Être première ministre

 

 

 

Tu veux être première ministre ! Mais ma petite chérie c'est impensable, impossible. D'ailleurs c'est pas un métier que l'on choisit. C'est le Président qui décide de la personne à qui il veut confier cette responsabilité. C'est parce que tu veux être utile à ton pays ! Oui, c'est très louable mais tu sais une femme est surtout utile à son pays en étant une bonne mère et une bonne maîtresse de maison. Pour ces tâches-là, les hommes sont totalement incompétents, tu me vois faire de la pâtisserie, donner un bain à ton petit frère, vous consoler, vous moucher, ça je ne sais pas faire. Si je devais faire la cuisine, je vous ferais manger des pâtes tous les jours, ou des gâteaux tout cramés, ça te fait rire !

 

Tu sais, les femmes qui ont été première ministre n'ont pas fait de grandes choses. Un échec. La première était Edith CRESSON elle est restée dix petits mois et la seconde ne va pas faire beaucoup plus. Pour être premier ministre il faut être solide, avoir une carrure, de bonnes épaules. Une femme est beaucoup trop fragile, beaucoup trop sensible, les femmes pleurent facilement. Toi, tu m'as vu pleurer ?

 

Pour être premier ministre il faut aussi être très intelligent. Non, je ne dis pas que les femmes ne sont pas intelligentes mais elles n'ont pas une intelligence logique. Les femmes ont une intelligence intuitive et on ne gouverne pas avec des intuitions. Regarde, les garçons choisissent des études scientifiques alors que les filles préfèrent la littérature, la poésie, les activités artistiques.  

 

Tu t'intéresses à la politique ! Je sais tu voudrais œuvrer pour qu'il n'y ait plus de pauvres, pour qu'il n'y ait plus de désert médicaux et que tout le monde soit bien soigné. Tu voudrais qu'il y ait plus de justice. Mais je crois que tu confonds politique et préoccupations sociales. La politique c'est tout faire pour que notre pays soit le plus riche possible, il faut savoir gérer des enjeux financiers colossaux.

 

Caroline adore son père, elle aime quand il lui parle comme à une grande, elle l'admire, il sait tellement de choses. Chaque soir, elle attend son retour après sa journée de travail. Elle l'observe, si ses lèvres sont pincées elle sait que sa journée a été dure et elle cherche ce qu'elle pourrait lui raconter pour le faire sourire, le distraire, qu'il oublie ses ennuis. Parfois, ce sont deux rides parallèles sur son front, au-dessus de son nez, là elle se montre discrète, gentille, silencieuse, elle sait qu'il est très préoccupé, qu'il a besoin de calme. Néanmoins, souvent il lui vient l'idée que son père préfère son frère, il s'intéresse plus à lui, il dit que les garçons doivent faire de grandes études. Dans son lit, c'est une idée vague, sournoise qu'elle chasse. Ses parents l'ont inscrite dans une institution religieuse pour filles, et depuis deux ans, Caroline est élue déléguée de classe et depuis cette année elle est au conseil municipal des jeunes. Quand elle l'a annoncé à son père, il a souri, sans plus, disant « c'est bien. »

 

« Une intelligence logique, les garçons ont un esprit scientifique » mais pourquoi pas les filles ? C'est la question qui s’impose à elle de plus en plus souvent. Elle a alors l'idée de proposer à sa classe de créer un atelier scientifique. En riant elle explique qu’on pourrait construire une fusée, comme dans Tintin dans « on a marché sur la lune. »  Oui, c'est parti d'une boutade mais plusieurs de ses camarades ont dit : chiche !  Il n'y a pas que les garçons qui s'intéressent à la technique et aux sciences. Selon leurs centre d'intérêts, plus de la moitié de la classe s’est passionnée, informée et documentée sur le climat, l'écologie, l'aérodynamique, les champs magnétiques, l'électricité et l'informatique. Elles ont lu Sciences et vie et autres revues de vulgarisation. Les professeurs de sciences ont été très surpris de l'intérêt de leurs élèves, de leurs questions pertinentes et très pointues. La moyenne des notes s'est notablement améliorée et ils ont dû modifier leurs cours et aborder des questions qui ne faisaient pas partie du programme.  

 

Caroline proposa à ses camarades plus attirées par les lettres de faire une recherche sur les femmes qui ont joué un rôle important dans le monde. Toutes se sont passionnées pour le dictionnaire des femmes célèbres. Elles ont découvert qu'il y avait toujours eu des femmes aventurières, des sportives, des femmes politiques : Indira GANDHI, Madame THATCHER, des scientifiques comme Marie CURIE, des féministes comme Olympe de GOUGE, Gisèle HALIMI, des guerrières comme Jeanne d'ARC ou Charlotte CORDAY. Elles considéraient ces femmes comme des modèles auxquelles elles voulaient s'identifier.

 

Quelques années plus tard, après son bac, c'est tout naturellement que Caroline a souhaité s'inscrire dans une prépa scientifique. Son père tenta de la décourager : tu ne pourras pas te marier et fonder une famille. Elle haussa les épaules et affirma son choix de manière convaincante et eu la satisfaction de remarquer un sourire discret et admiratif de son père.