Unies depuis le premier jour, par un carton de présentation, elle attendent là passives, suspendues à un présentoir. Elles se savent admirer, elles entendent

  • Oh elles sont superbes.
  • Oui et elles sont douces et chaudes.
  • Elles doivent être confortables.

 

Elles ignorent encore tout de leur vie de chaussettes et elles espèrent que très vite elles vont être adoptées. Enfin les voilà au fond d'un cadis, puis sur un tapis roulant, cliquées par une caissière, puis dans un cabas.

D'un geste brusque, elles sont séparées mais aussitôt après enfilées dans deux pieds semblables. Elles découvrent la marche, les glissades sur un plancher ciré puis elles se retrouvent enfermées dans des basquettes. Habituées à l'éclairage froid des néons des grandes surfaces, elles découvrent l'obscurité complète. Très courageuses elles accomplissent en silence leur travail de chaussettes, elles aspirent la transpiration, amortissent les secousses sans chercher à se ratatiner au fond de la godasse afin de ne pas causer d'ampoules à ces orteils en goguettes, qui s'agitent en tout sens.

Le soir les voilà réunies à nouveau dans le panier à linge sale.

  • Ça pue dit la droite
  • Tu as raison dit la gauche.
  • Mais ça ne sent pas les pieds.

Elles sont curieuses et se demandent ce qui va leur arriver, elles tendent l'oreille et captent quelles que brides d'informations. Elles entendent parler de lessive parfumées, d'adoucissant, de tambour et d'eau qui fait des vagues.  

  • Super dit la droite
  • J'ai peur de l'eau  dit la gauche, je n'aime pas l'eau. Vas-y seule, je vais me cacher au fond de la panière et tu me raconteras.
  • On va être séparée dit la droite.
  • On se retrouvera bien dit la gauche.

 

La droite est saisie par une main ferme en compagnie de slips, de t-shirt et elle est déposée dans une sorte de cylindre. Puis de l'eau commence à couler doucement, elle est fraiche et claire et une bonne odeur de lessive émoustille ses narines. Petit à petit elle sent une douce chaleur l'envelopper et elle a le sentiment de flotter tout en étant balancée. Elle est la seule à sourire et s'amuser, pour les slips, pantalons, polos ce n'est pas nouveau alors ils se laissent bercer par habitude. Puis l'eau est brutalement aspirée et elle se retrouve plaquée sur la parois, et là c'est le grand manège, elle est emportée à une vitesse folle dans une ronde vertigineuse. Ce petit jeu se répète trois ou quatre fois, et là, elle en a un peu assez, elle a même quelques haut le cœur. Ouf, tout s'apaise, la porte s'ouvre et elle se retrouve suspendue à un fil maintenue par une épingle à linge fantaisiste de couleur groseille.

 

Mais que devient la gauche ? Tout d'abord, pas grand chose, elle est restée quelque temps oubliée au fond d'une panière. Mais un jour, elle se laisse saisir cachée au milieu d'un pull mais arrive à s'échapper, tombe par terre, au pied de la panière, elle sera poussée dans un coin par une chaussure aveugle qui l'ignore. Là, elle découvre la poussière, des fourmis qui passent près d'elle en colonnes sans s'arrêter. Elle fait connaissance avec des araignées qui tissent leur toile. Puis un coup de balais vient la déloger et avec dédain, elle est jetée dans la poubelle. Elle avait peur de l'eau elle va découvrir les flammes de l'incinérateur et sa vie de chaussette s'arrêtera là.

 

Et la droite alors ? Elle va être décrochée de son fils et elle entend.

- Ah ! Tu es toute seule toi aussi.

Et aussitôt, elle est balancée dans un carton remplie de chaussettes. Inquiète, elle est accueillie par une voix chaude

  • Ah ! Encore une nouvelle ! Bien venu parmi nous,.
  • Hum ?
  • Oui, ici c'est très joli, tu veux visiter ?

Puis cette même voix de chaussette lui explique

  • Nous sommes des orphelines, mais ici il n'y a que des chaussettes très correctes, pas de trouées ni de rapiécées ou à demi-usées. Nous appartenons à une famille sympathique deux parents et quatre enfants, des garçons plein de vie, sportifs mais terriblement désordonnés. Ils ne font attention à rien et surtout pas à nous, les chaussettes.

Notre héroïne solitaire se retourne, observe ses compatriotes. Il y en a des grandes, des plus petites, des longues et des courtes, des jaunes, des blanches, des bleus, bref il y en a de toutes les couleurs,. Certaines sont en a en laine, d'autre en coton et même en nylon. On la prévient :

  • Fais attention à celle là, elle est susceptible, elle se fait appeler Madame.

C'est une chaussette de qualité supérieure, en soie, de taille moyenne.

  • Tu sais, je pense qu'elle va terminer vieille fille, elle ne va avec personne, nous, un jour on nous associe avec une chaussette un peu semblable mais un autre jour ça peut être avec n'importe laquelle. C'est rigolo, une fois, j'étais avec une bien trop grande si bien que son talon ne logeait même pas dans la chaussure, une autre fois j'étais avec une verte qui me sortait par les yeux, heureusement cela n'a duré qu'une journée.

Notre chaussette repense alors à sa jumelle, quand, nous retrouverons-nous ? Je ne pensais pas qu'elle avait autant peur de l'eau, peut être qu'elle aussi va atterrir dans la caisse des orphelines.