue en tous sens au cours de mes footings et je commençais à m’y sentir à l’aise, cela ne comble pas mes angoisses. Je passe des heures à cogiter sur mon marasme intérieur.

Cette histoire de hold-up au ralenti m’a brutalement fait changer de vie, mais en réalité, c’est l’attentat qui a précipité les choses, sans lui je serai encore à Paris, déplaçant mes sacs de billets d’une consigne à l’autre, jusqu’au moment où une rafale m’aurait cueilli au bord d’un trottoir.

Depuis que je suis ici, j’ai tout le temps de repenser à tout ce qui m’est arrivé. Je n’ai fait que subir ce que le hasard m’a imposé. L’aspect positif étant que dans ce contexte nouveau, je me suis trouvé dans l’obligation de prendre des décisions précises, rapide et sures.

Tout cela je le savais à ma portée, mais à chaque fois que cela c’était produit, si j’analyse bien les séquences, toutes ces actions, toutes ces décisions ne me concernaient pas. Toutes avaient un lien avec mon travail, mes relations avec mon patron, mes rencontres avec des clients potentiels et partenaires sur le terrain. Aujourd’hui avec la situation dans laquelle j’avais entrainé Naarhi. 

Jusqu’à présent je me trouvais dans l’obligation de travailler pour subvenir à mes besoins, désormais ce n’était plus le cas ; alors que faire de ma vie.

Je n’avais jamais imaginé cet envers de la société que des personnes comme vous et moi ignorent même si elles subodorent tous les trafics qui peuvent s’y passer. Je ne parle pas de trafic d’êtres humains, d’armes, de drogue en tous genres qui sont générateurs de profits monstrueux. 

Non, simplement le fait de déposer dans des banques de très grosses sommes d’argent. Ok vous allez me dire qu’il faut avoir de l’appétit et ne pas craindre de se salir les mains. Mais c’est là une erreur capitale, on ne vous dit rien, on gère vos fonds et vous encaissez les royalties. Depuis que mes placements s’étaient dispersés sur la planète le rendement atteignait près de dix fois celui de votre livret A, pas mal quand même.

Vous comprenez mieux pourquoi ils n’achètent pas les mêmes chaussures que vous CQFD.

Mais quand vous avez dit cela, il faut être raccord avec votre conscience, ne plus vous étonner qu’il y ait tant de conflits dans le monde, d’états dans la débâcle, de familles en grandes difficultés. Pourtant à mon échelle je n’étais qu’un brochet au milieu des requins. L’avantage c’est que dans le marigot un brochet est beaucoup plus discret qu’un requin et pour sa sécurité c’est tout de même fort important.

La clinique a accordé quinze jours de vacances à Naarhi ce ne sera qu’à son retour et après analyse de son état qu’une décision sera prise pour la reconstruction de son épaule.

Skip est prévenu et nous attendra, j’ai préparé notre itinéraire, on change d’aéroport et de compagnie de transport, sécurité oblige.

Impossible de connaître son point de vue, elle reste pratiquement mutique la plupart du temps !...