Suite de Magnifique 1
Ses cuissardes m’enserrent le buste, des cuissardes longues, interminables, dont les talons taquinent mes reins. D’un cuir verni brillant, bizarre, comment je le sais ? je ne peux pas les voir, sa guêpière encercle ma tête, l’enveloppe d’un halo confus, espoir, attente, désir. Mes lèvres se tendent vers ses seins, bombés, gonflés, le gauche m’échappe, le droit se dérobe, ma bouche goulue insiste, la guêpière la repousse, ne lui laisse aucune ouverture. Mes mains tentent une diversion vers les rubans, les dénouer, toucher la peau. En vain. J’essaie de voir un visage, impossible, mon champ de vision s’obscurcit, des doigts glissent vers mon entrecuisse, mon membre crie grâce, j’explose !
Vaseux. Nuit noire. Pas l’habitude de me réveiller comme ça, je suis connu pour mon sommeil lourd, dormir comme Augustin, plaisanterie surfaite si le moindre rêve en a raison ! Enfin, rêve pas si moindre si j’en crois l’explosion finale, c’est pas si souvent que les voluptés nocturnes m’entrainent aussi loin. Et ce visage que je n’ai pas vu. Cuissardes brillantes et guêpière à rubans, évidemment, dans mon imaginaire érotique, ça tient sa place. Mais je ne suis pas du genre à être attiré par un corps sans tête, le sourire, les yeux, l’expression d’un visage y tiennent autant de place que les seins rebondis.
Non, pas possible, ça ne peut pas être le déjeuner avec Jacqueline qui m’ait fait cet effet. J’ai d’autres fers sur le feu. Et si je me suis amusé de son rentre-dedans désuet, aucun sex-appeal ne m’a effleuré, sinon, vous pensez bien que j’aurais foncé. Et je ne l’aurais pas laissée comme deux ronds de flan, sous je ne sais quel prétexte urgent, payant bien sûr avant de m’éclipser, béotien certes, mais grand seigneur.
Urgence, me rendormir, j’aurai bien le temps de ressasser ce rêve plus tard. Et cette jouissance volée à la nuit devrait bien m’y aider.
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Dring ! dring ! ça fait combien de temps que mon téléphone sonne ? je le jette, geste manqué… qui appelle à cette heure… ça se fait pas… encore heureux que je bloque la sonnerie la nuit… ça recommence… dring… dring… ah le voici… le son me dirige… sous la table de nuit… numéro inconnu… normalement je ne réponds pas… mais pour insister, à cette heure matinale… ma main encore embrumée d’une nuit chargée l’empoigne… « allo ».
Oh là là, c’est ma fête ! qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? mon matin embrumé méritait mieux…
- Augustin, mon cher Augustin…
- Mais qu’est-ce que c’est que ce numéro ?
- Mon cher Augustin, de rage j’ai jeté mon téléphone, et cassé…
Ah, elle aussi, voyons ses raisons…
- Votre départ soudain, sans explications, vous dirigeant vers la caisse pour payer, courtois certes, mais à peine, le garçon me rattrapant dans ma chute « ça va Madame ? vous avez besoin d’aide ? », je me relève, la bouche écarquillée de tous ces mots qui ne peuvent pas sortir, attrape mon sac, le garçon m’apporte mon manteau, m’aide à l’enfiler, ce n’est pas vous, Augustin, vous étiez déjà avec votre carte bleue, mes jambes flageolent, je vais vers vous, aussi vite que je peux, mais la salle est longue, le temps que j’arrive à la caisse, je me précipite pour un baiser, un seul petit baiser, que vous esquivez, à peine une légère bise sur ma joue et vous sortez, en me tenant la porte, certes, strict minimum de la galanterie officielle… Mais qu’est-ce qui vous a pris de partir ainsi, qu’est-ce que je vous ai fait ?
Je vous l’avais bien dit, c’est ma fête !!! Tout ça au réveil, sans la moindre précaution…
- Désolé, Jacqueline, mais vous me réveillez, là, est-ce que ça se fait de réveiller les gens pour les agonir ainsi ?
