Au cœur de la campagne française se dresse un château de « Conte de Fées », le Château de la Gourmandise, majestueusement entouré de jardins luxuriants, et de vignobles à perte de vue ; il se dresse, superbe, et on le voit, au loin, dans la campagne.
Un magnifique potager étale, derrière le château, ses allées à la Française de pommiers et de poiriers en espaliers. Le potager regorge de légumes raffinés, ou exotiques, inconnus, les asperges, les épices rares apportées par les voyageurs et acclimatées au château par les soins du jardinier en chef La Raynerie.
Ce château, connu pour ses festins somptueux et ses réceptions fastueuses abrite un secret bien gardé dans ses archives, tout en bas près des douves : une recette gastronomique légendaire dite La Tuerie.
Un soir d'automne, alors que les feuilles dorées tapissent le sol des allées, le jeune chef cuisinier Toussaint, nouvellement arrivé au château, décide d'explorer les archives. Il est en quête d'un menu extraordinaire pour le festin gastronomique qui se tient chaque année vers la fin de l'automne, dans ce magnifique château.
Le châtelain invite la fine fleur de l’aristocratie campagnarde et, pour rien au monde, elle ne raterait ce banquet. Il signe la richesse, le rang social, et la possibilité d'être bien en cour, car le roi lui-même aura vent de ces agapes magnifiques et de ces fêtes somptueuses.
En feuilletant les vieux manuscrits méticuleusement rangés dans la bibliothèque, Toussaint trouve un parchemin jauni par le temps. Les mots Recette de la Tuerie, sont gravés en lettres élégantes et ornés de rameaux dorés à l’or fin, il semble très ancien mais conservé avec beaucoup de soins dans une housse de velours cramoisi. Son cœur bat la chamade en déchiffrant les ingrédients et les instructions complexes de la recette. Elle promet une explosion de saveurs, un mariage parfait entre le sucré et le salé, le croquant et le fondant. La présentation aussi sera extraordinaire, digne de la cour du roi. Toussaint voit déjà son œuvre en majesté, précédant les faisans emplumés, les pyramides de légumes rôtis, les pièces de venaison entières, nappées de sauce brune. C'était du consistant, les menus, à cette époque !
Un exemplaire va vous mettre l'eau à la bouche et vous alourdir l’estomac par avance : Potage à la reine, Filet de sole à la Financière, Ris de veau à l'ancienne cuits dans une sauce demi-glace et champignons et enfin Chapon rôti aux truffes, Faisans dans leur habit des bois.
Le clou du spectacle était une gigantesque pièce montée au sommet de laquelle des fleurs en sucre filé faisaient un gigantesque panache.
Ouf !
La Tuerie dont la confection avait requis trois jours de travail et de multiples préparations ouvrait le festin. La recette est un secret et son secret, je ne vous le livrerai pas. Sachez seulement qu'elle comporte des viandes de bœuf, du foie gras, de l'alcool des sauces compliquées à chaque étage de la pièce et bien sûr des champignons. Elle sera présentée sous la forme d'un gigantesque vol-au-vent, apporté sur un brancard porté à l'épaule par quatre valets en livrée.
Pour annoncer La Tuerie , un intermède musical. Un petit orchestre de chambre, dans un recoin du salon, laisse échapper des sons mélodieux.
Le jeune cuisinier a mis dans ce plat gigantesque toute sa maitrise technique, sa science de la présentation, désireux d’épater ses nouveaux convives.
Parlons-en des convives : le raffinement et la belle allure ne sont pas forcément leur apanage. À la tête de la table, il y a là le duc de la Gloutonnerie, un grand homme sec, osseux, son appétit est aussi grand que son ego. Il est connu pour engloutir des montagnes de nourriture indifférenciées, en racontant des histoires de chasse où il est toujours, bien sûr, le héros. Ajoutons qu'il boit autant qu'il mange et que lorsqu'il quitte la table, sa place est un véritable champ de détritus. C’est le frère du maitre de maison.
Celui-ci, à vrai-dire a de belles manières, une distinction naturelle que lui procurent ses ascendants nobles, et ses ancêtres glorieux. Ce frère la Gloutonnerie est un peu sa honte, et il hausse les épaules agacé, à chacune des rodomontades de ce frère encombrant.
À sa droite, la Comtesse des Potins, une dame dont les oreilles sont aussi affûtées que les couteaux sur la table. Elle passe la soirée à murmurer des secrets scandaleux et des histoires croustillantes à quiconque veut bien l'écouter, tout en observant tout ce qui se passe à table. Observons le rouge vermillon et le blanc de céruse, sur les bajoues de la comtesse. Elle est outrageusement maquillée, la lumière des bougies dans les hauts candélabres est sans pitié pour son teint plâtreux et ses yeux charbonneux.
Parmi les convives hauts en couleur, notons aussi la Marquise de la Mode, vêtue d'une robe « sextravagante » et d'une perruque si haute qu'elle a dû se baisser dans l'encadrement de la porte en une génuflexion ridicule pour parvenir à entrer dans la pièce du festin sans perdre l'édifice monumental qu'elle porte sur la tête. Décolletée jusqu’à l'âme comme aurait dit je ne sais qui, elle se répand en œillades assassines et en gloussements.