Jean était arrivé dans ce village, par un jour de brouillard. Il venait de loin, de si loin…. Ne supportant plus le climat froid et pluvieux de sa région, il cherchait un lieu où il aimerait habiter.

Ce jour-là, à peine arrivé sur la place du village, il s’était dit : « c’est ici que je veux vivre ! »,

et il y était resté.

Il n’aurait pas pu dire le pourquoi de cette décision, il ne connaissait personne ici, ni aux alentours.

Le lieu peut-être ? Certes ce village avait un joli cachet...mais il était isolé dans la campagne.

 

Les jours qui suivirent son arrivée, les commérages allèrent bon train.

D’où venait-il ?

Pourquoi s’installer ici, dans ce village perdu dans la campagne ?

Que comptait-il faire ici ?

Jean ne travaillait pas, mais très vite il dut s’y mettre. Habile de ses mains, travailleur, il put vivre rapidement de petits boulots. De nature aimable, sociable, il s’était vite intégré à la commune. Il avait été accepté par tous.

 

Tous ?… ou presque

A l’autre bout du village, Lucien ne le supportait pas, et c’était réciproque.

La première fois qu’ils s’étaient rencontrés, Jean et Lucien avaient éprouvés une forte antipathie ! C’avait été instantané pour l’un comme pour l’autre, et aucun des deux ne comprenait cette inimitié .Ils ne se fréquentaient pas, évitaient de se voir, et les rares fois où ils s’étaient vus et avaient discutés ensemble, leurs paroles avaient vite pris une tournure agressive.

Jean jugeait Lucien peu fiable, et chacun se méfiait de l’autre.

 

Cette année-là, Lucien, bénévole à la bibliothèque, eut l’idée de mettre à l’honneur un ancien habitant du village, un châtelain du XVIIIème siècle, peu connu,  mais dont les dessins naturalistes venaient d’être retrouvés dans le grenier d’une ancienne demeure appartenant à la commune.

Les nombreuses planches illustrant des animaux, des plantes étaient magnifiques. Y en avaient-ils d’autres ailleurs ?

Un appel avait été lancé auprès des habitants, et d’autres planches, du même auteur, avaient été découvertes. Lucien les avaient empruntées, et l’ensemble des œuvres avait fait l’objet d’une exposition, dans une salle de la mairie.

Tous les habitants furent invités au vernissage. Jean, comme les autres, y était allé, et à la vue de tous ces dessins admirables, il avait ressenti un malaise inexplicable, une sourde colère.

 

Jean aimait beaucoup l’histoire, c’est pourquoi à peine installé ici,  il s’était mis à visiter les lieux, les bâtiments anciens, à lire l’histoire locale, les légendes du coin. Il apprit ainsi qu’au XVIII ème siècle, vivaient au château, aujourd’hui à moitié en ruines, deux frères jumeaux , Nestor et Victor, avec leurs familles.

Il y avait une belle harmonie entre eux jusqu’à ce qu’un drame les sépare.

Après la mort de Victor, le château n’avait plus été entretenu et avait été vendu à une autre famille.

Sa curiosité éveillée, Jean voulut en savoir davantage , et fit de nombreuses recherches dans les archives de la région.

 

Il apprit ainsi que lors d’une journée de chasse, l’un des jumeaux, Nestor, fit une mauvaise rencontre, attaqué par deux sangliers, il fut gravement blessé, il survécut malgré tout. Blessé à la tête, traumatisé,  incapable de mener une vie normale, tout changea du tout au tout au château.

Nestor s’était renfermé sur lui-même, ne s’intéressait plus aux autres, il passait son temps à arpenter la campagne en solitaire.

Défiguré, il faisait peur... les gens faisaient tout pour éviter de le rencontrer, bien qu’il n’ait jamais fait preuve de méchanceté. Méprisé par certains, objet de pitié pour d’autres, Nestor n’était plus que l’ombre de lui-même.

Quant à Victor, si proche autrefois de son frère, il subissait désormais sa présence encombrante.

Quelques années plus tard, Victor, fit fortune en vendant des planches naturalistes, qu’il avait faites disait-il.

Le fils de Nestor, Oscar, surprit un jour son père dessinant des planches naturalistes, et comprit que son oncle Victor, profitant de la faiblesse de son frère, les vendait et s’en attribuait la création. Qui pouvait, en effet, imaginer que Nestor, considéré alors comme le fada du village, était un dessinateur de talent ?

En colère contre son oncle, les disputes devinrent fréquentes au château, de plus en plus violentes,

Oscar et Victor se battirent en duel, et Oscar tua son oncle.

Chassé du village par le reste de sa famille et les notables du coin, il quitta le pays, plus personne n’entendit parler de lui.

 

Jean était remué par cet ancien fait divers. Mais pourquoi ? quel rapport avec lui se disait-il ?  Pourquoi cette histoire le touchait-il tant ? Qu’est-ce qu’elle réveillait en lui ? Il n’avait pas vécu d’évènements semblables, et à sa connaissance aucun de ses proches non plus.

Il se souvenait bien que dans sa propre histoire familiale, un de ces ancêtres venait de loin, mais n’en savait pas plus, d’ailleurs ça ne l’avait jamais intéressé, et n’avait donc pas cherché plus loin.

Ces questions restèrent sans réponses pendant des mois, puis il n’y pensa plus.

 

L’année d’après, sa sœur Albertine, curieuse de savoir où il vivait désormais et de découvrir cette région qui lui était inconnue, vint lui rendre visite . Il fut tout heureux de parcourir la campagne avec elle, de lui montrer son village et ses monuments, de lui raconter ce qu’il savait le l’histoire de lieux. Lors d’une de ces visites, Albertine aperçut quelques dessins naturalistes de l’ancien châtelain. A peine les avait-elle vus, qu’elle s’immobilisait surprise : elle aussi avait trouvé quelques planches du même dessinateur chez elle ! Elle voulait rénover un vieux secrétaire, enfoui sous des tas de cartons, dans son grenier ! Et là, tout au fond d’un tiroir, conservées soigneusement dans un classeur en cuir, elle les avait trouvés. Jean fut à nouveau troublé, les questions se bousculèrent à nouveau dans sa tête, et avec sa sœur, ils explorèrent l’histoire de leur famille et comprirent qu’ils étaient les descendants de Nestor et Julien celui de Victor.