Ce soir-là, la Marquise de la Mode avait surpassé tous ses précédents exploits avec une perruque monumentale, blonde et blanche, si haute qu’elle frôlait les cieux, pourrait-on dire ! La porte passée, elle se déplaça dignement, tête haute, vers la chaise la plus proche. En fait, c'est tout ce qui lui était possible de faire, vu la hauteur de cet échafaudage.
Les invités murmuraient d'admiration, et aussi un peu de jalousie, surtout les femmes ! Tous les regards étaient fixés sur cette construction capillaire, œuvre d'un Figaro de la capitale, ornée de plumes noires, de bijoux d’or et de diamants. Une délicieuse cage à oiseaux avec son colibri surmontait le tout. Elle s’assit après avoir salué, à droite, à gauche. Le murmure cessa peu à peu. Les comtesses songeaient, vertes de rage. Sa voisine de gauche, une jeune fille à la carnation admirable, blanche et nacrée, se pencha vers elle pour l’admirer de plus près.
La Marquise prit son air le plus condescendant, baissa les yeux vers la jeune beauté et lui dit : « Sachez ma fille, que votre éphémère beauté, pour l’instant, vous tient lieu de charme, mais l’attrait d'une femme d'âge et de naissance tient de façon plus durable dans les artifices du grand Art. Je condescendrai à vous introduire auprès de Mon Figaro parisien, auteur de ce chef-d'œuvre ».
La salle du festin était brillamment éclairée, illuminée par des centaines de chandeliers suspendus au plafond ; certains descendaient au-dessus de la table du festin, accrochés à une chaine scintillante.
Quelle majesté ! L’orchestre jouait du Lully en sourdine.
Et ce fut le début du festin. La Tuerie ouvrit ce moment magique. Une houle d'admiration secoua les convives. Les valets déposèrent en grande pompe le brancard et son plat monumental sur la table de présentation. La nappe était de fil d’or et retombait jusqu’au sol.
Le maitre de maison annonça d’un ton cérémonieux : « Le festin va commencer. Voilà notre plat signature, notre plat emblématique. La Tuerie est l’emblème de notre maison ducale, son blason gastronomique. »
La Marquise de la Mode faisait la moue, sentant l’intérêt de tous lui échapper. Elle se pencha pour commenter à son voisin le plus proche, fort beau au demeurant, l'ascension sociale des ducs de Beaufortain. « Des gens de peu de branche, des parvenus en somme ! ».
Au maitre de maison revint le privilège de planter avec une décision digne d'un grand expert de l’art militaire, la dague symbolique au centre de la Tuerie. Son frère, Duc de la Gloutonnerie, avança la main pour la plonger dans la Tuerie. Le maitre de maison frappa avec violence les doigts du malotru qui les retira aussitôt dégoulinants de sauce.
Au moment où le duc planta la dague dans le vol au vent, on entendit un cri perçant. La Marquise de la Mode, se penchant vers le centre de la table, heurta de sa perruque le lustre monumental qui éclairait de ses multiples chandelles le centre de la table. En un clin d'œil, la perruque, touchant une des bougies s’enflamma. La Marquise poussa un hurlement ! L'embrasement fut immédiat, comme un grésillement d’étoupe. Elle se tenait la tête, essayant d’échapper au feu, sans songer à se débarrasser de son échafaudage. Elle se mit à courir loin de la table, avec des cris de plus en plus aigus. Des étincelles volaient autour d'elle, des rubans noircis, des roses de dentelle, recroquevillées par les flammes la suivaient.
Quel spectacle ! Les invités coururent vers elle dans un brouhaha de sièges renversés, d'assiettes brisées, de cristaux jaillis loin de la table et piétinés par chacun. Ce fut une gigantesque mêlée ! Certains, paniqués cherchaient à se protéger des étincelles avec les pans de la nappe, mais le fil d’or fondait en coulées brillantes. D’autres se ruaient vers les issues, les musiciens fuyaient, tirant leurs instruments des menaces du feu.
Un laquais, croyant bien faire ouvrit la grande porte à deux battants ; un appel d'air attisa encore le feu. Quelqu’un, avec plus de présence d'esprit, se précipita pour trouver de l'eau et ramena deux seaux. Sans façon, il aspergea la Marquise qui se roulait par terre, essayant en vain d’arracher sa perruque. Elle tenait bon mais finit par céder ! Elle se décolla enfin dans une mare de cheveux filasse, de boucles, rubans. La cage à oiseaux, tout au sommet, vacilla, pencha, puis tomba à terre, perdit son pensionnaire, un petit colibri vert et jaune. Le reste de la perruque se dilua enfin sous l'effet de l'eau, coulant le long du crâne et des joues de la Marquise.
Celle-ci, assise au milieu de la flaque, tremblait, crachait, vomissait. Un sein pendait, affaissé hors du « sextravagant » décolleté de naguère ; une sorcière, une naufragée ! Elle suffoquait, sur son visage le désespoir, la peur absolue.
Les convives, en cercle autour d’elle, pétrifiés observaient la scène, sans tenter de la secourir. On vit enfin sortir de l’assistance un petit monsieur tout courbé sur sa canne à pommeau d’argent : le mari de la marquise, un vieux tout chenu. Se précipitant sur ses jambes flageolantes, il s’écria : « oh là là, ma Mie comme vous voilà arrangée ! », songeant en lui-même « oh là là c’est bien ma fête, elle va ruiner les sièges de mon carrosse ! ». La scène déclencha quelques rires. Ce fut le signal d’une hilarité générale, un fou rire de libération !
Qui n’a jamais ri d’une glissade, ou d’une chute involontaire?
L’avalanche de ces rires, vite réprimée ôta à La Marquise ce qui lui restait de dignité, elle s’affaissa sur elle-même, tas de chiffons et de fanfreluches.
Le feu était éteint. L’eau avait fait son œuvre. Elle s’en tirait sans mal, quelques brûlures légères au cou et aux bras. La robe au sextravagant décolleté n’avait pas pris feu. Son crâne dégarni, son visage noirci par la suie, lui faisaient une tête de Pierrot. Le rouge du vermillon, le blanc de la céruse avaient coulé en sillons pathétiques, se mélangeant à l’eau.
Le Duc de Beaufortain se montra, comme toujours, à la hauteur des circonstances. Il commenta brièvement l’action « plus de peur que de mal ! ».
À ces mots, la Marquise, galvanisée, puisa on ne sait où la force de se relever et s’écria : « Oui : monseigneur, plus de peur que de mal ! »
Au milieu du silence, elle déclara : « Chers amis, je crois qu’il est temps pour moi d’aller changer de coiffure ! ». La salle éclata en applaudissements, saluant l’à propos de la Marquise.
Ce trait d’esprit entra dans les Annales et fit d’elle une des femmes les plus spirituelles de son temps.