- Vous réveiller ! mais vous avez bien de la chance d’avoir dormi ! j’aurais bien aimé dormir, moi aussi ! si vous saviez la nuit que j’ai passée, à me retourner, un côté, puis l’autre, à ressasser, ces mots que vous n’aviez pas dits, que j’attendais, que j’attends encore… comment pouvezvous rester indifférent… comment pouvez-vous opposer le silence à mes avances… n’ai-je pas été assez claire… j’ai failli renverser la table, en me relevant j’ai entrainé un coin de la nappe, la vaisselle qui menaçait de suivre, le bel éclat que j’aurais provoqué au sol, heureusement que le garçon était là, vous étiez déjà à l’autre bout de la salle, sans un regard… cette froideur…
Qui cachait mon fou rire, et celui des tables alentour, pas vraiment le niveau de distinction que promettaient ses missives enflammées. Direction les archives, direction l’oubli, c’est bien là où on range ce dont on n’a plus besoin. Clap de fin.
- Moi qui vivais dans l’espoir… que vous avez ruiné en une seconde, avec ce regard assassin, ce n’est pas vous, Augustin, pas vous… seriez-vous double, un Dr Jekyll cachant un Mr Hyde… j’ai retourné toute la nuit vos deux faces, votre regard enjôleur qui m’a emportée, je ne vous l’ai pas volé, ce regard charmeur, c’est bien vous qui me l’avez décoché, que dis-je, soutenu, c’est bien vous qui m’avez invitée à déjeuner… et l’autre face, en une seconde, ce regard assassin… que j’ai voulu oublier, hier après-midi, me convaincre que non, je m’étais trompée, me consolant comme je pouvais, j’ai appelé mon frère, pour lui parler de vous, hélas en vain, il ne vous a même pas remarqué, sa compagne peut-être, il va se renseigner, attention, c’est un jaloux derrière ses conquêtes, en attendant il m’invite, au château, en plus petit comité, pour me présenter mieux sa chérie, j’ai rêvé que vous en soyez, de ce diner, j’en doute, comment convaincre le beau-frère de vous inviter… et puis la nuit, terrible, qui m’a fait tout revivre, ces moments de magie avec vous, vos regards, vos paroles, certes rares, mais engageantes, ce déjeuner…
- Écoutez, Jacqueline, je vais raccrocher. Maintenant, il faut arrêter. Je ne suis pas disponible. Je suis un homme marié, j’aime ma femme, et n’ai pas pour habitude de papillonner ailleurs. Je sais que je vous déçois, que vous attendiez autre chose, mais vous avez fait erreur, depuis le début. Vos lettres sont belles, vous avez du talent, elles sont rangées dans mes archives. Quant au château, je vous le laisse, ne faisons pas dans le psychodrame, de grâce.
- Marié, qu’est-ce que ce prétexte, ces conventions… vous étiez bien seul à notre petite sauterie…
- Mon épouse était absente, obligations familiales. Et je n’ai pas d’explications à vous donner. Maintenant basta !
- Vous ne pouvez pas m’empêcher de vous appeler, de me raccrocher à vos réponses, même désagréables…
- Si, la technique le permet ! je vais bloquer votre numéro…
- J’en prendrai un autre…
- Je le bloquerai…
Ouahhh, question psychodrame au château, elle se pose là ! Si elle avait idée, la Jacqueline, de mon rêve de la nuit, où elle ne figurait pas. Un prétexte, mon épouse, c’est le seul point sur lequel elle a vu juste, la folle.
Mais que diable suis-je allé faire dans cette galère ! Et dans ce château… mon ami m’avait prévenu quand il m’a demandé l’autorisation de donner mes coordonnées, « je ne la connais pas, Augustin, tu fais comme tu veux, t’es pas obligé ». Mais j’ai pas pu m’empêcher, dès qu’un jupon tourne autour de moi, il faut que je fasse mon malin.
Fixer les urgences, maintenant.
N° 1 : bloquer le numéro… facile, c’est fait.
N° 2 : demander à mon ami de ne plus jamais m’inviter en même temps qu’elle… facile, une bonne occasion de l’appeler et de rire un peu.
Et basta !
À suivre...